« Il existe une conviction quelque peu déraisonnable quant aux capacités de la proportionnelle à résoudre tous les problèmes », débute le politologue Rémi Lefebvre. Ce point de vue est également partagé par Camille Bedock, chercheuse au CNRS au Centre Emile Durkheim : « C’est fréquemment lors de phases secouées par des changements électoraux que ce genre de réformes émerge. Cependant, si l’objectif de la proportionnelle est de permettre de sortir du blocage actuel, cela n’est pas réalisable. La proportionnelle ne fait que refléter, de manière plus précise qu’une représentation majoritaire, l’état des forces politiques d’un pays. »

Suite à une période où le pays est resté sans gouvernement pendant cinquante et un jours, l’idée du vote proportionnel a refait surface. Lors de son discours de politique générale, le 1er octobre, le Premier ministre Michel Barnier a déclaré être « disposé à une réflexion et une action pragmatique sur le scrutin proportionnel ».

Sur le plan théorique, cette mesure semble même susciter un consensus entre différents partis politiques : elle figure dans le « contrat de législature » du Nouveau Front populaire (NFP) et dans le programme du Rassemblement national (RN), tout en étant soutenue depuis longtemps par des élus du Modem, tels que François Bayrou.

« Le système majoritaire à deux tours, tel qu’il est actuellement, repose sur l’idée qu’il doit permettre l’émergence d’une majorité. Or, cela fait deux fois de suite qu’il échoue à réaliser cet objectif », commente Camille Bedock.

Une possible légitimité accrue ?

Bien qu’il ne s’agisse pas d’une panacée, le passage à la proportionnelle pourrait avoir divers impacts sur la vie politique. En premier lieu, il apporterait une réponse au manque de légitimité démocratique causé par le scrutin uninominal majoritaire, où seul le candidat en tête est élu.

« Ce scrutin présente le problème d’accorder un avantage à des forces politiques qui ont une base faible au sein de la société. Cela rend les décisions prises au nom du vote peu légitimes. La proportionnelle favoriserait davantage un vote par adhésion, dont les effets se traduiraient directement en termes de voix », analyse Rémi Lefebvre.

Ce déficit de représentation pourrait effectivement amener les électeurs à penser que leur voix n’a pas d’importance, ce qui incite à des comportements de « vote utile » mais également à l’abstention.

« Lorsque la gauche est divisée, paradoxalement, le total des voix est légèrement supérieur à quand elle est unie, remarque le doctorant Stéphane Fournier. Certains électeurs préfèrent voter pour Emmanuel Macron au lieu d’une coalition comprenant LFI. Cependant, s’ils ont la possibilité de choisir, ils pourraient revenir vers un vote PS. »

Les exemples parmi nos voisins européens sont nombreux, allant de scrutins où les électeurs votent deux fois à des systèmes leur permettant de modifier l’ordre de la liste, rayer des noms ou même en ajouter.

Ainsi, le scrutin proportionnel pourrait offrir une représentation plurielle moins déformée du vote, davantage au bénéfice des petits partis. En donnant de l’importance à toutes les forces politiques, quelle que soit leur taille, la proportionnelle obligerait aussi les partis à négocier après l’élection pour atteindre des compromis dans le cadre d’une coalition, réduisant ainsi la dépendance aux alliances préélectorales.

Négocier pour gouverner

C’est l’un des arguments fréquemment évoqués par ses défenseurs, comme l’explique le politologue Frédéric Sawicki : « Cela inciterait les partis à reconnaître qu’ils représentent 10, 15, 30 % de l’électorat et qu’ils doivent négocier entre eux. Prenons l’exemple de 2012 : bien qu’il y ait eu une alliance entre François Hollande et les écologistes, ces derniers ont été réduits à un rôle d’allié temporaire, ayant peu d’influence sur la politique gouvernementale. »

Dans les autres pays de l’Union européenne où le scrutin est proportionnel ou mixte, les gouvernements de coalition assurent souvent une stabilité plus grande qu’en France, note la constitutionnaliste Marie-Anne Cohendet.

« En Allemagne, au Luxembourg ou en Suède, les gouvernements sont souvent en place pendant cinq ans, tandis qu’en France, ils ne durent que dix-huit mois. La vie politique est moins agressive, car chaque parti apprend à ménager ceux dont il pourrait avoir besoin demain », écrit-elle .

Un revers pour certains : « Je serais enclin à penser que la proportionnelle favoriserait des compromis au centre et mènerait à une politique plus modérée », conclut Rémi Lefebvre.

Parmi les critiques courantes, les opposants soulignent le pouvoir que les partis auraient dans l’élaboration des listes et le risque d’un désancrage territorial des députés. Avec un scrutin proportionnel intégral, on ne voterait plus pour un candidat enraciné dans sa circonscription, mais pour une liste de candidats élaborée au niveau national. Les partis seraient incités à privilégier des figures médiatiquement identifiées au détriment de candidats issus de départements moins influents électoralement.

« C’est déjà en partie le cas, notamment avec l’arrivée de députés LFI, Renaissance ou RN sans grands liens territoriaux, mais le risque est d’accentuer cette dynamique », ajoute encore Rémi Lefebvre.

