Dans un rapport récent, les économistes Antoine Bozio et Etienne Wasmer proposent une évolution, à coût constant, des exonérations de cotisations sociales, tandis que dans le projet de loi de finances présenté le 10 octobre, le gouvernement entend réduire leur coût de 4 milliards d’euros.

Dans les deux cas, on ne peut qu’être surpris par la timidité des propositions de réforme concernant un dispositif dont le coût a atteint, tous régimes confondus, plus de 78 milliards d’euros en 2023 et dont l’efficacité en termes de créations d’emplois et de compétitivité – les deux objectifs assignés – est plus que discutée.

S’agissant du coût de ces exonérations, on ne peut que constater son emballement depuis leur création en 1993, cet emballement semblant devenir incontrôlable à partir de 2013. En effet, alors que le montant des allégements généraux s’élevait à 16 milliards en 2004, augmentant jusqu’à 24 milliards en 2008 pour se stabiliser ensuite, l’année 2013 (marquée par la création du crédit d’impôt compétitivité et emploi, CICE) constitue un tournant.

Les allégements atteignent 32,7 milliards cette année-là, et ne cessent ensuite de monter, jusqu’à 78 milliards en 2023 – soit plus du double des dépenses d’allocation chômage. En vingt ans, le montant des allégements aura donc été multiplié par cinq, dont un triplement sur la période 2012-2022, évolution dont peu de dispositifs d’aide publique peuvent se targuer.

Pour quelle efficacité ? Elle se mesure à l’aune des objectifs fixés.

Des bénéfices peu concluants pour l’emploi et la compétitivité

Le premier d’entre eux, celui qui a justifié la création du dispositif en 1993, est la création ou la sauvegarde d’emplois à bas salaires, raison pour laquelle ces exonérations étaient initialement ciblées sur les salaires inférieurs à 1,2 Smic.

Le dispositif sera progressivement élargi avec des exonérations dégressives jusqu’à 1,3 Smic en 1995, puis 1,6 Smic en 2003, auxquelles vont s’ajouter une réduction des cotisations maladie jusqu’à 2,5 Smic en 2013 (CICE), puis des cotisations famille jusqu’à 3,5 Smic en 2016 (mesures du pacte de responsabilité).

On est donc passé en trente ans d’un dispositif centré sur les bas salaires à un dispositif touchant plus de 75 % des salariés. Or, si les effets des exonérations sur les créations d’emplois semblent se vérifier sur les bas salaires (plusieurs études menées à la fin des années 1990 estiment les créations à environ 300 000 emplois, soit un coût annuel par emploi créé plutôt élevé de 40 000 euros), ce n’est pas le cas quand on s’éloigne du Smic.

Le comité de suivi du CICE, mis en place pour évaluer ce dispositif, l’avait reconnu lui-même, en estimant que le CICE avait permis de créer ou de sauvegarder 100 000 emplois sur la période 2013-2015 (avec une forte marge d’incertitude allant de 10 000 à 200 000 emplois créés/sauvegardés), ce qui représenterait un coût par emploi créé d’environ 200 000 euros, soit plus de quatre fois le coût moyen annuel d’un emploi.

S’agissant du second objectif, plus récent, à savoir la compétitivité, qui justifia la création du CICE puis des mesures du pacte de responsabilité, les résultats sont également peu concluants.

En effet, outre le fait que la compétitivité ne peut se réduire à la compétitivité-prix, surtout dans un pays développé comme la France qui devrait au contraire appuyer le développement de son économie sur la compétitivité-hors prix (innovation, qualité, image de marque), on constate que les exonérations de cotisations profitent en grande partie à des secteurs qui ne sont pas exposés à la concurrence internationale.

Ainsi en 2022, les « activités de services administratifs et de soutien » (9,9 milliards, 2e secteur le plus bénéficiaire d’exonérations), la « construction » (6,7 milliards, 3e secteur le plus bénéficiaire) et la « restauration » (4,6 milliards, 5e secteur) figurent parmi les secteurs ayant le plus bénéficié d’exonérations de cotisations.

Préférer les aides directes et conditionnées

Si ces exonérations ont très peu d’effets en matière de créations d’emplois dès que l’on s’éloigne du Smic et que leur effet sur la compétitivité est plus que modéré, il s’agit donc d’aides financières directes aux entreprises.

C’est en partie ce que concèdent Antoine Bozio et Etienne Wasmer lorsqu’ils écrivent dans leur rapport qu’« une partie des effets positifs des allégements de cotisations doit donc se comprendre comme un soutien aux entreprises qui en bénéficient ».

De telles aides devraient donc être ciblées pour prévenir tout effet d’aubaine, ce qui permettrait de réduire leur coût et de les réserver à des entreprises qui en ont vraiment besoin, et passer par d’autres dispositifs que les exonérations de cotisations.

C’est pourquoi on ne peut qu’être surpris par la très grande prudence des propositions du rapport Bozio-Wasmer et des maigres pistes d’économies proposées par le gouvernement Barnier (6 % du coût total des allégements seulement).

Il conviendrait au contraire d’être plus ambitieux sur la réduction du coût des exonérations afin de revenir progressivement à un niveau plus proche de ce qu’il était avant 2013, quitte à transformer une partie des 35 milliards économisés en aides directes aux entreprises, mais assorties de contreparties – par exemple en matière de relocalisation ou sur les plans social et environnemental.

Simon Arambourou est membre du collectif Nos services publics

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