On connaît le dicton : à force de parler du malheur, il finit par arriver. On pourra probablement en dire de même de la censure du gouvernement, car on en parle de plus en plus. Y compris le Premier ministre Michel Barnier sur le plateau de TF1, mardi 26 novembre, pour tenter de la conjurer.On ne doute plus de sa venue, on spécule plutôt sur la date. Jean-Luc Mélenchon la prédisait « entre le 15 et le 20 décembre », au moment du vote du budget de l’Etat (PLF). Certains ont évoqué le 28, dernier carat.

Marine Le Pen paraît vouloir avancer l’échéance : dès la semaine prochaine, lorsque le Premier ministre aura activé l’article 49-3 de la Constitution pour faire adopter le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Quitte à censurer, ce qui reléguera son procès pour détournement d’argent public dans le fond des rubriques faits divers, autant ne pas paraître à la remorque de LFI, tout en votant une motion rédigée par les insoumis…
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Le double échec de l’opération Barnier

Evidemment, Michel Barnier, ses ministres, les partis du « socle commun » crient déjà : « C’est nous ou le chaos ! » Le gouvernement renversé, la France sans budget, quelle horreur !

Les fake news sont lâchées : les fonctionnaires ne seraient plus payés, la carte Vitale serait débranchée, l’impôt sur le revenu désindexé de l’inflation, les levées d’emprunts de la France « au même taux que la Grèce ! », soit « 20 milliards d’euros de plus », selon Laurent Saint-Martin, ministre des Comptes publics, etc. Et, fake dans le fake : si ce chaos vient, ce sera la faute des députés censeurs : LFI, PS, RN. « C’est pas nous, c’est les autres », en somme.

Mais, comme disent les enfants : « C’est celui qui dit qu’y est ! » La censure signerait le double échec de l’opération Barnier, orchestrée dès juillet dernier par Emmanuel Macron pour éviter un gouvernement de gauche, qu’il soit du Nouveau Front populaire ou d’en dehors.

Echec économique, puisque le gouvernement se montre incapable de sortir le pays de l’ornière budgétaire où les macronistes l’ont embourbé, comme l’ont démontré les auditions de Bruno Le Maire devant la commission des finances du Sénat.

Echec politique, puisque le « socle commun », qui devait représenter l’exemple de la responsabilité politique, s’est montré bien plus divisé que le NFP. Le débat sur le budget a montré l’affrontement des macronistes EPR qui crient : « Touche pas aux cotisations des entreprises ! » contre les LR qui répliquent : « Pas touche aux retraités ! », l’ensemble évitant de paraître aux séances du Palais Bourbon.

La censure, en démissionnant d’office ce gouvernement, serait donc un acte de justice pour 53 % des électeurs, si l’on en croit les sondages.

La gauche pas plus avancée

Néanmoins, c’est une fois le couperet tombé que le plus dur commence. En effet, pour pasticher Robespierre, il ne suffit pas que la tête de Barnier tombe, il faut dire par qui le remplacer, ou plutôt par quoi. Car la droite et les macronistes évacués, la composition de l’Assemblée nationale restera la même jusqu’à l’été prochain, au moins.

L’hypothèse d’un gouvernement NFP, avec Lucie Castets à sa tête ou pas, est encore plus fragile qu’en juillet. La preuve, là encore, par le débat budgétaire.

Si Eric Coquerel a bien réussi à façonner un budget « LFP compatible » au sein de la commission des finances, puis lors du débat en séance publique le 12 novembre, le vote solennel de la partie recette de la loi de finances a montré la limite de l’exercice : seuls les députés du NFP (193) ont voté pour l’adoption. En s’y opposant, la droite, le centre et le RN ont joué une mini-motion de censure.

L’idée de représenter une solution « purement NFP », chère à La France insoumise, aurait donc du plomb dans l’aile, d’autant qu’il faudra aux leaders des formations de gauche se montrer capables de présenter un plan et une équipe dans les heures qui suivraient la chute de Barnier, pour ne pas laisser à Emmanuel Macron le temps de manœuvrer.

L’hypothèse – émise par le président du groupe socialiste à l’Assemblée Boris Vallaud – d’un engagement de « non-censure » des partis républicains est, elle aussi, aléatoire : quel crédit peut-on encore accorder à une formation comme Renaissance, si arc-boutée sur les baisses d’impôts et la défense du bilan d’Emmanuel Macron qu’elle n’a pas hésité à déstabiliser le « socle commun » de Barnier ?

Compte à rebours

Alors que d’aucuns prédisaient le retour – bienvenu – du parlementarisme dans la Ve République, l’Assemblée divisée en trois blocs apparaît paralysée. Devant l’impossibilité constitutionnelle de la recomposer avant juillet 2025, la crise ne serait résolue que par un autre scrutin, présidentiel celui-là.

De fait, tous les débats sont aujourd’hui surdéterminés par la perspective de la prochaine présidentielle, moment où aucun parti n’évite de se transformer en écurie électorale.

Deux candidats se détachent : Jean-Luc Mélenchon qui, malgré son impopularité sondagière, ne voit pas qui d’autre que lui serait prêt à gauche ; et Marine Le Pen, qui paraît bien plus pressée de pousser Emmanuel Macron à la démission depuis qu’elle a compris qu’elle risque d’être déclarée inéligible pour cinq ans par le Tribunal judiciaire de Paris au printemps 2025.

Elle ne l’avouera sans doute jamais, mais elle peut être tentée de court-circuiter ses juges, comme Donald Trump vient de le faire aux Etats-Unis. Pour comprendre, il suffit de relire l’article 7 de la Constitution, qui traite de la démission du président de la République : « L’élection du nouveau président a lieu vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus avant l’expiration des pouvoirs du président en exercice. »

Si son jugement est attendu pour le printemps, le RN dispose donc d’environ deux mois pour pousser Macron hors de l’Elysée, et tenter de sauver ainsi sa Marine. La censure serait alors le coup d’envoi du compte à rebours. A moins que…


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