Dans les ascenseurs du ministère de l’Economie, diffuse-t-on les chansons d’Edith Piaf ? Il semblerait en tout cas qu’à Bercy, dernièrement, on voit la vie en rose.

Dans son projet de loi de finances (PLF) pour 2025, Michel Barnier espère toujours une croissance du produit intérieur brut (PIB) de 1,1 % l’année prochaine. Le gouvernement compte notamment sur les effets positifs à attendre de la baisse des taux d’intérêt et des gains de pouvoir d’achat que le ralentissement de l’inflation pourrait entraîner.

Ces espoirs peinent à convaincre les observateurs extérieurs. A l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), on estime ainsi que la croissance ne sera pas de 1,1 %, mais de 0,8 % l’an prochain. Pour le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), le scénario du gouvernement « est optimiste parce qu’il suppose que l’ajustement budgétaire inscrit dans la prévision n’empêchera pas la croissance effective d’atteindre, et même de dépasser en début de période, la croissance potentielle, même si une orientation plus accommodante de la politique monétaire peut venir le compenser en partie ».

En traduction grand public, voilà ce que disent les experts de la rue Cambon : l’exécutif fait l’autruche sur l’impact de sa politique budgétaire sur l’économie et cela ne sera pas autant compensé par la politique monétaire plus favorable que ce qu’il voudrait bien faire croire.

Erreur de calcul

La principale erreur du gouvernement est de sous-estimer l’impact de l’effort budgétaire annoncé. Les 60 milliards d’euros attendus vont affecter l’activité économique et donc in fine les comptes publics. Cette stratégie peut donc s’avérer contre-productive, comme nous l’expliquions déjà en début d’année lorsque l’ex-gouvernement Attal ouvrait le bal de la rigueur.

En effet, derrière le ralentissement de l’économie, il y a moins d’emplois. Ce qui signifie, côté recettes, moins de cotisations sociales, de recettes liées à l’impôt sur le revenu, de consommation, donc de recettes de TVA (Taxe sur la valeur ajoutée), moins de production, donc moins d’impôts sur les sociétés. Côté dépenses, c’est l’inverse, avec plus de chômage, donc plus de dépenses de prestations sociales.

Pour bien comprendre, commençons par les dépenses publiques. Le gouvernement se tire une balle dans le pied en coupant dans ce dernier moteur de l’économie, analyse Eric Heyer, économiste à l’OFCE :

« Depuis douze à dix-huit mois la croissance n’est tirée que par le commerce extérieur et les dépenses publiques, qui vont connaître un coup de frein. La baisse des taux d’intérêt va un peu aider l’investissement des entreprises et le ralentissement de l’inflation permettra des gains de pouvoir pour les ménages. Mais la relance de la consommation sera pénalisée par l’austérité budgétaire qui pèse sur les revenus. Finalement, au lieu d’accélérer, l’économie va ralentir. »

« Couper les dépenses publiques affecte le revenu d’une majorité des ménages et des entreprises, complète l’économiste Anne-Laure Delatte dans une analyse pour Alternatives Economiques. Dans le budget 2025, c’est le cas du report de l’indexation des pensions de retraite qui représente un coût de 300 euros en moyenne par an et par retraité ou encore de la moindre prise en charge par la Sécurité sociale du prix de la consultation chez le médecin qui devrait entraîner une augmentation du tarif des mutuelles. »

« Choc récessif »

La directrice de recherche au CNRS estime ainsi que « telles qu’elles sont annoncées, les mesures de ce budget produisent un choc récessif de l’ordre de 0,6 point de PIB en 2025 ». L’OFCE calcule que la croissance sera ponctionnée de 0,8 point de PIB, la faisant tomber à 0,8 % en 2025. L’institut Rexecode envisage, lui, désormais 0,7 % de croissance.

Quelles que soient les estimations, il est certain que la cure d’austérité à venir pèsera fortement sur l’économie. Résultat : « On va avoir un déficit plus élevé qu’anticipé parce que le gouvernement ne tient pas compte de l’effet récessif de ses mesures », signale l’économiste à l’OFCE Eric Heyer. L’organisme de prévisions économiques prévoit un déficit de 5,3 % en 2025, alors que l’objectif visé par l’exécutif est de 5 %.

Ce scénario, bien connu des économistes, était déjà craint cet été. Dans une note parue en juillet, les économistes du Conseil d’analyse économique (CAE) estimaient qu’un ajustement budgétaire supérieur à 1 point de PIB serait « difficile […] car cela impliquerait presque certainement un recul des dépenses publiques en volume » et « un effet intolérable sur le chômage ». Avec un ajustement de 1,4 point entre 2024 et 2025, le budget présenté par le gouvernement va contre l’avis des experts.

