Lucas Chancel : « Le Nouveau Front populaire propose de faire porter l’essentiel de l’effort budgétaire sur les recettes »

Lucas Chancel : « Le Nouveau Front populaire propose de faire porter l’essentiel de l’effort budgétaire sur les recettes »

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La veille de la présentation par le gouvernement de son projet de budget, le Nouveau Front Populaire (NFP) a dévoilé ses 10 propositions pour le débat de cet automne. En attendant de mener un travail sur les dépenses, les forces de gauche souhaitent recourir plus fortement à la fiscalité pour maîtriser la dérive des comptes publics héritée du précédent gouvernement.

Les 10 mesures phares avancées par le NFP sont censées rapporter 49 milliards d’euros de recettes fiscales. Dans un contexte où les économistes ont montré que l’impact négatif des hausses d’impôt est bien moins fort que celui d’une baisse des dépenses publiques, le NFP donne priorité à la fiscalité.

Près des deux tiers de ces mesures (pour un montant d’un peu plus de 31 milliards d’euros), reposent sur une fiscalité accrue des ultra-riches. On est loin des 2 milliards censés représenter la « justice fiscale » du projet de budget du gouvernement !

Reste que la surtaxation des très riches se heurte généralement au Conseil constitutionnel, qui plafonne ce que l’Etat peut réclamer comme effort fiscal à chaque individu. Cela n’a pas échappé au NFP, pas plus qu’à l’économiste Lucas Chancel, qui a contribué à la formulation de ce programme fiscal. Il nous éclaire sur sa logique et ses ambitions.

Le projet du NFP prévoit une plus large taxation des ultra-riches. Ce genre de propositions se heurte généralement aux décisions du Conseil constitutionnel, qui limitent le prélèvement que chaque individu peut supporter…

Lucas Chancel : C’est un enjeu important et les propositions du NFP en tiennent compte. Il faut déjà rappeler que la Constitution n’impose aucun niveau précis de taxation maximum, on est dans le domaine de la jurisprudence constitutionnelle. Et sur le sujet, celle-ci n’est pas figée, elle est mouvante.

Enfin, les décisions passées ne prennent pas en compte, par définition, tout ce que l’on a appris des travaux récents sur le niveau de taxation réel des plus riches. Il me semble que le NFP met en avant des propositions qui peuvent s’inscrire dans la jurisprudence actuelle ou bien qui réclament un changement de cette dernière. Or, elle a des chances de se produire si les juges s’intéressent aux nouvelles études disponibles sur le sujet.

Concrètement, cela s’applique à la proposition d’un nouvel impôt sur la fortune (ISF) du NFP ?

L. C. : Oui. L’impôt sur la fortune proposé se décompose en trois composantes. Il y a un ISF « socle » qui applique un taux de 0,5 % sur le patrimoine net (l’actif moins les dettes), hors patrimoine professionnel.

Le Conseil constitutionnel a considéré que, au-dessus de 75 % de taxation en proportion du revenu, le contribuable n’a plus à payer d’ISF. Ce qui pose un gros problème puisqu’il suffisait aux plus riches de réduire leur revenu via des techniques d’optimisation pour atteindre rapidement le plafond. Mais le Conseil a également retenu, en 2011, que si le taux d’ISF était faible, la mesure pouvait ne pas être soumise à ce plafond. D’où la proposition de cet ISF « socle » à faible taux.

Ensuite, le NFP ajoute une composante « ISF chapeau » qui vient se greffer au premier : 1 % de taxation à partir de 10 millions d’euros de patrimoine, avec un taux qui monte progressivement jusqu’à 3 % au-delà de 1 milliard. Cela réclamerait peut-être une nouvelle jurisprudence, mais elle paraît tout à fait justifiée au regard du faible taux réel d’imposition à ces niveaux de revenus, comme l’ont montré les études académiques.

Enfin, il y a un « ISF plancher » qui sert de force de rappel. Il s’applique aux contribuables dont le patrimoine net est supérieur à 50 millions d’euros. Si le montant total de ses impôts (incluant l’ISF, l’impôt sur le revenu, la CSG) est inférieur à 2 % de son patrimoine total (en incluant les biens professionnels), le contribuable paie la différence avec les 2 %. On est là dans le cadre de la mesure pensée par Gabriel Zucman et dont le G20 débat en ce moment.

