C’est une mode qui coûte très cher, pour le portefeuille, le climat et les ressources minières. Les SUV, acronyme anglais de « véhicule utilitaire sportif » ont pris le pouvoir sur le marché automobile. Une promenade au Mondial de l’auto, qui se tient à Paris du 14 au 20 octobre, suffit à s’en rendre compte : la plupart des constructeurs proposent un nombre croissant de SUV dans leur gamme.
Un positionnement commercial logique, car ces modèles plus coûteux leur offrent des marges plus confortables à leurs fabricants. Au vu de la progression des parts de marché des SUV en France et dans le monde, ce choix semble d’ailleurs plébiscité par les automobilistes. C’est ce que confirme un récent rapport du WWF et de l’UFC-Que Choisir, consacré au phénomène et à ses conséquences.
Quatre ans après un premier rapport qui alertait sur l’impasse écologique de cet engouement pour les SUV, les nouvelles données compilées dans le document confirment la tendance. Et l’inquiétude.
« Par rapport au reste des ventes, les SUV mis en circulation depuis 15 ans sont 20 % plus lourds, 30 % plus puissants, [affichent] 10 % de prise au vent supplémentaire, [sont] 20 % plus émetteurs de CO2 avant leur hybridation massive et 50 % plus chers », note le rapport.
Surtout, ils sont toujours plus nombreux, étant devenus au terme de ces quinze ans la catégorie de véhicules la plus vendue en France, de loin.
Petits, moyens et gros SUV
Les effets de cette montée en puissance des SUV se font sentir sur tout le parc. Alors que le poids moyen des voitures particulières vendues commençait enfin à diminuer à partir de 2007 – après des décennies d’augmentation – il s’est mis à stagner dans les années 2010 et est reparti fortement à la hausse depuis la fin des années 2010.
Cette hausse du poids moyen est liée à la fois à la « suvisation » des ventes automobiles françaises, mais aussi à l’arrivée progressive des véhicules électriques, plus lourds à modèle égal. En matière d’électrification, les SUV ne dérogent pas à la règle, et sont même le segment qui compte, en proportion, le plus de modèles électriques et hybrides dans les ventes de véhicules neufs en France, selon le rapport.
Mais si l’électrification du parc automobile est, de manière générale, une bonne nouvelle sur le plan climatique, sa « suvisation » en est une mauvaise. Car, d’une part, tous les SUV ne sont pas électriques, loin s’en faut.
D’autre part, même si une part croissante de ces gros modèles sont équipés de batteries, ils émettent en moyenne plus de CO2 au kilomètre que les modèles concurrents du même segment (qui eux aussi s’électrifient). Sans parler de l’impact sur les ressources minières nécessaires à la fabrication des batteries, forcément plus élevé pour les SUV que pour des modèles plus légers…
C’est l’intérêt du rapport de WWF et UFC-Que Choisir : il analyse les SUV non pas comme une nouvelle catégorie sur le marché, mais comme un type de véhicule qui entre en concurrence avec d’autres modèles sur chaque segment, des petites citadines aux grandes berlines.
Quand ils ont débarqué sur le marché, les SUV étaient généralement des mastodontes. Aujourd’hui, des « petits » SUV concurrencent des citadines et des « moyens » SUV font la nique aux berlines (et ont eu la peau des monospaces).
Pour le mesurer, le rapport répartit les voitures en trois grandes catégories (et six sous-catégories) : petit gabarit (A et B), moyen gabarit (C) et grand gabarit (D, E et F). Par exemple, la Dacia Spring est un SUV de catégorie A, qui concurrence des petites berlines comme la Renault Clio. Tandis que le Nissan Qashqai est un SUV de catégorie C, qui concurrence plutôt la Renault Megane. Quant au Peugeot 5008, un SUV de catégorie D, il entre en concurrence avec, par exemple, la Ford Mondeo.
Et quand on mesure les émissions à la sortie des pots d’échappements, les SUV perdent systématiquement contre leurs concurrents du même segment.
« Entre 2009 et 2023, les émissions de CO2 de toutes les catégories de carrosseries ont diminué, sous l’effet des efforts des constructeurs pour se conformer aux normes européennes CAFE. Cependant, les SUV restent systématiquement plus émetteurs que les autres types de carrosseries dans chaque segment : + 14 % dans le segment B, + 15 % dans le C, + 18 % dans le D, avec une moyenne pondérée des ventes de SUV supérieure de 15 % », détaille le rapport.
Des choix commerciaux déterminants pour la trajectoire climatique française
Bref, sans les SUV, les émissions moyennes des véhicules neufs auraient pu diminuer beaucoup plus ces quinze dernières années. Le document rappelle d’ailleurs que, sur la décennie 2010-2020, les SUV ont été la deuxième source de croissance des émissions de CO2 dans le pays. Et de résumer le problème ainsi :
« Inutilement lourds, les SUV continuent de paralyser l’effort français de lutte contre le réchauffement climatique. »
« Alors que la France s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de manière significative d’ici 2030, l’explosion des ventes de SUV est une tendance alarmante, incompatible avec nos ambitions climatiques », analyse pour sa part Véronique Andrieux, directrice du WWF France.
Le rapport appelle donc à « des politiques publiques ambitieuses et une mobilisation des constructeurs pour proposer des véhicules légers, abordables et écologiquement responsables ».
Or ce n’est visiblement pas la direction prise par les constructeurs tricolores. Si ces derniers ont vu leurs parts de marché s’effriter petit à petit ces dernières années, ils dominent toujours le marché français. Et leurs choix commerciaux influencent toujours lourdement la trajectoire climatique du pays.
Logiquement, ce sont donc les constructeurs français qui, dans l’absolu, vendent le plus de SUV, même si la part de SUV dans leurs ventes en France est moins élevée que chez leurs concurrents étrangers.
Malgré ce relatif avantage des groupes français, qui maintiennent une offre conséquente de petites citadines, un autre problème se pose : les constructeurs ont pris beaucoup de retard dans l’électrification de leurs gammes. Si bien qu’en moyenne, leurs véhicules vendus émettent en moyenne plus de CO2 à l’usage que des constructeurs étrangers qui vendent, en proportion, plus de SUV…
C’est par exemple le cas de Citroën : ses ventes en France en 2023 ne comptent « que » 35 % de SUV (la plus faible proportion parmi le top 14 des vendeurs de voitures en France), mais ils émettent en moyenne 147 grammes de CO2 par kilomètre (la deuxième plus forte moyenne du top 14).
Ces chiffres ne font que confirmer le fait que la décarbonation de l’automobile doit, pour être optimale, rouler sur ses deux essieux : l’électrification des modèles, et la nécessaire diminution du poids des véhicules.