Chaque samedi, Alternatives Economiques sélectionne pour vous des livres qui méritent d’être lus. Cette semaine, nous vous conseillons : La haine des fonctionnaires de Julie Gervais, Claire Lemercier et Willy Pelletier ; Ce qui nous porte de Sandrine Rousseau ; Ecologie ou barbarie dirigé par Claire Monod et Frédéric Kalfon ; Le souverain laborieux d’Axel Honneth et Le transhumanisme de Stanislas Deprez.

1/ « La haine des fonctionnaires », par Julie Gervais, Claire Lemercier et Willy Pelletier

Reprenant la plume trois ans après La valeur du service public (La Découverte, 2021), les historiennes et sociologues livrent ici un deuxième ouvrage en défense des fonctionnaires, fruit de rencontres avec le lectorat du précédent opus.

Les auteurs prennent pour point de départ les clichés sur « les fonctionnaires » pour les démonter et donner à voir la réalité des métiers. Car oui, derrière ce vocable commode, c’est bien la très grande diversité des situations professionnelles et des profils sociologiques qui domine, mais aussi celle des réalités statutaires.

Le ton est très accessible, familier parfois, véhément, et donne à entendre directement des paroles populaires et la réalité parfois crue des métiers (Atsem, surveillant pénitentiaire, agente au guichet).

L’idée est de proposer un livre incarné et argumenté, au service d’un projet : la défense des services publics pour toutes et tous. Une lutte que doivent mener ensemble agents et usagers.

Céline Mouzon

La haine des fonctionnaires, par Julie Gervais, Claire Lemercier et Willy Pelletier, Amsterdam, 2024, 264 p., 18 €.

2/ « Ce qui nous porte », par Sandrine Rousseau

Tout juste réélue députée (Les écologistes), Sandrine Rousseau a achevé d’écrire cet ouvrage en juillet 2024, en pleine crise politique, mais elle s’y attarde peu sur l’actualité chaude.

Très dense et référencé, ponctué d’éléments biographiques, son essai oscille entre fresque historique et manifeste politique. L’économiste y fait le constat qu’une nostalgie de la croissance, héritée des Trente Glorieuses, est partagée par une grande partie du spectre politique, l’empêchant de penser une transition écologique et sociale.

Parallèlement, insiste l’élue, les Français deviennent plus solidaires, tolérants et ouverts au changement que ce que la bulle politico-médiatique ne le laisse penser. Elle en profite pour avancer les thèmes qui lui sont chers – le féminisme bien sûr, mais aussi le droit à la paresse ou la refondation de nos liens avec le monde animal –, qui deviennent selon elle de plus en plus consensuels.

La clarté de l’écriture et la solidité de l’argumentation font de ce livre une lecture stimulante et pleine d’espoir.

Matthieu Jublin

Ce qui nous porte, par Sandrine Rousseau, Seuil, 2024, 272 p., 21 €.

3/ « Ecologie ou barbarie », dirigé par Claire Monod et Frédéric Kalfon

Pour sa cinquième livraison, la revue Propos a choisi pour thème « Ecologie ou barbarie ». Un titre en clin d’œil à Socialisme ou barbarie, revue initiée par Cornelius Castoriadis et Claude Lefort dans les années 1950.

Une façon pour les auteurs de mettre en parallèle la montée des deux périls qui nous menacent : l’extrême droite, qui sous diverses formes s’est imposée dans de nombreux pays ces dernières années, et le désastre écologique, dont les signaux d’emballement inquiètent. Ce que tentent de mettre en évidence les contributions de ce numéro, c’est que ces deux périls se nourrissent l’un l’autre.

La convergence de la crise écologique et de la crise identitaire pourrait conduire à un cataclysme planétaire inédit, à un terme qui semble se rapprocher dangereusement. Mais des forces politiques se mobilisent depuis cinquante ans pour contrecarrer ce scénario funeste.

La revue Propos contribue à cette dynamique et prend sa part pour nourrir intellectuellement ces forces de vie.

