Sur le campus de la faculté de gestion, économie et sciences de l’Université catholique de Lille, Manon rigole avec ses camarades autour de la machine à café. « On est des étudiants à l’université, personnellement, je ne vois pas trop de différences avec mes copains de lycée qui sont partis à l’université de Lille », affirme la jeune fille de 20 ans, en dernière année de licence de gestion dans cet établissement privé que tout le monde surnomme « la Catho ».
Mathieu, son camarade, hoche la tête. « On a des enseignements similaires, des cours magistraux et des travaux dirigés, des partiels qui nous font stresser… Et à la fin, on a le même diplôme. »
C’est d’ailleurs là-dessus que les étudiants – et leur établissement – insistent. Contrairement aux « bachelors » et « mastères » de l’enseignement supérieur privé, les universités catholiques peuvent délivrer certains diplômes nationaux, comme la licence, le master ou le doctorat, en passant des conventions avec les universités publiques. Une dérogation est parfois nécessaire :
« Lorsque ce conventionnement n’est pas possible, le rectorat met en place un jury qui vérifie la qualité des formations et l’habilitation à délivrer ces diplômes reconnus, explique Laurent Péridy, président-recteur de l’Université catholique de l’Ouest (UCO) et président de l’Union des établissements d’enseignement supérieur catholique (Udesca). C’est le cas pour l’UCO puisque l’Université de Nantes a décidé de cesser tout conventionnement car elle ne souhaite plus que des diplômes soient délivrés à des étudiants qu’elle n’a pas formés. »
Ces diplômes reconnus par l’État sont un critère important pour les établissements et les familles. « Nous assurons une mission de service public et nous sommes évalués par le HCERES, comme les autres universités publiques », souligne Laurent Péridy.
Ce dont atteste le label d’Établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général (Eespig) accordé par l’Etat, qui certifie également leur statut non lucratif.
« Ce label, vous pouvez le voir sur Parcoursup. Mais il est encore peu connu des élèves et des familles. C’est dommage parce qu’il veut dire beaucoup de la formation et de sa qualité », poursuit le président-recteur.
Un système de financement majoritairement privé
« Nous sommes la continuité des établissements privés sous contrat dans l’enseignement secondaire », pointe Patrick Scauflaire, président-recteur de l’Université catholique de Lille. Mais avec une différence de taille : les écoles, collèges et lycées sous contrat sont majoritairement financés par l’État, ce qui n’est pas le cas des universités catholiques.
Ces dernières perçoivent toutefois une petite subvention de l’Etat car, ayant le label Eespig, elles sont réputées remplir le cahier des charges des missions du service public de l’enseignement supérieur : assurer une formation initiale et tout au long de la vie, participer à l’orientation et l’insertion des étudiants, avoir une activité de recherche, diffuser une culture « humaniste », avoir une politique de coopération européenne et internationale… Le tout en ayant par ailleurs un statut non lucratif et en offrant des garanties d’indépendance de gestion.
« L’État nous verse une subvention d’environ 700 euros par étudiant, ce qui couvre de 10 % à 15 % de notre budget, explique Laurent Péridy. Nous fonctionnons essentiellement à travers les frais d’inscription, qui tournent autour de 5 000 euros par an. »
Il faut dire que la plupart de ces établissements proposent des frais indexés sur le quotient familial. Et prennent en compte le statut de boursiers. « C’est justement parce que certaines familles payent plus que nous pouvons en aider d’autres », précise Patrick Scauflaire.
