« On n’a pas retenu nos larmes. » Au téléphone, Aliou (1) est encore sonné. Pendant cinq jours, il a attendu que sa cousine Dali (1), 11 ans, soit libérée de rétention. La fillette va enfin pouvoir découvrir sa chambre préparée avec soin dans un appartement à Montreuil (93), où elle va vivre avec son père et ses deux sœurs. Dans sa décision du 23 octobre, le juge des référés du tribunal administratif de Melun (77) a demandé à l’administration de permettre « sans délai son entrée sur le territoire français et de lui restituer, à titre temporaire, son passeport ».

Le cauchemar de Dali, raconté également par Mediapart, débute le 19 octobre. La fillette vient d’atterrir à l’aéroport d’Orly (94) en provenance de Dakar, au Sénégal. Elle s’apprête à rejoindre son père installé en France depuis une vingtaine d’années. Le temps qu’il rentre de ses vacances au Sénégal, c’est Aliou qui est chargé de l’accueillir :

« Son vol avait du retard et, en l’attendant, je n’arrêtais pas d’activer et d’éteindre la caméra de mon téléphone. Je voulais filmer ses premiers pas en France. Ça devait être un moment joyeux ! »

Arrivée au guichet, la jeune voyageuse présente son passeport français qu’elle gardait bien rangé dans son sac à dos. Quelques minutes plus tard, la police aux frontières (PAF) lui retire son document d’identité et Dali est placée en zone d’attente, un lieu de privation de liberté où sont maintenues des personnes ne remplissant pas les conditions d’entrée sur le territoire.

À LIRE AUSSI : Enfermés à l’aéroport de Roissy

« Son père, sa sœur et ses deux frères majeurs sont Français »

« La police m’a appelé et j’ai été convoqué par la PAF qui m’a posé plein de questions », rembobine Aliou. « Je commençais à avoir peur. » Une situation d’autant plus incompréhensible que la petite Dali est inscrite sur le registre des Français établis hors de France depuis le 26 février 2014 et dispose du précieux passeport bordeaux délivré le 31 janvier 2020. « Son père, sa sœur et ses deux frères majeurs sont français en raison du fait que leur grand-père l’était », explique maître Samy Djemaoun, avocat au barreau de Paris.

« Leur nationalité n’a jamais été remise en cause alors qu’elle a été acquise sur le même fondement juridique. C’est d’ailleurs ce qu’a relevé le juge des référés du tribunal administratif de Melun. »

Afin de justifier sa décision, le ministère de l’Intérieur mentionne un courrier datant du 29 juin 2020 adressé aux représentants légaux de Dali. Il les informait de la non-délivrance d’un certificat de nationalité française à leur fille. Le motif : les preuves que son grand-père résidait ou avait ses attaches en France après l’indépendance du Sénégal en 1960 étaient insuffisantes. Sauf que la famille assure ne pas être au courant. « Il y a marqué “AR”, mais je n’ai pas le bordereau, donc je n’ai aucune preuve de la régularité de ces envois », proteste l’avocat. Autre détail important : la lettre aurait été expédiée à Dakar alors que le père habite à Montreuil. Contacté par StreetPress, le ministère de l’Intérieur n’a pas répondu à nos sollicitations.

Des chips, de l’eau et une compote

Le temps que sa situation administrative soit vérifiée, Dali connaît des conditions de vie dégradantes. « J’allais la voir tous les jours. Je peux vous dire que je ne souhaite pas ça à mon pire ennemi », tacle Aliou. Flanquée d’une nourrice mandatée par la compagnie aérienne, sa cousine se retrouve coincée dans un espace réservé aux enfants large de 3 mètres carrés, caché derrière le poste de police. À peine la place d’y mettre deux fauteuils et quelques jeux éparpillés. « L’espace séparé par un paravent est très exigu de sorte qu’il n’est pas possible d’y enfermer plus de deux enfants », s’agace Charlène Cuartero, coordinatrice des missions dans les zones d’attentes de l’Anafé, association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers.

La journée, Dali s’ennuie. Elle ne peut ni accéder à la cour grillagée, réservée aux personnes majeures, ni appeler sa famille – le téléphone mural ne sert qu’à recevoir des coups de fil. Et ce n’est pas le repas qui la réconforte : des chips, de l’eau et une compote. Aliou qui est venu tous les midis raconte :

« Elle n’aimait pas les barquettes réchauffées. La première fois, je lui ai apporté un poulet-frites maison. Elle l’a dévoré, car elle avait très faim. Les autres jours, la police m’a demandé d’acheter des plats en grande surface, tickets de caisse à l’appui. »

« C’est effrayant de voir les conséquences de l’enfermement sur les enfants »

Le soir, la fillette est transférée à 21 heures dans sa chambre d’hôtel, face à l’aéroport. Elle en est extraite dès 6 heures le lendemain. À sa famille, Dali se plaint de la fatigue et de nouveaux boutons sur le visage. « Elle se douchait à l’eau, car elle n’avait pas de savon, et je la voyais avec les mêmes vêtements tous les jours », déclare le cousin, ému.

Si Dali dort maintenant dans son lit, d’autres enfants sont toujours enfermés. À la publication de ce papier, deux mineurs étaient encore retenus à Orly et douze attendaient leur libération à Roissy, d’après l’Anafé. Tous en sortiront éprouvés. « C’est effrayant de voir les conséquences de l’enfermement sur les enfants. Certains deviennent mutiques, d’autres agressifs ou hyperactifs », déplore Charlène Cuartero. Si ces pratiques sont désormais interdites en centre de rétention administrative (CRA), la loi autorise la privation de liberté des mineurs accompagnés et isolés en zone d’attente. « C’est la frontière et donc ce n’est pas le même régime juridique que la rétention administrative », précise Charlène Cuartero. Sur ce volet, la France a déjà été condamnée onze fois par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Sans succès.

À LIRE AUSSI : Les LRA, zones de non-droit où sont enfermés des sans-papiers

(1) Les prénoms ont été modifiés. StreetPress a selectionné les mêmes que dans l’article de Mediapart, paru le 23 octobre

Photo d’illustration de la zone d’attente de Roissy, prise par Yann Castanier lors d’un reportage en 2017.

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