Quand Volkswagen prend froid, c’est toute l’Allemagne qui s’enrhume. Le géant allemand de l’automobile, qui pèse d’un poids considérable dans l’économie du pays, traverse en effet une crise sans précédent : financière, mais également industrielle, sociale et de gouvernance.

Après l’effondrement de la marge opérationnelle du groupe au premier semestre 2024 à 2,3 % contre 3,8 % en 2023, loin des objectifs fixés par l’entreprise (6,5 %) et la baisse des ventes de véhicules électriques d’un quart au premier trimestre 2024 par rapport à la même période l’an dernier, pour la première fois depuis sa création, le groupe a annoncé la fermeture de plusieurs sites, y compris en Allemagne, ainsi qu’un plan drastique de réduction des coûts au niveau mondial.

La tension est à son comble avec les syndicats allemands, qui refusent le détricotage de son modèle social. Rappelons d’abord les caractéristiques du modèle Volkswagen (VW), qui en fait une entreprise unique en son genre.

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Aux origines du modèle Volkswagen

Fondée dans les années 1930, sous le régime nazi, pour développer une « voiture du peuple » – la future « Coccinelle » –, l’entreprise fait peau neuve au sortir de la Seconde Guerre mondiale en devenant la vitrine sociale et économique de la République fédérale d’Allemagne (RFA).

Volkswagen incarne plus que toute autre grande entreprise allemande le modèle de codétermination à l’allemande (mitbestimmung), où les représentants des salariés détiennent 50 % des sièges au conseil de surveillance.

Chez VW, le betriebsrat (conseil d’entreprise) est l’instance où les décisions stratégiques sont prises de concert avec les représentants du puissant syndicat de la métallurgie, l’IG Metall, fort de ses 2,2 millions de membres.

Ce système de gouvernance a surmonté différentes crises, négociant une réduction du temps de travail dans les années 1990 assortie de baisses de salaires, à un moment où l’entreprise affrontait des difficultés économiques, afin d’éviter les licenciements.

Les salariés bénéficient de conditions de travail avantageuses : des accords de protection de l’emploi où les réductions éventuelles d’effectifs se font par le biais de retraites anticipées et de ruptures conventionnelles, des salaires en moyenne de 10 % supérieurs à ceux du secteur et près de 50 % des emplois du groupe en Allemagne (300 000 sur 684 000), où aucune usine de la marque n’a jamais fermé jusqu’à aujourd’hui.

Une telle gouvernance n’aurait pas été possible sans un modèle industriel et économique performant. Pendant des décennies, le groupe a incarné le « made in Germany » avec son slogan publicitaire « das Auto », synonyme de qualité.

Aux marques historiques du groupe (Volkswagen, Audi, Porsche) sont venues s’ajouter au fil du temps différentes acquisitions comme Seat et Skoda, et une implantation industrielle réussie en Chine, permettant au constructeur de devenir, un temps, dans les années 2010, le leader mondial de l’automobile.

La bascule du « dieselgate »

Le premier point de bascule est le scandale du « dieselgate », découvert fin 2015 aux Etats-Unis, qui affecte gravement la réputation de l’entreprise. On découvre alors que, pour améliorer les performances des véhicules et baisser la consommation de carburant, l’entreprise a introduit un logiciel truqueur dans ses véhicules qui active la fonction dépollution pendant les phases d’homologation, et la désactive en phase d’usage.

Résultat : les émissions de polluants atmosphériques (oxydes d’azote et particules fines en particulier) en conditions réelles peuvent représenter 40 fois les seuils réglementaires autorisés. Or, ces polluants, à l’origine de problèmes respiratoires et classés depuis 2012 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme cancérigènes, représentent un danger pour la santé des populations.

Face à la pression de la commission d’enquête sénatoriale et de l’agence de protection de l’environnement américaine (EPA), les dirigeants du groupe allemand reconnaissent la triche et acceptent de payer une amende record. Depuis dix ans, le scandale a coûté au groupe plus de 30 milliards d’euros en amendes et dommages et intérêts aux Etats-Unis et en Europe.

