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« La veille du premier tour des législatives, je rentrais du taf. Je me suis pris une beigne. » Samedi 29 juin 2024, Violetta (1) arrive chez elle après son service de barmaid, vers 1h du matin. Ces derniers jours, elle ressent des tensions en échangeant avec sa clientèle, et dans la rue. Elle entend des propos « plus virulents, parfois homophobes ». Ce soir-là, elle est habillée « de manière sobre, en civil ». « J’ai vu trois jeunes en bas de l’église à côté de ma porte. Ils parlaient du Nouveau Front populaire de manière assez virulente. Je n’arrivais même pas à savoir s’ils étaient majeurs. Quand ils m’ont vue, ils m’ont traitée de “PD” puis de “gauchiasse” ». Violetta ne veut pas « laisser passer » et répond : « T’es pas en âge de voter. » La contre-attaque est immédiate :

« Ils m’ont mis une claque pour me faire taire. »

L’agression a poussé la drag de 28 ans à s’éloigner de Rennes (35) le jour du second tour. « J’étais contente de ne pas être là pour les résultats. Je n’ai pas honte ni peur de manifester, mais je n’avais pas envie de me confronter à de la violence, je me sentais trop blessée. » Comme Violetta, Eva Porée, Dolly, Velma, Maya ou Soleil (1) et Sid ont toutes et tous vécu des agressions depuis des années, mais notent un changement depuis plus d’un an, qui correspond à une activité plus importante des groupes d’extrême droite dans la ville. Outre la banderole « Fuck LGBT », assortie d’un symbole néofasciste et affichée par une bande violente lors de la marche des fiertés en juin 2023, il y avait aussi eu des tags homophobes sur les murs de deux campus en janvier et novembre 2023. Là-encore, empreints de symboles ou références néonazies.

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Violetta, Eva Porée, Dolly, Velma, Maya, Soleil, et Sid vivent à Rennes. Toutes et tous ont déjà vécu des agressions, mais notent un changement depuis plus d’un an, qui correspond à une activité plus importante des groupes d’extrême droite dans la ville. /
Crédits : Yann Bastard

La bascule

« Au fur et à mesure que la culture drag s’est de plus en plus affichée ici, on a eu un contre-courant », note Eva Porée, qui fait du drag depuis les années 2000 au point d’être surnommée « la daronne de Rennes ». La ville s’est affirmée comme un des berceau du drag et de la culture queer – la diversité sexuelle et de genre », avec il y a six ans la formation du collectif Dragopole, un des initiateurs du mouvement en Bretagne. En plus de la banderole qui insultait la marche des fiertés, la drag queen pointe aussi l’action de l’Oriflamme – groupuscule d’extrême droite local, ex-section rennaise de l’Action française – qui a protesté durant une lecture de contes pour enfants par des artistes drags. « C’est là qu’on a commencé à se dire qu’il fallait vraiment faire attention. »

« La daronne de Rennes » a pourtant de l’expérience et a toujours préconisé à ses camarades de ne pas « sortir seul » en drag. Au mois de mai, elle a pourtant été « tabassée » par deux hommes, place des Lices. « En sortie de boîte, des mecs ont commencé à nous insulter, à nous dire qu’on n’avait pas le droit d’être là. Ils m’ont mis deux coups au visage ». Chez elle, elle découvre des marques au cou et à la mâchoire. « Je n’ai pas porté plainte, j’ai l’habitude. »

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À Rennes, LGBTQIA+ et artistes drag subissent les violences de l’extrême droite. /
Crédits : Yann Bastard

Les agressions

« Quand on fait partie de la communauté LGBTQI+ et que c’est physiquement visible, on subit plus de choses », indique Dolly, qui a subi une agression en juin dernier. On lui a craché dessus dans la rue, alors qu’elle rentrait de la laverie. « Je devais porter un crop-top, j’étais habillée queer. J’ai ressenti juste du dépit. Encore un. La journée continue », se souvient-elle. Du haut de ses 21 ans, elle paraît blindée. « Quand j’ai connu mes premières agressions, j’y repensais toute la journée. Maintenant, je passe vite à autre chose ». Néanmoins, si les violences sont « les mêmes que d’habitude », elles sont désormais « de plus en plus fréquentes ». Soleil organise régulièrement des dragshows dans un bar près de chez lui. Récemment, on lui a cassé une vitre de son appartement :

« Il y a vraiment eu un retour de la peur dans la communauté rennaise après les élections européennes. On entendait des conseils : “Rentrez en groupe, chargez vos téléphones pour appeler vos amis ou la police”. Ou encore : “Tu as entendu ? Il y a un tel qui a été agressé”. »

Ces pressions quotidiennes, il y pense tout le temps : « C’est très facile de savoir où j’habite. » Le mardi 11 juin, il a été « coursé par cinq gars », rue de Paris. La même semaine, cette expérience s’est reproduite quatre fois.

