Le 7 octobre, Kamala Harris a planté un grenadier, symbole de l’espoir et de la vertu dans la religion juive, en l’honneur des victimes de l’attaque du Hamas. Donald Trump, lui, a tenu un rassemblement avec des leaders de la communauté juive dans sa propriété de Miami.
Pour l’un comme pour l’autre, ce fut une journée de recueillement. Et l’occasion aussi, pour les deux candidats, de rappeler leur soutien sans faille à Israël et au socle de sa politique dans la région, et d’insister, comme ils le font systématiquement depuis des mois, sur le droit de l’Etat hébreu à se défendre.
Avec un bémol toutefois du côté démocrate : la dénonciation de la crise humanitaire en cours dans la bande de Gaza. « Le président Biden et moi travaillons à mettre un terme à cette guerre de manière à assurer la sécurité d’Israël, pour que les otages soient libérés, que les souffrances à Gaza cessent et que le peuple palestinien puisse exercer son droit à la dignité, à la sécurité, à la liberté et à la libre détermination », a ainsi déclaré Kamala Harris, le 22 août.
Mais cet équilibre sémantique suffit-il pour considérer qu’il y a une véritable divergence sur le conflit israélo-palestinien entre les camps démocrate et républicain ? Pas vraiment.
Envers Israël, Trump ferait du « Biden+ »
« L’administration Biden, sous couvert de la défense d’Israël, lui a apporté un soutien sans commune mesure avec celui des équipes qui ont précédé, à la fois en lui fournissant la couverture politique et diplomatique nécessaire pour permettre sa guerre dans la bande de Gaza et désormais au Liban, et en lui faisant parvenir des armes et des munitions pour permettre la poursuite de ce qui est aujourd’hui dénoncé comme une “guerre génocidaire” à Gaza », estime Lina Kennouche, docteure en géopolitique et chercheuse à l’université de Lorraine.
« L’administration démocrate a ainsi conforté l’approche de Netanyahou qui consiste à régionaliser le conflit et à en exacerber l’intensité. Aujourd’hui, j’irai même jusqu’à dire que dans les actes, Biden a été plus loin que Trump », appuie la chercheuse.
Le Président actuel n’est, de fait, pas revenu sur les orientations très favorables à Israël de son prédécesseur. Joe Biden a ainsi maintenu l’ambassade américaine à Jérusalem (déménagée en 2017 depuis Tel Aviv), a poursuivi la politique de normalisation entre Israël et les pays du Golfe ayant présidé aux accords d’Abraham et n’a pas réintégré l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien.
Néanmoins, Trump et son entourage étant encore davantage pro-israéliens, son retour à la Maison-Blanche s’accompagnerait sûrement d’un soutien renforcé à l’Etat hébreu.
« Mais cette fois encore, il n’y aura pas de rupture. Il est fort probable que Trump fasse du “Biden+”, c’est-à-dire continue dans la logique de la politique actuelle, en accentuant encore son soutien diplomatique et militaire. Même si, en théorie, il est opposé à l’idée d’un réengagement américain au Moyen-Orient », juge Lina Kennouche.
En effet, l’ancien Président est focalisé sur la compétition avec la Chine. Pour lui, tous les efforts de politique étrangère américaine devraient donc être tournés vers l’Asie, au détriment des autres régions du monde. Cette orientation ne devrait souffrir aucune nuance, puisqu’en désignant J. D. Vance comme colistier, il s’assure d’avoir à ses côtés l’un des plus féroces défenseurs de la politique « Asia First » (« l’Asie d’abord »).
L’Otan menacé par les républicains ?
A propos de Vladimir Poutine, J. D. Vance déclarait en février 2024 : « Il y a beaucoup de gens méchants partout dans le monde, mais les problèmes qu’ils posent en Asie orientale m’intéressent plus que ceux qui se posent à l’Europe. »
« Une bonne partie des élus républicains exprime une fatigue de fournir des ressources militaires américaines à l’Europe. Les trumpistes veulent que les Européens prennent une plus grande part dans leur propre défense et que les ressources militaires américaines soient réservées pour leur compétition avec la Chine », décrypte Alix Frangeul-Alves, coordinatrice de programmes au sein du think tank The German Marshall Fund, qui promeut les relations transatlantiques.
Pendant la campagne, Donald Trump a réitéré des menaces contre les membres de l’Otan, en déclarant notamment qu’il ne garantirait plus leur protection face à la Russie s’ils n’assuraient pas leur part de financement de l’organisation. Et ce bien que la majorité des pays membres de l’Otan (23 sur 32) atteignent désormais le seuil – requis par l’Otan – de 2 % de leur produit intérieur brut (PIB) à consacrer à la défense.
