Les Français sont très attachés à la Sécurité sociale. D’après le baromètre d’opinion de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), 67 % d’entre eux seraient opposés à une baisse des taux de remboursement pour réduire un déficit de la branche maladie.

Or, le gouvernement s’apprête à prendre une décision dans ce sens. Il serait question dans le cadre du Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) d’une économie sur les dépenses d’assurance maladie de 5 milliards d’euros obtenue par diverses dispositions, dont « des mesures de transfert vers les organismes complémentaires ». Le projet en cours serait, entre autres, de réduire la couverture par la Sécurité sociale des soins en ville, en portant le ticket modérateur de 30 à 40 % !

Cette décision ferait diminuer de façon seulement cosmétique la dépense publique. Pour le reste, elle accentuerait les inégalités financières d’accès aux soins et dégraderait l’efficience du système de santé. Elle ne libérerait aucun pouvoir d’achat et il est probable qu’elle aurait un impact récessif similaire à celui d’une augmentation des impôts chez les plus modestes.

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On peut prévoir le discours qui va être déployé pour brouiller toute compréhension des enjeux de cette décision. On va nous dire : « Il n’y a pas de baisse de couverture car les mutuelles et les assurances complémentaires vont prendre le relais et presque tous les Français ont une couverture complémentaire ».

Certes, mais ce transfert n’est pas neutre pour les assurés sociaux : alors que la Sécurité sociale est financée par des cotisations proportionnelles au revenu, les contrats d’assurance complémentaires des citoyens qui n’en bénéficient pas via leur entreprise sont payés par des primes généralement indépendantes du revenu et dépendantes de l’âge des personnes.

En conséquence il y a de grandes inégalités dans ce qu’il faut payer, et les personnes modestes ne peuvent acquérir que des contrats complémentaires moins chers qui ne couvrent pas très bien les frais médicaux et les exposent donc à de gros restes à charge.

Taux d’effort élevé pour les plus modestes

L’indicateur pertinent est le taux d’effort défini par la Drees, qui calcule la part du revenu des ménages absorbée par la somme du reste à charge après couverture par la Sécurité sociale et les complémentaires et de la prime payée pour acquérir la couverture complémentaire. Ce taux d’effort permet de mesurer le coût d’accès aux soins au-delà de la couverture réalisée par la Sécurité sociale.

Les chiffres disponibles montrent que les inégalités sont criantes entre classes d’âge et entre classes de revenus : le taux d’effort passe de 2,7 % du revenu entre 30 et 39 ans à 8,2 % après 80 ans. Les retraités les plus riches (les 20 % du haut de la distribution des revenus) ont un taux d’effort de 3,9 % alors que les plus modestes (les 20 % du bas) doivent consacrer 9,9 % de leur revenu au financement de leurs soins.

Ce système siphonne déjà les revenus des plus modestes. Il est évident que ces inégalités vont s’accroître fortement si un glissement de 10 points de couverture s’opère de la Sécurité sociale vers les organismes complémentaires. L’année 2025 s’annonce mal, avec cette défausse de la Sécurité sociale sur les complémentaires et l’application en année pleine des fortes augmentations du prix de la consultation, passé de 26,5 euros à 30 euros à l’issue de la dernière convention. Décisions irresponsables : la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) cède aux exigences des médecins quasiment sans contrepartie et, par la suite, on prévoit d’éponger les dépenses supplémentaires par des déremboursements !

On nous dit : « Il ne faut pas augmenter les impôts pour ne pas créer de récession ». Mais ce qui se profile est pire qu’une augmentation des impôts pour les plus modestes car leur pouvoir d’achat va être bien plus érodé par les hausses de tarifs à venir. Les retraités, notamment, vont être touchés au premier chef par l’explosion prévisible des tarifs des assurances complémentaires. Evidemment, ne pas augmenter les impôts ni les cotisations sociales préserve les revenus des plus riches, mais d’un point de vue macroéconomique on ne peut pas prétendre que tout ceci soit bon pour la croissance.

Il ne faut pas s’y tromper, il s’agit d’une décision politique portant sur la redistribution. Elle consiste à préférer une privatisation partielle de la couverture maladie à une augmentation des prélèvements obligatoires, avec pour résultat prévisible le creusement d’inégalités sociales déjà marquées.

On nous dit : « Les prélèvements obligatoires brident le pouvoir d’achat ». Mais ici il s’agit de dépenses de santé complémentaires sans aucune marge de manœuvre pour le patient. Augmenter le ticket modérateur ne libère aucun pouvoir d’achat car c’est une consommation complémentaire du reste de la consultation.

Une source d’inégalité

Le Conseil d’analyse économique (CAE) a montré que le fait que la Sécurité sociale et les assurances complémentaires couvrent les mêmes soins est un défaut structurel de l’assurance maladie en France. Cette organisation, source d’inégalités de couverture, ne permet pas d’organiser l’offre de soins de façon efficiente et encourage des hausses des prix médicaux.

Ce constat est largement partagé et un rapport a été demandé au Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie pour étudier d’autres structurations possibles de la couverture maladie en France, dont en particulier une « Grande Sécu » qui couvrirait à 100 % un panier de soins prédéfini.

Et les mêmes responsables politiques, qui ont commandé ce rapport avant de l’enterrer rapidement, décideraient maintenant, avec cette augmentation du ticket modérateur, d’enfoncer notre système plus avant dans ce partage délétère de la couverture pour les mêmes soins ?

Aucun autre pays n’a adopté cette structuration. Aucun autre pays n’a favorisé des assurances complémentaires qui couvrent autant, tout en étant insuffisamment régulées, ce qui fait que la concurrence est limitée et qu’elles peuvent tranquillement répercuter toute charge supplémentaire dans des hausses de primes. De 6 % à 7 % d’augmentation sont déjà prévues pour cette année, sans compter le transfert de couverture qui s’annonce.

D’autres choix de financement sont évidemment possibles. Surtout, un pilotage de la dépense est indispensable pour que les dépenses de soins soient maîtrisées, afin de viser le meilleur niveau de santé pour les citoyens sans épuiser leur revenu.

Les pistes connues ne sont pas assez poursuivies. Il faut réduire la place du paiement à l’acte, au lieu de centrer les discussions sur le tarif de la consultation, comme cela a été fait lors de la dernière convention médicale. Il faut avoir le courage de faire en sorte que les prescriptions soient émises par des professionnels de santé indépendants de tout intérêt financier.

Dégrader la couverture de la Sécurité sociale pour éluder ces questions n’a aucun sens.

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