Le débat budgétaire s’ouvre « enfin ». Le chef du gouvernement l’a placé sous l’ombre tutélaire de « la vérité ». « Aussi longtemps que je serai à ce banc comme Premier ministre (…), je m’en tiendrai aux faits, aux chiffres et je dirai la vérité », affirmait-il ainsi lors des dernières questions au gouvernement.
Comment ne pas se réjouir d’une telle ambition lorsqu’on se souvient du gouffre qui séparait systématiquement les annonces des précédents gouvernements d’Emmanuel Macron de la réalité budgétaire ? Alors, qu’en est-il réellement ? Aurons-nous cette fois le droit à « la vérité » ?
Je ne reviendrai pas ici sur le fait que le scenario macroéconomique pour 2025, sur lequel le gouvernement a bâti tout son budget et son objectif de 5 % de déficit, est jugé « fragile » par le Haut Conseil des finances publiques. Si le gouvernement intègre bien l’effet récessif de ses annonces budgétaires, il le sous-estime, et sa prévision de croissance de 1,1 % retient des hypothèses très optimistes sur le commerce mondial, l’investissement des entreprises et la baisse du taux d’épargne des ménages. L’OFCE anticipe pour sa part une croissance de seulement 0,8 %. Les paris sont ouverts !
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Je n’insisterai pas non plus sur l’annonce de 60 milliards d’économies, faite en se basant sur le différentiel avec une trajectoire hypothétique où aucune mesure ne serait prise (et un déficit à 7 %) quand les présentations usuelles se font sur la base de l’année précédente, ce qui conduit alors à des économies autour de 40 milliards (avec une proportion exactement inverse entre dépenses et recettes).
Passons également sous silence le fait qu’une des mesures les plus emblématiques de ce budget, celle de l’impôt sur les ultra-riches, qui devait toucher 65 000 personnes, ne concernera en réalité que 24 300 foyers, contrairement à ce que le gouvernement a annoncé. Car, mal conçu, il n’atteindra pas selon Gabriel Zucman le montant inscrit dans le projet de loi finance (PLF).
Omettons pareillement que ce budget, placé sous le signe de la « justice fiscale » et qui ne devait pas peser sur les « classes moyennes qui bossent » (contrairement donc aux « assistés »), ne les épargnera en rien, pas plus que ne le seront les plus défavorisés d’entre nous, que ce soit via les mesures sur les retraites, la taxe sur l’électricité ou plus généralement les économies faites sur les services publics.
Oublions enfin la promesse non tenue par ce budget de mettre la « dette écologique » (expression en bien des points critiquable) sur le même plan que la dette économique, ce qui se traduit en réalité par une « grande régression ».
Un sous-investissement récurrent
Mais arrêtons-nous sur d’autres dépenses essentielles pour l’avenir, celles de la formation initiale et de la recherche. Nombreux ont été celles et ceux qui, à juste titre, ont dénoncé la suppression de 4 000 postes d’enseignants dans l’Education nationale sous prétexte d’une baisse des effectifs, en négligeant les évolutions passées qui ont conduit la France à figurer en seconde position des pays européens pour le nombre d’élèves par enseignant.
En revanche, on a peu mentionné la situation de la recherche et de l’enseignement supérieur. On le sait, le tableau initial est sombre : la France, depuis plusieurs décennies, sous-investit gravement dans ce secteur. Les deux indicateurs centraux permettant les comparatifs internationaux le prouvent.
En effet, en premier lieu, son « effort de recherche » (la dépense intérieure de recherche et de développement – Dird – rapportée au PIB) était en 2022 à 2,18 %, bien loin de l’objectif de 3 % annoncé depuis au moins le traité de Lisbonne de 2008, et il n’a cessé de baisser depuis 2014, où il était à 2,28 % (sauf en 2020 où il était fortement remonté… en raison de la baisse du PIB, les dépenses baissant en euros courants).
Cela nous place en 15e position des pays de l’OCDE pour 2021 (la dernière année disponible), sous la moyenne de ceux-ci (2,7 %). Certes, si l’on regarde la part prise par le financement des administrations publiques, le classement est un peu moins mauvais puisque nous sommes alors en 11e position. C’est surtout la part prise par les entreprises françaises qui pose problème, et ce en dépit des 7,6 milliards du crédit d’impôt recherche (CIR), première niche fiscale désormais, que le gouvernement refuse de réformer.