Christophe Fourel

Ecologie ou barbarie, par Claire Monod et Frédéric Kalfon (dir.), Propos n° 5, Les petits matins, 2024, 124 p., 14 €.

4/ « Le souverain laborieux. Une théorie normative du travail », par Axel Honneth

Comment inciter le citoyen à s’engager dans la vie démocratique sans se préoccuper de ses conditions de travail, qui tendent à l’en éloigner (en le plaçant dans des rapports de subordination, en lui prenant beaucoup de son temps et de son énergie) ?

Cette question a, dès le XVIIIe siècle, préoccupé plusieurs théoriciens de l’économie et de la société (Adam Smith, Friedrich Hegel, Karl Marx, Emile Durkheim…), mais est devenue un angle mort des sciences sociales contemporaines.

Cet ouvrage la remet sur le métier en constatant qu’elle reste plus que jamais d’actualité : malgré les réformes sociales successives, le salarié est loin de trouver dans son travail de quoi le prédisposer à participer à la vie démocratique. C’est d’ailleurs pourquoi d’aucuns ont cru, à la suite d’André Gorz, régler le problème en promouvant le principe d’un revenu universel.

Plus que sceptique à ce sujet, l’auteur prône deux autres stratégies, complémentaires : la valorisation d’organisations alternatives (coopératives, autogérées…) ; la démocratisation des rapports du travail salarié au sein même du marché de l’emploi. On reconnaîtra l’esprit critique de l’école de Francfort, dont Honneth incarne la troisième génération.

Sylvain Allemand

Le souverain laborieux. Une théorie normative du travail, par Axel Honneth, Gallimard, 2024, 288 p., 23 €.

5/ « Le transhumanisme », par Stanislas Deprez

Depuis une vingtaine d’années, le transhumanisme a peu à peu colonisé le débat public et les imaginaires. Le nombre de publications, d’expériences et de débats sur le sujet est devenu quasi exponentiel. Un ouvrage de synthèse pour le grand public sur ce « phénomène protéiforme » était nécessaire, le voici donc.

D’abord, le transhumanisme est devenu un mouvement qui a développé sa propre doctrine. « Si l’immortalité est la finalité du transhumanisme, l’enhancement est son mot d’ordre. Tous les moyens d’augmentation semblent bons aux transhumanistes, mais ils privilégient la génétique et l’hybridation avec la machine. »

Enhancement, un terme anglais signifiant à la fois amélioration et augmentation. Stanislas Deprez s’emploie ici, avec beaucoup de précisions mais sans abuser du jargon, à décrypter la doctrine qui tourne autour de trois thématiques : l’immortalité, l’augmentation et l’intelligence artificielle.

On sort presque étourdi de cette lecture. On comprend surtout que le projet transhumaniste considère l’autodétermination, l’égalité, la liberté et les droits à la dignité de la personne comme de méprisables survivances judéo-christiano-kantiennes. Un choc.

Ch. F.

Le transhumanisme, par Stanislas Deprez, Coll. Repères, La Découverte, 2024, 128 p., 11 €.

Share this post

Articles similaires

22 OCTOBRE 2024

Entre moustiques et...

Daron Acemoglu, Simon Johnson et James Robinson, lauréats du « prix Nobel...

0

22 OCTOBRE 2024

Au sud du Liban en guerre,...

Depuis le début de la guerre entre le Hezbollah et Israël, et surtout...

0

22 OCTOBRE 2024

La pseudo-fiscalité verte de...

<p>En proposant une forte hausse de la taxation de l’électricité, pourtant très peu...

0

22 OCTOBRE 2024

Economie sociale et...

186 000. C’est le nombre d’emplois de l’économie sociale et solidaire (ESS)...

0

21 OCTOBRE 2024

Sanofi, doliprane :...

<a...

0

21 OCTOBRE 2024

Le casse du gouvernement sur...

Le montant des contributions perçues par le fonds pour l’insertion professionnelle des...

0

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.