Le NFP souhaite également mettre fin aux exonérations de cotisations sociales au-delà de deux Smic et diminuer le Crédit impôt recherche (CIR). Au prix d’une remise en cause de la compétitivité des entreprises ?

L. C. : La remise en cause des exonérations de cotisations dépasse le cadre du NFP. C’est le constat notamment du rapport récent sur le sujet d’Antoine Bozio et Etienne Wasmer. Il y a désormais une prise de conscience des spécialistes du marché de l’emploi qu’une partie des exonérations a peu d’effet sur l’activité et l’emploi. On peut considérer que pour les niveaux de salaires deux fois supérieurs au Smic (Salaire minimum interprofessionnel de croissance), les entreprises bénéficient d’un effet d’aubaine.

De la même façon, plusieurs travaux ont montré que le Crédit impôt recherche (CIR) bénéficiait en partie à des entreprises qui n’en avaient pas besoin. Cibler le CIR sur les PME (Petites et moyennes entreprises) et les entreprises de taille intermédiaire en plafonnant le montant des subventions à un maximum de 50 millions – contre 100 millions aujourd’hui – va dans ce sens.

Cela permettrait de récupérer 3 milliards d’euros sur un total de coût du CIR de 7 ou 8 milliards. Là aussi, les appels à réformer vont au-delà du NFP, je pense notamment aux travaux du Conseil d’analyse économique (CAE), ou de Philippe Aghion et Xavier Jaravel.

Le NFP veut également faire payer les pollueurs, mais pour de faibles montants…

L. C. : La fiscalité écologique est importante mais elle peut avoir des effets inégalitaires. Pour les éviter, l’urgence, à mon sens, est de développer des alternatives de transport ou de chauffage bas-carbone accessibles à tous. Cela nécessite un fort investissement public, chiffré à 30 milliards d’euros supplémentaires par an dans le rapport rendu l’année dernière par Selma Mafhouz et Jean Pisani-Ferry. C’est notamment pour financer cela qu’il faut des recettes nouvelles, comme celles discutées plus haut.

Côté fiscalité écologique, le NFP cible les gros pollueurs, notamment via un prélèvement sur les émissions de l’aérien, un secteur qui demeure sous-taxé. Le NFP propose aussi de taxer la détention d’actifs polluants – ce qui nécessitera au préalable un travail de mesure. Enfin, est proposé un accroissement du versement mobilité payé par les entreprises aux collectivités pour leur donner des moyens d’investir dans la mobilité locale.

Que pensez-vous du projet de budget de Michel Barnier ?

L. C. : Le NFP fait porter l’essentiel de l’effort de maîtrise des comptes publics en agissant du côté des recettes, même si certaines dépenses peuvent sûrement être rationalisées. Du côté du gouvernement, c’est le grand flou. Bercy nous dit que les deux tiers de l’effort passent par les réductions de dépenses, mais le Haut conseil des finances publiques estime de son côté que 70 % provient des hausses d’impôts !

En tout état de cause, il y a une prise de conscience qu’une plus grande taxation, notamment des plus aisés, est souhaitable et faisable, c’est, je crois, une reconnaissance de la pertinence des analyses de la gauche. Malheureusement, le gouvernement ne va pas assez loin dans cette voie, cette taxation reste trop faible, ce qui impose de réduire fortement les dépenses, notamment au détriment des plus précaires. Je pense par exemple à la hausse de la part des soins chez le médecin restant à la charge des patients.

Enfin, le cadre budgétaire européen permet désormais d’étaler dans le temps l’ajustement budgétaire nécessaire. Selon les données du Haut conseil, le gouvernent réalise un effort de 42 milliards l’an prochain, bien plus que ce réclame une maîtrise des comptes étalée sur une période de sept ans. Je pense qu’il n’y a pas assez de débats sur le bon rythme d’ajustement.

Une trop forte réduction des dépenses aurait un effet récessif qui plomberait les recettes et réduirait la maîtrise des déficits. Un cercle vicieux qu’il faut absolument éviter.

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