C’est le changement dans le changement. Le gouvernement Barnier ne se propose pas seulement d’augmenter les impôts. Il fait fondamentalement reposer cette hausse sur la taxation de l’énergie sans mesure de compensation sociale, brisant là le totem des gilets jaunes.

En effet, tandis que les 10 milliards demandés en 2025 aux grandes entreprises et aux très grandes fortunes représentent un effort très provisoire, les 10 autres milliards sont faits pour durer. Et sur ce total, l’énergie compte pour 7,3 milliards.

Cependant, à la différence de ce qu’avait tenté Emmanuel Macron en 2017 sur la taxe carbone, Michel Barnier s’attaque moins aux fossiles qu’à l’électricité, dont la production en France émet pourtant très peu de CO2. La taxation des fossiles dans le PLF 2025 progresserait de 2,3 milliards, principalement grâce au relèvement de la taxe de solidarité sur les billets d’avion, si d’aventure la mesure franchit le Parlement. Mais 5 milliards, soit le double, seraient ponctionnés sur l’électricité.

Il y a, d’une part, le projet de prélever 2 milliards sur EDF, lié à l’extinction fin 2025 du mécanisme de l’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique). Cela semble hasardeux au regard de l’endettement et des besoins d’investissement du groupe.

Et il y a, d’autre part et surtout, la volonté d’augmenter en février prochain la TICFE, l’accise sur la consommation d’électricité, au-delà de son niveau d’avant-crise, de manière à faire rentrer 3 milliards supplémentaires.

Pour amortir la flambée des prix de l’électricité au début de la guerre en Ukraine, cette taxe de 32 euros par MWh avait été ramenée début 2022 à 1 €/MWh pour les ménages. Un bouclier tarifaire appelé à disparaître avec le reflux des cours. En février 2024, la TICFE est ainsi repassée à 20 €/MWh et le précédent gouvernement prévoyait de revenir à 32 €/MWh en février 2025. Ce qui, analyse l’économiste de l’énergie Christian de Perthuis, aurait limité l’an prochain à 15 % la baisse du tarif réglementé de vente (TRV) payé par la majorité des ménages et rapporté de l’ordre de 3 milliards d’euros à l’Etat.

Le gouvernement Barnier entend pousser bien plus loin le curseur de la TICFE et récupérer 3 milliards de plus en taxes sur l’électricité. Cela ramènerait la baisse du TRV à 9 % au lieu de 15 %. Encore acceptable, veut croire l’exécutif.

A contre-courant

Une bonne idée ? « Sur un plan économique, cette option semble antinomique avec l’objectif de réindustrialisation », juge Christian de Perthuis. L’industrie de demain, sobre, bas carbone et compétitive, a besoin, au moins à court terme, du stimulant d’une électricité bon marché.

Ensuite, « sous l’angle climatique, poursuit l’économiste, l’opération navigue à contre-courant. Ramenée à la tonne de CO2 émise, la taxation de l’électricité est bien plus élevée que les taxes sur les énergies fossiles. Alors que leurs prix ont également baissé sur les marchés, le projet de loi de finances laisse leurs accises inchangées, ce qui incite à leur utilisation. »

L’objectif de cette évolution de la fiscalité énergétique est donc le rendement, non l’environnement. Pour preuve encore, côté dépenses, les niches fiscales défavorables au climat restent préservées, tandis que le soutien public à la décarbonation est amputé d’au moins 3 milliards.

Enfin, rappelle Christian de Perthuis, en l’absence de mécanismes redistributifs, une hausse de la fiscalité de l’énergie quand les prix baissent est relativement indolore, mais ses effets antisociaux peuvent être explosifs s’ils repartent à la hausse.

L’électricité, nouvelle vache à lait de l’Etat ? C’est tentant. D’autant plus que, comme l’a souligné la Cour des comptes, à mesure que la France sortira des combustibles fossiles, l’Etat verra fondre les 30 milliards d’euros annuels d’accises qui y sont associées. Un gros sujet en perspective.

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