En 2022, Benoît Wuzyk projette d’acquérir un appartement. Cependant, à Rueil-Malmaison (92), les tarifs, avoisinant les 8 000 € le m², sont hors de portée pour lui. Il découvre alors qu’il peut bénéficier du bail réel solidaire (BRS). Grâce à ce dispositif, il réussit à obtenir, pour lui et sa famille, un 5 pièces dans son quartier, à 398 000 €, soit 4 200 € le m².

Benoît n’est propriétaire que des murs de son appartement. Le terrain sur lequel son immeuble est bâti appartient à un office foncier solidaire (OFS), à qui le Francilien verse une « redevance » mensuelle de 190 euros. En plus du prix d’achat réduit, le nouvel acquéreur était éligible, au moment de l’achat, à un prêt à taux zéro (PTZ) pour une partie de son emprunt. De quoi diminuer le coût de l’opération financière.

D’après le dernier rapport élaboré par le groupement « Réseau Foncier Solidaire », 1 012 logements en BRS étaient présents en France fin 2022. Qu’ils soient des appartements ou des maisons individuelles, la majorité d’entre eux sont neufs. En dissociant le foncier du bâti, cette structure immobilière assure des prix nettement inférieurs à ceux du marché « libre », offrant ainsi aux ménages plutôt modestes l’opportunité d’accéder à leur propre logement. À la fin de l’année 2022, le revenu fiscal de référence moyen d’un couple avec deux enfants était de seulement 29 507 €.

Les propriétaires BRS doivent occuper leur bien en tant que résidence principale, ce qui contribue à limiter le développement des résidences secondaires dans les zones où ils sont établis. Un autre objectif du dispositif est de lutter contre la spéculation. Les preneurs du bail ne peuvent pas revendre leur bien à n’importe quel prix. Ce dernier est plafonné au prix d’achat initial, augmenté d’une éventuelle plus-value limitée aux travaux d’amélioration. Le foncier, lui, échappe également à la guerre des prix, puisqu’il n’est pas revendu, mais conservé par l’OFS.

Un soutien crucial des collectivités

Le BRS a d’abord été instauré « dans les zones touristiques et les zones tendues des métropoles », précise Hélène Morel, autrice d’un mémoire-action sur les OFS. Le mécanisme a rapidement conquis les régions Nouvelle-Aquitaine, Bretagne et Normandie, qui à elles seules représentent les trois quarts des opérations.

« Si l’on peut acquérir sur le marché libre à 3 000 € le m², opter pour le BRS à 2 400 € avec une redevance à verser, ce n’est pas forcément attractif. Ce produit a moins de sens en Auvergne qu’en Île-de-France », souligne Jean-Emile Barra, directeur du développement et des relations institutionnelles chez Runimmo, une direction commerciale déléguée pour le compte de promoteurs et de bailleurs.

Cependant, le BRS n’est pas uniquement destiné aux milieux urbains, d’autant qu’il rencontre parfois des difficultés à se développer dans les zones les plus tendues.

L’engagement des collectivités locales se révèle alors un facteur clé de succès. Celles-ci agissent notamment pour favoriser l’accès au foncier pour les OFS, en mettant à disposition des « biens immobiliers appartenant à la collectivité », indique Suzanne Brolly, vice-présidente en charge de l’urbanisme de l’Eurométropole de Strasbourg.

Dans les départements de Vendée et Charente-Maritime, l’OFS Terra Noé « n’achète pas directement au prix du marché », confirme Michaël Jungers, directeur général de cette organisation.

« Nous accédons au foncier grâce aux volontés municipales : ce sont soit des terrains bradés, soit les maires réussissent à convaincre les propriétaires privés de vendre à des prix abordables. »

Certaines collectivités interviennent plus directement : « Notre plan local de l’habitat stipule que dans toute opération de construction de plus de 15 logements, une part doit être réservée aux BRS », souligne Nathalie Demeslay, responsable du service habitat de la métropole de Rennes. L’OFS « Rennes Foncier Solidaire », entièrement financé par Rennes Métropole, rachète alors des logements à l’aménageur responsable de l’opération.