L’affaire est loin d’être close puisque différents procès sont toujours en cours, notamment en France. Quant à la technologie diesel, ce scandale lui a porté un coup sérieux, les normes antipollution ayant été durcies et la fiscalité avantageuse sur ce carburant fortement réduite.

Le scandale déstabilise le modèle industriel du groupe, largement fondé sur la vente de véhicules diesel. Il faut de toute urgence opérer le virage de l’électrique pour redorer l’image de l’entreprise et assurer ses objectifs de décarbonation.

Des choix stratégiques hasardeux

Des plans d’investissements colossaux dans l’électrique sont annoncés à partir de 2018 avec le lancement de plus de 25 modèles d’ici à 2030 et l’annonce de la construction de six gigafactories (méga-usines). Pendant quelques années, le nouvel eldorado chinois, qui assure volumes et marges au groupe, compense les pertes du « dieselgate ».

Paradoxalement, la crise sanitaire n’affecte pas ses marges. Après les compensations de la mise à l’arrêt des usines pendant la crise du Covid-19, les pénuries de composants électroniques ont engendré un excédent de la demande face à une offre limitée, permettant aux constructeurs de vendre leurs véhicules au prix fort.

Mais, depuis deux ans, la situation s’est brutalement dégradée. Le marché automobile ralentit, en particulier celui des véhicules électriques en Europe, dont les ventes stagnent. La stratégie de montée en gamme des constructeurs européens se heurte aux limites de pouvoir d’achat des clients et aux restrictions imposées à la circulation des gros véhicules dans les grandes métropoles.

Quant à la Chine, Volkswagen y subit de plein fouet le ralentissement de la demande et la concurrence accrue de constructeurs locaux capables de vendre des véhicules électriques à des prix beaucoup plus attractifs.

Dans l’électrique, le constructeur accumule même les déboires. Sa filiale Cariad fondée en 2020 pour développer une plate-forme logicielle, multiplie les bugs et les retards. Le choix industriel de batteries haut de gamme s’avère être un échec : les véhicules sont trop chers à produire (10 000 euros de plus que leurs équivalents thermiques), et leur fabrication est dépendante des composants chinois.

Les marges fondent et les ventes stagnent

L’entreprise doit également faire face, jusque sur son marché domestique et comme ses concurrents européens, à la concurrence agressive de constructeurs chinois, BYD notamment, qui proposent des véhicules à des prix bradés. Pas sûr que l’annonce récente d’un relèvement des taxes douanières par l’Union européenne serve les intérêts de Volkswagen, très exposé à des mesures de rétorsion des autorités chinoises.

Preuve des difficultés du groupe, les véhicules électriques représentent moins de 5 % de ses ventes (380 000 véhicules sur neuf millions), loin des leaders mondiaux que sont BYD et Tesla et de l’objectif de produire trois millions de véhicules électriques en 2030, alors que se rapproche la fin programmée des véhicules thermiques décrétée par la Commission européenne en 2035.

Pire, ses ventes de véhicules électriques ont baissé d’un quart en Europe au premier trimestre 2024, contrairement à la plupart de ses concurrents. Compte tenu du poids encore déterminant des véhicules thermiques et des SUV dans ses ventes, et de la faiblesse des véhicules électriques, l’entreprise est particulièrement exposée aux amendes pour les constructeurs dont les émissions de CO2 moyennes dépassent les normes édictées par l’Union européenne.

La combinaison de ces facteurs précipite aujourd’hui Volkswagen dans le rouge. Tandis que les marges fondent et que les ventes stagnent, l’entreprise envisage une remise à plat de son modèle social et industriel.

Outre les fermetures d’usine et les réductions d’effectifs, elle considère un virage industriel : gel de l’ouverture de trois nouvelles gigafactories et développement de petits véhicules à bas coûts. De la capacité de l’entreprise à opérer cette transition dépend probablement la survie d’un modèle social et industriel aujourd’hui fragilisé.

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