Dans le cadre de la discussion budgétaire, Bercy a publié le 24 octobre un document très attendu : la stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale (SPAFTE). Il s’agit d’une nouvelle obligation du gouvernement, introduite dans la loi en 2023 et qui répond à une demande portée depuis de longues années par nombre d’élus et organisations expertes ou militantes engagés pour le climat.
En effet, pour atteindre ses objectifs climatiques de long terme, la France s’était dotée, avec la loi de 2015 sur la croissance verte, d’outils de planification à court et moyen terme : la SNBC (stratégie nationale bas carbone, qui fixe une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre) et la PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie, qui définit les objectifs de production des énergies décarbonées). En revanche, elle n’avait jamais réussi, jusqu’ici, à s’équiper d’un instrument de planification des moyens à mettre en face des objectifs.
Bien sûr, la SPAFTE, annexée au projet de loi de finances, n’est pas une loi de programmation pluriannuelle des financements pour la transition écologique, ce dont beaucoup rêvaient. Ce document d’orientation, pas plus que la SNBE et la PPE, n’est juridiquement contraignant. Mais, pourrait-on ajouter, pas plus que ne le sont également les lois de programmation des finances publiques.
Quoi qu’il en soit, avec la SPAFTE, l’exécutif est désormais tenu de mettre des chiffres sur le niveau des investissements présents et sur le niveau des investissements requis dans les prochaines années par rapport aux objectifs dont il est le dépositaire et maître d’ouvrage. Le plus immédiat étant, à l’horizon 2030, d’avoir réduit de 55 % les émissions nettes de gaz à effet de serre par rapport à leur niveau de 1990.
Mobiliser l’investissement privé
Question : la trajectoire de financement inscrite dans la SPAFTE (qui porte jusqu’à 2027, échéance de la prochaine présidentielle) est-elle cohérente ? Dans cette première édition, l’exécutif indique que les investissements bas carbone privés et publics (les achats de véhicules électriques, la rénovation thermique des logements, le déploiement des éoliennes…) ont dépassé 100 milliards d’euros en 2023 et qu’il faudrait avoir doublé ce montant en volume d’ici à 2030. Ces ordres de grandeur sont en phase avec les différents travaux de recherche sur les besoins de financement de la transition énergétique.
Comment combler l’écart ? En mobilisant essentiellement l’investissement des ménages et des entreprises, selon la SPAFTE. Sur la base du constat que l’investissement « bas-carbone » dans l’investissement total privé (10 % pour les entreprises et 18 % pour les ménages) est très inférieur à sa part dans le public (20 %), le gouvernement estime qu’il faudrait ajuster le taux d’effort privé sur le taux d’effort public.
Si la part du privé était portée à 20 % en 2027, ses investissements bas carbone passeraient de 74 milliards d’euros en 2022 à 130 milliards en 2027, soit + 56 milliards, indique le document. Du côté de l’Etat, la part de ses investissements bas carbone poursuivrait sa hausse tendancielle et ceux-ci passeraient de 22 milliards d’euros en 2022 à 29 milliards en 2027, soit + 7 milliards. Au total, la SPFTE inscrit une hausse de 63 milliards d’euros de l’investissement bas carbone public et privé par rapport à 2022, aboutissant à un niveau de 159 milliards d’euros à l’horizon 2027.
A la question de savoir si ce niveau est suffisant par rapport à l’objectif de décarbonation à 2030 s’ajoute celle de la crédibilité de la répartition imaginée dans la SPAFTE entre effort public et privé. Un telle contribution demandée aux entreprises et aux ménages nécessiterait des évolutions réglementaires et fiscales très conséquentes qui ne sont pas décrites dans la SPAFTE et qui ne figurent pas dans l’agenda politique. Dans son discours de politique générale, Michel Barnier avait au contraire mis en avant un allègement des normes environnementales plutôt que leur durcissement.
Efforts insuffisants
Dans une étude publiée l’été dernier, le think tank I4CE avait cherché à évaluer dans quelle mesure un renforcement de la contribution des acteurs privés via les normes (hausses des tarifs dans les transports collectifs, hausse de la fiscalité sur les véhicules de société à moteur thermique, hausse du niveau d’obligation des certificats d’économie d’énergie…) pouvait réduire le niveau de l’effort public additionnel nécessaire pour atteindre les objectifs de décarbonation.
Elle avait conclu qu’une mise en œuvre réaliste de ces leviers pouvait ramener les besoins de financement public additionnels de + 71 milliards d’euros à + 39 milliards d’euros à l’horizon 2030, ce qui n’est pas rien, mais qui représente quand même une hausse de 121 % par rapport aux 32 milliards publics dépensés en 2024 selon I4CE, quand la SPAFTE n’envisage qu’une hausse de 31 % de l’investissement bas carbone public sur 2022-2027 (22 milliards à 29 milliards). Périmètres et périodes diffèrent en partie, mais les deux analyses n’en sont pas moins totalement divergentes et un tel niveau d’écart pose question.
L’étude d’I4CE insistait également sur le temps qui s’écoule entre le moment où une réforme visant à mieux mobiliser l’effort privé est débattue et le moment où elle porte ses fruits. Ce qui plaiderait pour ne pas considérer ceux-ci comme immédiatement acquis et serait une raison supplémentaire pour monter en puissance sur l’effort public à court terme.
Ce n’est clairement pas l’option envisagée dans la SPAFTE. Selon ce document, les financements de l’Etat favorables à la décarbonation (au périmètre « loi de finances » et en crédits de paiement) passent de 30,1 milliards en 2024 à 39,7 milliards en 2027.
Sur cette hausse de + 9,6 milliards, l’essentiel, + 8,9 milliards concerne les charges pour service public de l’énergie, soit le soutien aux énergies renouvelables, mais il s’agit très largement de l’effet mécanique de la baisse anticipée des prix de gros sur les marché de l’électricité sur les niveaux de soutien aux installations renouvelables existantes, solaires et éoliennes, surtout, non de dépenses de soutien à l’investissement supplémentaire.
Hors service public de l’énergie, la progression des dépenses de l’Etat en faveur de la décarbonation de 2024 à 2027 ne serait donc, selon la SPAFTE, que de 0,7 milliard. Autrement dit, une stagnation, alors qu’une hausse de ces dépenses reste indispensable pour accroitre l’effort privé par effet de levier, que ce soit l’achat de véhicules électriques par les ménages modestes ou la décision par les mêmes d’enclencher des rénovations globales et efficaces de leur logement, ou encore la décision des collectivités territoriales d’investir dans des réseaux de chaleur décarbonés.
Dans le détail, les crédits affectés à la compétitivité verte (industrie, fibre très haut-débit, fonds Ademe…) progresseraient de + 0,9 milliard de 2024 à 2027, mais cette hausse masque une quasi stagnation des moyens de l’Ademe. Le secteur des bâtiments gagnerait + 0,3 milliard (très loin de compenser le 1 milliard de coupe dans MaPrimeRénov début 2024). Les transports perdraient 0,7 milliard (et davantage pour le véhicule électrique, puisque le ferroviaire progresserait, le fluvial et les transports en commun restant stables). Les ressources naturelles (forêts, haies…) perdraient 0,3 milliard et le fonds vert des collectivités resterait à son niveau de 2024 après coupes de début d’année.
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