Manon, elle, a dû débourser 7 000 euros annuels pour s’inscrire en licence de gestion. A trois stations de métro, l’Université publique de Lille aurait pu lui délivrer le même diplôme pour 200 euros. Mais l’étudiante a bien potassé ses leçons :
« Le fait que mes parents me payent mes études, j’ai l’impression que cela m’oblige à les mener à bien, c’est un processus que l’on voit en économie. Je leur dois de réussir, ou, en tout cas, de prendre ça au sérieux. »
Pour Mathieu – et « surtout » ses parents –, « le coût de la scolarité permet une certaine qualité de vie étudiante. On est bien moins nombreux dans les groupes et les amphithéâtres, les professeurs sont là pour nous. C’est plus compliqué dans le public où les étudiants peuvent avoir l’impression d’être noyés dans la masse. »
Cet argument, Sarah, conseillère d’orientation dans Lille et ses environs, le connaît bien :
« La plupart des familles, pas seulement les CSP+, ont peur que leur enfant ne soit pas bien accompagné dans le public. C’est aussi parce que l’image de l’université se dégrade, aussi vite que le budget qui lui est attribué. Alors, on préfère payer pour éviter cela, même si cette peur n’est pas forcément fondée. »
Un modèle pédagogique attractif
Les universités catholiques n’existent « que par le choix des familles », abonde Laurent Péridy. Selon l’Udesca, ce sont 72 000 étudiants qui y sont formés chaque année. « Ils nous choisissent et pas seulement contre les établissements publics. La preuve : nos universités datent de 1875 ! »
Ces établissements mettent en avant des modèles pédagogiques fondés sur les petits groupes, les projets et le tutorat, souligne le président de l’Udesca.
« Nos cohortes sont moins importantes que pour les universités publiques, ce qui nous permet de mettre en place un suivi au plus près de l’étudiant, que ce soit au niveau pédagogique mais aussi des services proposés par la fac. »
Et cela se traduit dans les parcours : au sein de la faculté de droit de la Catho de Lille, en première année, les étudiants ont une phase d’accueil de trois semaines, composée de séminaires et de cours méthodologiques.
Cela se ressent dans la réussite des étudiants, constatent les présidents-recteurs. À Angers, « 70 % de nos étudiants obtiennent leur licence en trois ans », vante Laurent Péridy. Un taux qui, là encore, rassure grandement les parents et les étudiants, souligne Sarah, conseillère d’orientation. Et qui peut aussi s’expliquer par la sélectivité des licences.
« Déjà sur Admission Post-Bac (APB), les licences de la Catho exigeaient les relevés de notes et refusaient certains élèves. Ça s’est généralisé avec Parcoursup et le manque de places », renchérit le président de l’Udesca.
Bien que les licences demeurent des cursus non sélectifs, le trop grand nombre de candidats pour le nombre de places implique de fait un classement des dossiers, explique Patrick Scauflaire.
Pour Mathieu et Manon, un argument les a convaincus de choisir « la Catho » : l’importance des stages. « C’est obligatoire dès la L1, explique l’étudiante. Moi j’ai adoré ! Ça m’a permis de voir comment fonctionne le monde du travail. J’ai pu aller dans une grande entreprise et une ONG. Je suis déjà en train de me renseigner sur l’endroit où je pourrais aller cette année. »
De l’autre côté, la fac publique peut avoir une image « plus théorique », avec « moins de possibilité de professionnalisation, constate Sarah. Là encore, ce n’est pas forcément vrai, mais les clichés peuvent être tenaces. »
Un « tiers secteur » non lucratif
Pour autant, les universités catholiques ne veulent pas être opposées aux universités publiques. « Nous sommes une alternative, pas un concurrent », estime Laurent Péridy. Et cette alternative n’est pas seulement sur des questions de religion, ni Manon, ni Mathieu, ni aucun de leurs amis se présentent comme croyants.
« Il y a la possibilité d’exercer sa foi au sein de l’établissement, ne serait-ce qu’à l’aumônerie. Mais ce n’est pas du tout la raison de mon attachement à la Catho », explique le jeune homme, dont les parents ne sont pas non plus croyants. « On ne discrimine pas selon la religion », assure Laurent Péridy.
Patrick Scauflaire, qui revendique un projet « avec des valeurs et une visée éducative universelle mais ancrée dans le terreau du catholicisme », parle volontiers de « tiers secteur » non lucratif. Pour le président-recteur de l’Université catholique de Lille, il convient de ne pas opposer de façon binaire le privé et le public.
« On oublie trop souvent le secteur privé non lucratif qui présente à la fois des avantages du secteur privé, comme la réactivité et la capacité décisionnelle, tout en étant protégé contre l’objectif unique du rendement économique, incompatible avec la logique de service public. »
Comme beaucoup d’établissements, les universités catholiques entendent bien clamer haut et fort leurs spécificités au sein de la jungle de l’enseignement supérieur privé.
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