Un risque à tempérer, selon Camille Bedock : « Le problème est que l’on évoque la notion de “la” proportionnelle au singulier, sans prendre en compte la multitude de modalités possibles qui pourraient donner des résultats complètement différents. »

Une multitude de modalités

Taille des circonscriptions, liste ouverte ou fermée, part proportionnelle ou majoritaire, seuil d’accès au Parlement… Bien qu’il existe un consensus apparent sur le principe de la proportionnelle, les modalités pratiques de ce scrutin, qui ont des conséquences non négligeables, sont peu débattues dans le discours public et au sein des partis. La première de ces modalités concerne les circonscriptions.

« Plus la circonscription est petite en termes de population, moins le scrutin sera proportionnel. Actuellement, beaucoup de départements en France ont 2, 3 ou 4 députés. Les petits partis qui obtiennent moins de 10 % dans ces départements n’auraient aucune possibilité de décrocher un siège », commente Frédéric Sawicki.

À l’échelle nationale, en revanche, une représentativité plus fidèle pourrait être offerte, bien que cela risquerait de déconnecter davantage les députés des territoires. Le niveau régional pourrait représenter un compromis.

Un second « détail » technique : le seuil d’accès au Parlement. À partir de quel pourcentage de voix un parti peut-il être représenté à l’Assemblée ?

« Il existe des pays, comme les Pays-Bas ou Israël, où la proportionnelle est intégrale ou quasi intégrale ; un parti qui atteint 3 % des voix peut donc jouer un rôle clé dans la composition d’une majorité, pesant bien plus que ce qu’il représente réellement dans le pays. C’est le cas des partis religieux d’extrême droite en Israël, dans la coalition de Benyamin Netanyahou », illustre Frédéric Sawicki.

Inversement, de nombreux pays européens comme la Suède ont choisi d’établir un seuil de représentativité autour de 5 %, afin d’éviter de donner un poids excessif à des partis ultra-minoritaires ou fantaisistes.

Enfin, la question de la prime accordée à la liste arrivée en tête, modalité actuellement défendue par le Rassemblement national, entraînerait une déproportionnalisation partielle du scrutin.

La présidentielle en question

Cependant, une telle réforme est-elle pertinente sans une restructuration complète des institutions de la Ve République ? « Si l’objectif est de rééquilibrer le pouvoir, de rendre le système plus représentatif et moins personnalisé, il est clair que la proportionnelle, à elle seule, ne répondrait qu’en partie au problème », souligne Camille Bedock.

Le principal obstacle réside dans la place de l’élection présidentielle dans la vie politique française. Le scrutin majoritaire actuel permet souvent au président de former une majorité pour cinq ans. Le système en vigueur favorise les forces politiques qui accèdent aux responsabilités.

Dans ce contexte, selon le doctorant Stéphane Fournier, passer à la proportionnelle sans modifier la nature du régime pourrait même renforcer les pouvoirs du président de la République.

« Le chef de l’État est quasiment irresponsable, car il ne peut être destitué, mais il a le pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale. En cas d’instabilité ou de conflits, il aurait alors un avantage en disposant de pouvoirs étendus, et pourrait, à sa guise, défaire et reconstruire les majorités… »

Pour d’autres, comme Frédéric Sawicki, « le changement de mode de scrutin serait déjà en soi un outil formidable pour faire évoluer notre pratique institutionnelle vers plus de démocratie ». Un point considérable à court terme : le nouveau mode de scrutin pourrait être adopté par une simple loi ordinaire, sans nécessiter de modification de la Constitution.

Dans le contexte actuel, il est difficile de ne pas reconnaître que le Rassemblement national pourrait tirer son épingle du jeu grâce à ce changement. Avec la proportionnelle, le nombre de ses députés pourrait grimper de 120 à 200. Cependant, cette projection ne prend pas en compte une éventuelle adaptation de l’électorat à ce mode de scrutin.

Rappelons finalement qu’au cours des quarante dernières années, le scrutin majoritaire a contribué à sous-représenter le parti d’extrême droite, sans pour autant freiner sa montée.


Comment fonctionne le vote chez nos voisins européens ?

La plupart des États membres de l’Union européenne optent pour un scrutin proportionnel lors des élections législatives. Les Pays-Bas utilisent le système le plus proportionnel, avec une unique circonscription nationale pour les 150 sièges à pourvoir.

En Pologne, les électeurs choisissent plusieurs candidats dans leur circonscription, qui peuvent appartenir à des partis différents. Les 460 sièges sont alors attribués aux partis dont les candidats ont reçu le plus de votes individuellement, à condition que ces partis atteignent le seuil de 5 % des votes valides, seuil également appliqué en Belgique et en Slovaquie.

La Suède utilise quant à elle un système de « compensation » : 310 sièges sont attribués selon les circonscriptions, et les 39 sièges restants sont ensuite distribués pour corriger les déséquilibres.

Enfin, la Hongrie, l’Italie, la Lituanie et l’Allemagne appliquent des scrutins mixtes, combinant des éléments des systèmes majoritaire et proportionnel. En Allemagne, chaque citoyen vote deux fois sur un même bulletin : une première fois pour un candidat de sa circonscription ; une seconde fois pour une liste de candidats présentée par un parti. Les sièges à l’Assemblée sont d’abord attribués aux candidats élus par la première voix, puis à ceux de la liste du parti élus par la seconde. « Il existe une multitude de solutions possibles, conclut le politiste Frédéric Sawicki. Les dispositifs ne manquent pas pour redonner du pouvoir aux citoyens. »

La proportionnelle, solution magique pour guérir la crise démocratique ?

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