Cette remise en cause du principe même de l’Alliance atlantique est-il un premier pas vers un retrait pur et simple des Etats-Unis de l’Otan ? « Je ne pense pas, estime Alix Frangeul-Alves. Mais Trump se sert de cette menace comme d’un outil de pression sur les Européens, afin qu’ils augmentent leurs dépenses de défense. »
D’autant qu’un tel retrait ne sera pas si facile : un projet de loi bipartisan, voté en 2023, empêche le Président de sortir de l’Otan de façon unilatérale, sauf à faire voter une loi en ce sens au Congrès – donc adoptée à la majorité simple à la Chambre des représentants et au Sénat – ou bien d’obtenir le soutien des deux tiers du Sénat à ce sujet.
« Cependant, les garanties de sécurité américaines seront remises en question, ce qui nuira à l’image et à l’environnement de sécurité européen », poursuit la coordinatrice de programmes au German Marshall Fund.
La sécurité de l’Europe en question
Même si Donald Trump perd l’élection présidentielle, les paquets d’aide à l’Ukraine seront menacés si les républicains disposent d’une majorité au Congrès. Au Sénat, J. D. Vance a été en première ligne du blocage de l’aide en faveur de Kiev, entre fin 2023 et avril 2024.
« Un programme d’aide étrangère de 100 milliards de dollars n’est pas une politique industrielle en faveur des travailleurs. Il porte atteinte à notre sécurité nationale en épuisant des ressources essentielles dans un bourbier stratégique », écrivait ainsi le sénateur de l’Ohio en décembre 2023. Pourtant, comme nous l’expliquions dans cet article, l’essentiel de l’aide militaire pour l’Ukraine est dépensé aux Etats-Unis et participe de l’excellente santé de son secteur de la défense.
Le milliardaire a promis, s’il revient à la Maison-Blanche, de mettre fin au conflit russo-ukrainien en 24 heures. « Il en a tellement parlé, il est obligé de s’engager diplomatiquement sur ce dossier, juge Alix Frangeul-Alves. Il pourrait par exemple pousser Kiev à signer un accord défavorable avec Moscou, ce qui renforcerait la Russie. » Et mettrait à mal la sécurité de toute l’Europe, du Dniepr au Danube.
Du côté démocrate, Kamala Harris a promis qu’elle resterait « fermement aux côtés de l’Ukraine et [des] alliés de l’Otan ». Elle ne semble toutefois pas avoir élaboré de stratégie précise quant à la position des Etats-Unis dans la suite de la guerre, mais elle a loué à plusieurs reprises la politique d’envoi d’armements à Kiev de Joe Biden, ce qui laisse présager la poursuite des efforts actuels.
En cela, la candidature de Kamala Harris rassure bien plus les chefs d’Etat et de gouvernement européens, à l’exception des dirigeants d’extrême droite, comme Viktor Orban ou Giorgia Meloni. Inversement, la politique étrangère de Trump est réputée moins prévisible et donc plus inquiétante.
Nationalisme contre multilatéralisme
Bien que les décisions de Trump apparaissent souvent erratiques, l’historienne Maya Kandel identifiait toutefois, dans un article publié en 2019, des lignes de force : la « compétition stratégique a remplacé la lutte contre le terrorisme comme finalité première de la politique étrangère ».
Pour y parvenir, l’ex-Président « a promu l’unilatéralisme et le nationalisme comme principes directeurs, rejetant le multilatéralisme et les institutions à la base de l’ordre international ». Il a ainsi décidé de quitter l’accord de Paris sur le climat dès son élection en 2017 puis, quelques mois plus tard, de retirer les Etats-Unis de l’Unesco, entre autres.
Dès son arrivée à la Maison-Blanche, Joe Biden s’est empressé de réintégrer l’un et l’autre. Son administration s’est clairement démarquée de la précédente en réinvestissant le multilatéralisme.
« Antony Blinken [le secrétaire d’Etat de Joe Biden, NDLR] est un internationaliste qui pense que les Etats-Unis ont un rôle important à jouer dans le monde, qui passe par la réaffirmation de son pays dans les institutions internationales. Pendant le mandat Biden, on a ainsi assisté à une forme de retour du leadership américain sur des enjeux mondiaux comme la crise climatique », analyse Alix Frangeul-Alves.
Dans un texte pour le magazine états-unien Foreign Affairs publié le 1er octobre, Antony Blinken écrit : « Un petit nombre de pays – principalement la Russie, avec le partenariat de l’Iran et de la Corée du Nord, ainsi que la Chine – sont déterminés à modifier les principes fondamentaux du système international. »
L’ordre ici est important. Si on leur demandait, Donald Trump et J. D. Vance placeraient la Chine en tête de liste et réserveraient une place de choix à l’Iran. Mais la Corée du Nord et la Russie seraient-elles inscrites sur la liste ? En cas de victoire du ticket républicain début novembre, nous ne tarderions pas à le savoir.
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