Taxés comme tous les autres, les chômeurs indemnisés voient en plus leur épargne de précaution surtaxée à hauteur de 25 % sous prétexte que leurs allocations seraient trop « généreuses ». Un peu comme si l’on taxait les livrets A de 25 % au motif évasif de la sur-épargne, ou le chiffre d’affaires d’AXA de 25 % (pas seulement les profits) parce que ses contrats seraient trop généreux…

Et comme cela ne suffit pas, voilà que l’Unédic doit encore verser 400 millions de plus dans la sébile budgétaire qui s’agite, avec toujours ce même projet ubuesque : taxer les chômeurs pour renflouer les comptes de l’État.

Rappelons que le droit commun de l’assurance chômage est excédentaire depuis 1997 (les cotisations sont supérieures aux allocations versées) et la dette de l’Unédic n’est due qu’à l’accumulation des factures que l’État met à la charge du régime, donc du coût du travail marchand.

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Pas super-riches mais super-taxés

Ainsi, d’ici 2026 les taxes prélevées se monteront à environ un quart des recettes de l’Unédic : France Travail, près de 5 milliards d’euros par an ; soutien aux secteurs culturels 1 milliard par an ; travailleurs frontaliers 900 millions ; apprentissage 800 millions, etc. auxquels s’ajoutent les 12 milliards d’activité partielle au total depuis 2020, et bien sûr les 14 milliards de prélèvements autoritaires décidés par l’État sans justification ni lien avec l’objet de l’assurance chômage. Le taux de cotisations reste inchangé, c’est pourquoi il s’agit bien de taxes sur les allocations, donc sur les chômeurs.

Cette folie part d’un diagnostic très incomplet, de comparaisons internationales partielles et à l’emporte-pièce de certains paramètres extrêmes, qui nourrissent dans le débat public l’idée que l’assurance chômage française serait excessivement « généreuse », un peu comme si le climat de la France était seulement décrit par quelques valeurs mesurées à Ajaccio ou Brest.

Dans ce contexte où le cynisme le dispute à l’incompétence l’Insee vient de publier une évaluation aussi éclairante que capitale. Les auteurs répondent à une question simple : pour faire face à une perte d’emploi les ménages puisent-ils dans leur épargne ou réduisent-ils leurs dépenses de consommation ? Et la réponse est sans ambiguïté : les deux à la fois, car bien qu’ils soient indemnisables par l’Unédic, les chômeurs puisent dans leur épargne personnelle tout en réduisant leur consommation d’environ 20 %.

Or l’objectif de l’assurance chômage tel que l’énonce la littérature économique est précisément de « stabiliser la consommation » du chômeur jusqu’à ce qu’il retrouve un emploi. Cet objectif est donc loin d’être atteint.

Et encore les auteurs n’analysent-ils que les six premiers mois de chômage, les ressources des ménages et pas seulement des individus (certains ménages sont pluriactifs donc, avec deux sources de revenus), et des données en valeur dans une période où l’inflation a été très forte (notamment pour les dépenses contraintes). Sans exagération donc.

Central au niveau individuel, cet objectif de stabilisation de la consommation l’est aussi au niveau macroéconomique, car la « stabilisation automatique de l’activité » permise par l’assurance chômage n’est que l’agrégat des situations individuelles. Dans notre pays, l’assurance chômage ne joue donc plus pleinement ce rôle stabilisateur des cycles d’activité que l’on peut attendre d’elle.

Une évaluation salutaire

Depuis des lustres, 95 % de la littérature empirique sur l’assurance chômage est consacrée à démontrer l’existence d’un aléa moral qui veut que les chômeurs restent plus longtemps que nécessaire au chômage s’ils sont indemnisés trop bien et/ou trop longtemps.

Et depuis toujours, ces études parviennent aux mêmes conclusions : l’aléa moral existe – c’est néanmoins un but de l’assurance que les chômeurs aient le temps de trouver un emploi conforme à leurs compétences, afin que leur capital humain et leur productivité soient le moins affectés possible par le chômage –, mais il est très faible sauf dans des cas extrêmes, et moins important en France qu’ailleurs alors même que la « générosité » serait prétendument plus grande chez nous.

Les évaluations de la capacité stabilisatrice de la consommation, critère central de l’optimalité de l’assurance, se comptent en revanche sur les doigts d’une main depuis 40 ans dans le monde. C’est pourquoi ce travail dont nous disposons aujourd’hui est salutaire et mériterait d’être prolongé, développé. Il nous permet de voir désormais clairement au-delà du diagnostic habituel, borgne mais dominant de l’aléa moral.

Il manquera encore aux évaluations celle du prix de l’assurance, ce que la littérature économique assimile à l’aversion au risque de voir son revenu fluctuer, donc au risque de chômage peu ou pas indemnisé. Car en la matière, l’assurance chômage française est de très loin la plus chère au monde. Cet aspect n’est jamais comparé, et n’a jamais fait l’objet d’aucune évaluation empirique.

Le bilan est sans appel, il est temps de se remettre autour de la table. Car telle est la rançon de l’accumulation inconséquente de coupes dans les droits, déguisées en réformes structurelles : les chômeurs sont lourdement taxés pour financer le déficit public, alors même que l’assurance chômage est sous-optimale. Elle est loin d’atteindre son objectif à la fois individuel et macroéconomique de stabilisation, sans compter qu’elle est la plus onéreuse sur cette planète.

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