Risques d’effets pervers

En l’absence d’aides publiques, d’autres OFS font appel à des emprunts de très longue durée auprès de la Caisse des dépôts. Ces prêts sont ensuite remboursés grâce à la célèbre redevance facturée aux ménages. « Plus le foncier est coûteux, plus la redevance sera élevée », observe Jean-Emile Barra. À l’inverse, les OFS qui ne recourent pas à l’emprunt réussissent à proposer des redevances très faibles – 0,15 € / m² à Rennes par exemple.

Arnaud Portier, directeur de l’EPFL Pays basque, met en garde contre les effets négatifs potentiels de ce système :

« Certains promoteurs en tirent parti pour faire grimper les prix du foncier, conscients que les collectivités s’aligneront pour pouvoir produire du BRS ». Pour cette raison, son OFS évite d’inclure des collectivités en son sein : « Nous ne souhaitions pas faire face à la pression d’élus désireux d’entreprendre des opérations en BRS, ce qui nous aurait contraints à racheter des terrains acquis par des promoteurs privés à des prix déconnectés de la réalité. »

Face à ces dérives potentielles, plusieurs OFS assument un rôle de régulateur, qu’ils aient recours ou non à l’emprunt. Certains fixent des prix plafonds pour l’achat de leur foncier. « Nous établissons nos prix d’achat sur la base d’une redevance se situant entre 1 et 1,50 € le m² », explique alors Mickaël Jungers.

Cette rigueur empêche parfois le développement de BRS dans des zones très tendues, où les prix demeurent trop élevés, d’autant plus sans soutien politique. « L’OFS ne peut pas à lui seul réguler les prix du foncier, c’est le rôle des collectivités », défend Juliette Grenier, chargée de mission à la Fédération des Coopératives HLM.

Les ménages modestes en danger d’exclusion ?

La montée des taux d’intérêt et des coûts de construction ces dernières années a poussé les autorités publiques à augmenter les plafonds de revenus des ménages éligibles aux BRS pour pouvoir proposer des biens à des prix plus élevés. Même si les prix réels des logements restent en dessous des plafonds légaux, cette révision pourrait exclure les accédants les plus modestes.

Selon les projets et le nombre de demandes, certains OFS établissent donc des critères additionnels : priorité aux familles monoparentales, aux primo-accédants… Le montant de la redevance influe également sur les profils des acquéreurs, explique Hélène Morel :

« Elle a le potentiel d’être solvabilisatrice : lorsqu’un bien propose une redevance très élevée et un prix de vente très bas, cela permet d’attirer des ménages avec une faible capacité d’endettement. »

Malgré ces garde-fous, d’autres facteurs risquent potentiellement d’exclure à long terme certains accédants modestes, comme le souligne Jean-Emile Barra. « Un ménage qui souhaite racheter un logement en BRS à un premier acquéreur devra être éligible au dispositif, mais n’aura ni accès au PTZ, ni aux autres avantages fiscaux », rappelle-t-il.

Par ailleurs, certains observateurs s’inquiètent de la situation des revendeurs qui pourraient se retrouver « bloqués à vie » dans des BRS puisqu’ils ne peuvent réaliser de plus-value à la revente et, par conséquent, s’aligner sur des prix de marché, qui ont souvent considérablement augmenté entretemps.

Face à tous ces défis et à la grande flexibilité permis par la loi de 2014, les OFS demeurent les garants d’une application réfléchie du dispositif. Bien qu’ils semblent accomplir leur mission de manière satisfaisante, certains peinent à développer de nombreuses opérations faute de soutien politique ou bancaire. De plus, à ce jour, le BRS reste encore peu connu des ménages.

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