Variables d’ajustement

Heureusement, la copie finale du budget est encore incertaine. D’abord pour des raisons macroéconomiques. Quelques heures avant que les ministres de l’Economie et des Comptes publics dévoilent leur projet de loi de finances, l’Insee révisait son estimation de l’inflation à 1,8 % en 2024. Un petit rien qui chamboule les plans de Bercy, qui avait pris le chiffre de 2,1 % pour ses calculs.

Les seuils de passage d’une tranche à l’autre de l’impôt sur le revenu seront ainsi moins revalorisés, générant des recettes plus importantes que prévu – si les salaires ne sont pas impactés par cette révision. En revanche, certaines mesures d’économies rapporteront moins que prévu, indique Eric Heyer.

Concernant le report de l’indexation des retraites sur l’inflation par exemple, la revalorisation au 1er janvier aurait été de 1,8 % et non de 2,1 %. Cela aurait donc moins coûté aux finances publiques que les 3,6 milliards qui étaient attendus. L’effort budgétaire associé à cette mesure sera donc plus faible qu’annoncé. « De même pour les économies sur les crédits gelés des ministères », ajoute l’économiste.

Le texte concocté par le gouvernement Barnier est également soumis à la variable des amendements qui seront votés par les députés. Des propositions pour renforcer la partie fiscalité du budget pourraient trouver une majorité, comme le montrent les débats en commission des Finances. Bonne nouvelle ? Oui, si la fiscalité remplace des coupes dans les dépenses, cela aiderait à redresser la barre.

L’effet multiplicateur – c’est-à-dire l’ampleur de l’impact d’un euro de dépense publique en moins ou d’un euro de recette fiscale en plus sur l’activité économique – des nouveaux prélèvements obligatoires est moins élevé que celui des mesures sur les dépenses, explique l’OFCE dans ses dernières prévisions. Autrement dit, l’économie pâtit plus des restrictions budgétaires lorsqu’elles se concentrent sur la baisse des dépenses que lorsqu’elles consistent en des hausses d’impôts.

La copie du gouvernement est donc améliorable, mais elle pourrait également être dégradée si les débats parlementaires penchent en la faveur des macronistes qui s’accrochent à leur dogme anti-impôts.

Mauvais timing pour couper dans les dépenses

La trajectoire de redressement des comptes publics rencontre par ailleurs des vents contraires, notamment depuis le reste de l’Europe. Nos voisins se lancent aussi dans des politiques budgétaires restrictives, ce qui démultiplie leurs effets.

« Votre économie subit votre propre austérité, mais aussi celle de vos partenaires qui entraîne des baisses d’exportations, puisque la demande diminue également chez eux », craignait déjà l’économiste Eric Heyer début septembre dans nos colonnes.

A l’aune du projet de loi de finances, il réitère ses mises en garde :

« L’effort budgétaire de la France n’est pas sans précédent, mais il est similaire à celui de 2011-2012. Et on s’était dit “Plus jamais ça !” Aujourd’hui l’assouplissement de la politique monétaire va atténuer le choc et les autres pays européens ne font pas des cures d’austérité de même ampleur. Mais cela reste de mauvais augure. »

Aucune vision de long terme

Au-delà des incertitudes sur la crédibilité du PLF à très court terme, le budget de Michel Barnier envoie des signaux inquiétants à moyen et long terme.

« Il y a incontestablement un côté “fonds de tiroir” dans ce budget, estime ainsi l’économiste Mathieu Plane dans The Conversation. Il est difficile de voir une stratégie de long terme sur l’innovation, la transition écologique ou une vision sur l’école quand on demande de faire plus avec moins. A cela s’ajoute le fait que de nombreuses mesures sont présentées comme étant exceptionnelles, de court terme. Il manque clairement une vision globale et de long terme. »

Le caractère temporaire, notamment des hausses d’impôts, a été rappelé à maintes reprises par les membres de l’exécutif. L’édifice fiscal a donc été timidement reconstruit – suite à la casse de sept années de macronisme – sur des piliers en carton qui seront retirés petit à petit. Comment seront-ils remplacés pour garder la maison debout ? Bercy ne donne pas de réponse et cela nuit à la crédibilité du prétendu sérieux budgétaire du gouvernement.

Eric Heyer appuie : « Il y a beaucoup de mesures transitoires dans ce PLF. Il va donc falloir à nouveau demander des efforts dans les années à venir, alors que des efforts plus structurels auraient permis de limiter l’addition pour les années suivantes. »

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