Sid, elle, habite la capitale bretonne depuis huit ans. « Avant ce soir-là, je n’avais subi que des agressions verbales, ou des menaces », assure la jeune femme. Il est entre 4 et 5 h du matin, à Rennes, vendredi 21 juin 2024. Sid s’extrait d’une bouche de métro à Charles-de-Gaulle. Après l’agitation brûlante de la fête de la musique, les rues sont calmes, c’est l’heure des sorties de boîte. Elle traverse le passage piéton, quand derrière elle, on siffle : « Ah, ça, ça aime sucer des bites ! » Un groupe de trois hommes et deux femmes, la vingtaine, la toise depuis le trottoir d’en face. L’un d’eux s’approche. « Je me suis foutue devant lui, il a collé sa tête à la mienne. D’instinct, je lui ai mis un coup de boule dans le nez, je n’ai pas réfléchi, c’est bête, je l’ai juste tapé », raconte-t-elle dans son salon, les mains repliées sur une tasse de café avec détachement. L’homme titube. Ils reviennent à la charge, à plusieurs. En un instant, Sid se retrouve plaquée à terre, visage écrasé contre le bitume. « Ils commencent à me frapper. Je leur crie : “Allez-y, tabassez-moi, vous êtes super courageux”. J’entends les deux meufs avec eux qui disent de me lâcher, d’arrêter, qu’ils vont me tuer. Ils me laissent, et crient des trucs du genre : “Les PD, retournez dans le placard”. J’étais sonnée, ça a dû durer une minute et demie. Dans ma tête, c’était un quart d’heure. »

Jusqu’à chez soi

Les actes de violences vont parfois jusqu’à passer la porte du domicile des victimes. Dolly vit en colocation avec Velma et Maya, dans un appartement en plein centre, en semi rez-de-chaussée. Jeudi 27 juin, trois jours avant le premier tour des législatives, « on fumait une clope à la fenêtre, on était habillées en drag, on rentrait d’un show ». Deux hommes, « assez baraqués », passent « en survêt noir, cagoulés. Ils nous lancent un œuf. Au début, on n’a pas compris pourquoi », décrit Dolly. Les colocs ferment la fenêtre et éteignent les lumières. « On coupe tout contact. » Dolly poursuit : « Trois-quarts d’heure plus tard, on rouvre, ils étaient encore là, ils nous lancent une canette de bière ». « Ils voulaient nous faire sortir de l’appartement, ils avaient envie d’en découdre », assure Maya.

« Ce n’est pas normal, ça fait peur. C’est de l’intimidation. Maintenant, dès que j’entends un bruit le soir, je ferme la fenêtre. Je fais plus attention à ce qu’il se passe dans la rue. Je vis là depuis trois ans, ça ne m’était jamais arrivé avant », soutient Dolly. Maya ressent elle un « sentiment d’insécurité », le trajet domicile-travail lui pèse.

Quant à Soleil, qui s’est fait courser plusieurs fois lors des législatives, il choisit de modifier ses itinéraires le soir. « Alors même qu’en juin, c’était le mois des fiertés, ça m’a vraiment refroidi de sortir en full drag. » Le vingtenaire glisse que, s’il n’a pas accès aux loges pour se changer aux dragshows, il appelle « des potes pour qu’ils [le] ramènent », prend une « tenue civile » et se démaquille « avant de partir ». « J’ai commencé à faire des trajets de plus en plus longs pour passer par des zones peuplées. Il y a des soirées où je décide de ne pas y aller car c’est trop loin », détaille Soleil.

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La percée de l’extrême droite en France déteint sur le quotidien des minorités depuis plusieurs mois. À Rennes, la communauté LGBTQIA+ subit de plus en plus d’agressions. /
Crédits : Yann Bastard

La ville « reste un bastion de gauche », mais l’aspect « safe » est écorché

Les victimes qui témoignent ici n’ont pas porté plainte à la suite des agressions. Dans la plupart des cas, cela relève du manque de confiance dans la justice et les forces de l’ordre. Le 15 juin 2024, la Pride rennaise était souhaitée plus politisée que d’habitude par ses organisateurs, compte tenu du contexte. La police a gazé le cortège, « pour la première fois de l’histoire de la marche des fiertés à Rennes ». En avril 2024, Paul Carton, chef du groupuscule L’Oriflamme, organisateur de la manifestation d’extrême droite en marge de la médiathèque de Saint-Senoux, a été relaxé (2) par le tribunal de Rennes. Eva Porée regrette :

« C’est incroyable qu’il soit sorti en appel. Ça a été le procès des drag queens. »

Originaire de Brest, Sid est venue à Rennes pour les études, pour « s’émanciper », mais surtout parce que la ville bretonne est « politisée et je savais que j’allais être safe ». « Rennes reste un bastion de gauche. C’est important de continuer à vivre comme on le fait », assure-t-elle. Et si son événement ne l’a « pas traumatisé, je ne me réveille pas en sueur la nuit », Sid rappelle que « sans nécessairement faire du drag, nous, femmes et hommes trans précaires, nous les gens de la vie de tous les jours, on est impactés. Ce n’est pas forcément une montée de la violence, mais une décomplexion », déplore Sid.

« Ça dépend de si je me suis rasée aujourd’hui, si je tiens la main d’une meuf, si je porte des bas résille, et d’à quel point on va voir ma peau. C’est le jeu de l’aléatoire. »

« De toute façon, faire partie d’une minorité, c’est politique », soutient Sid. Eva abonde en soupirant : « Ces gens qui te disent : “On vous voit trop, on vous entend trop”, pensent qu’on devrait vivre dans des boîtes de nuit bien fermées, et ne jamais voir le jour ». Dolly, elle, lève le poing :

« Ces agressions me donnent de la force. Oui, je suis là. Je ne vais pas disparaître. Tu veux me casser la gueule, fais-le. J’en ressortirai plus queer la prochaine fois. »

(1) Les prénoms sont les noms de scène des artistes drag, qui ont préféré apparaître ainsi.

(2) Paul Carton, chef du groupuscule L’Oriflamme, a été relaxé concernant les accusations d’organisation d’une manifestation non déclarée, de provocation à la haine en raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre.

Contactées, la municipalité de Rennes et la préfecture d’Ille-et-Vilaine n’ont pas donné suite à nos sollicitations.

Article d’Alice Gleizes avec les illustrations de Yann Bastard.

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