Lorsqu’on se penche sur le second indicateur, celui de la dépense par étudiant, alors oui, on peut le dire : nous sacrifions bien notre jeunesse ! Les derniers chiffres publiés montrent ainsi que pour 2021, la dépense par étudiant dans l’enseignement supérieur est désormais sous la moyenne des pays de l’OCDE, et nous place en 15e position.
En outre, les chiffres récents montrent qu’elle poursuit l’inexorable déclin qu’elle subit depuis 2009, en raison notamment de l’accroissement considérable des effectifs étudiants. Si l’on rapporte la dépense consacrée à l’enseignement supérieur au PIB, le chiffre est alors de 1,6 % en 2021, ce qui nous met en 10e position, légèrement au-dessus cette fois de la moyenne de l’OCDE.
Une augmentation de 0,3 %
Certes, si l’on en croit Patrick Hetzel, nouveau ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, on ne peut qu’être rassurés pour 2025. Comme tous les ministres, tous les ans depuis des décennies, il parvient même à afficher un budget en hausse ! Attention, calmons-nous, cette hausse n’est que de 89 millions par rapport au PLF voté en 2024, soit une augmentation de 0,3 % et ce en euros courants !
Et si dans le dossier de presse de présentation du budget, il affiche une hausse de 2,7 milliards d’euros depuis le démarrage en 2021 de la loi de programmation de la recherche, il oublie toutefois de préciser qu’il raisonne en euros courants, et que de ce fait, la hausse ne suit même pas l’inflation !
Et bien sûr, rien n’est dit sur le poids des dépenses d’énergie venues grever lourdement les budgets des établissements, rien non plus sur l’alourdissement des dépenses de personnels lié aux évolutions de carrière et au vieillissement – le fameux glissement vieillesse technicité (GVT) –, qui conduiront probablement 60 % des universités à être en déficit en 2024.
Certes, le financement de la loi de programmation de la recherche augmente, mais nettement moins que prévu (un tiers seulement des 500 millions annoncés) et le reste baisse nettement. Alors que l’on connaît la situation de précarité de trop nombreux étudiants, on voit ainsi les crédits consacrés au programme « vie étudiante » baisser.
En outre, lorsqu’on prend plus largement l’ensemble des crédits consacrés à la mission Recherche et enseignement supérieur (Mires), on constate cette fois une baisse (on passe en effet de 31,8 milliards en 2024 à 31,3 pour 2025, et ce toujours en euros courants).
Quant au plafond d’emplois, il est en baisse de 5 000 postes. Certes, cela aura de toute manière peu d’incidence sur la crise de l’emploi scientifique que l’on observe depuis des décennies puisque, étant donné leur budget, les établissements seront incapables d’ouvrir des postes…
Le dénigrement plutôt que les financements ?
On le constate, les établissements de la recherche et de l’enseignement supérieur n’auront donc pas, une fois encore, les financements indispensables leur permettant d’assurer dans des conditions décentes les missions essentielles dont ils ont la lourde responsabilité. Pas plus que les étudiants les moyens de leur réussite.
Mais l’on peut même redouter qu’à nouveau, comme je l’écrivais il y a un an, le dénigrement ne remplace les financements.
En effet, comment ne pas le craindre, de la part d’un ministre qui non seulement dans le passé a à plusieurs reprises adopté des positions contraires aux données scientifiques, mais qui, en outre, cosignait en avril dernier une proposition de résolution « tendant à la création d’une commission d’enquête relative à l’entrisme idéologique et aux dérives islamo-gauchistes dans l’enseignement supérieur », reprenant ainsi les propos diffamatoires de l’ancienne ministre Frédérique Vidal ?
Qu’attendre d’autre, également, d’un ministre dont le tout premier déplacement a consisté à se rendre à la convention d’un syndicat étudiant proche de l’extrême droit et minoritaire, et qui, dans une « circulaire » envoyée aux présidents d’université, remet en cause le principe fondamental des libertés académiques au nom d’une conception dévoyée de la laïcité ? Une bien triste réalité !