Les grandes discussions internationales concernant l’environnement suivent la même logique : l’argent est la clé du succès. La 16e conférence des parties de la Convention sur la diversité biologique (CDB), connue sous le nom de « COP16 biodiversité », en a fait une nouvelle démonstration.
Les 196 pays signataires de cette CDB se sont rassemblés à Cali, en Colombie, du 21 octobre au 2 novembre, deux ans après la précédente « COP biodiversité » de Montréal, qui avait abouti à la signature de l’accord de Kunming-Montréal, aussi mémorable qu’imparfait.
Mémorable, car ce document offrait à la communauté internationale un nouveau cadre pour freiner le déclin de la biodiversité. En effet, après avoir échoué à atteindre l’ensemble des « objectifs d’Aichi » fixés en 2010 lors de la « COP10 biodiversité », les États parties de la CDB se sont donné, à travers ce nouveau cadre, 23 objectifs à réaliser d’ici 2030. Parmi eux, on trouve la restauration de 30 % des écosystèmes dégradés dans le monde, la protection de 30 % des terres et des mers de la planète, ainsi que la réduction de moitié du danger global associé aux pesticides.
Ce cadre mondial de Kunming-Montréal présente toutefois des lacunes, car il lui fait défaut de deux éléments essentiels, qui étaient au cœur des débats à Cali : un mécanisme de suivi des engagements permettant d’évaluer les progrès de chaque pays vis-à-vis des 23 objectifs ; et un mécanisme garantissant le transfert de financements des pays du Nord vers ceux du Sud pour qu’ils investissent dans la protection de la biodiversité.
Sur ces deux questions cruciales, la COP16 de Cali n’est pas parvenue à un accord. Cet échec souligne que le suivi des engagements nationaux et la question des financements Nord-Sud restent les deux points récurrents problématiques des COP, qu’elles soient axées sur la biodiversité ou le climat.
De cette manière, la 29e « COP climat », qui se déroule du 11 au 22 novembre à Bakou, en Azerbaïdjan, s’annonce riche en débats difficiles concernant la solidarité Nord-Sud. Dans un contexte où les engagements nationaux sur le climat ne permettent toujours pas de respecter l’accord de Paris (maintenir le réchauffement « nettement » en dessous de 2°C), comme l’a récemment évalué le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE).
Des engagements insuffisants pour la biodiversité
Ces mêmes problématiques appliquées à la biodiversité se sont également manifestées à Cali. En premier lieu, disposer d’un mécanisme de suivi et d’évaluation des engagements nationaux, pour s’assurer qu’ils soient en phase avec les objectifs mondiaux, est crucial. C’était l’une des priorités clairement exprimées par la France.
« Il est effectivement indispensable de préserver la crédibilité [du cadre mondial pour la biodiversité (CMB) de Kunming-Montréal], qui repose d’une part sur sa capacité à encourager des actions significatives et appropriées pour la biodiversité, et d’autre part sur les résultats concrets issus de l’accumulation de ces actions pour l’amélioration de l’état de la biodiversité », résumait Juliette Landry.
La chercheuse, experte en gouvernance de la biodiversité à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), s’exprimait ainsi dans une note diffusée avant la COP16.
En pratique, le nouveau cadre mondial adopté en 2022 exige que chaque pays soumette ses « stratégies et plans d’action nationaux pour la biodiversité » (ou SPANB) destinés à démontrer comment ils atteindront les 23 objectifs d’ici 2030.
Cependant, à l’été 2024, seulement 20 pays avaient publié ces documents, et 63 avaient présenté des engagements partiels. Ce chiffre est largement insuffisant, surtout qu’une analyse du WWF indiquait à l’époque que ces feuilles de route n’étaient pas complètement en accord avec les objectifs globaux du CMB.
Certes, la situation s’est quelque peu améliorée à la fin de la COP : 44 pays avaient rendu leur stratégie nationale et 119 avaient formulé des engagements partiels. Néanmoins, les questions d’ambition et de cohérence demeurent. La COP16 devait notamment convenir d’une « revue mondiale » des engagements nationaux et des moyens mis en œuvre par les États, qui aurait dû être finalisée d’ici la COP17 de 2026 en Arménie. Ce mécanisme reste donc en attente.
Impasse sur les financements Nord-Sud
La réalisation du CMB dépend également de la capacité des pays du Sud à financer des initiatives pour la biodiversité, ce qui nécessite un mécanisme pour mobiliser les fonds des pays du Nord. Ainsi, la COP16 avait pour mission d’établir une stratégie financière pour combler le déficit de financement en faveur de la biodiversité, évalué à 700 milliards de dollars annuellement.
Pour cela, l’une des 23 cibles du CMB est de mobiliser au moins 200 milliards de dollars par an d’ici 2030 pour la biodiversité (provenant de « toutes les sources », publiques comme privées), dont 30 milliards de dollars par an de transferts des pays développés vers les pays en développement, avec un palier de 20 milliards de dollars par an d’ici 2025.
Lors de la COP15 de Montréal, un accord avait été réalisé pour créer un fonds à cet effet : le Global Biodiversity Framework Fund (GBFF). Cependant, son lancement est laborieux.
Premièrement, sa dotation est insuffisante, avec seulement 400 millions de dollars collectés, dont 163 millions lors de la COP16 (la France ayant contribué 5 millions). Deuxièmement, les pays du Sud, notamment ceux du groupe des pays africains, soulignent l’accès difficile aux fonds et critiquent sa gouvernance.
L’Afrique du Sud et le Zimbabwe ont donc, au nom des pays en développement, proposé la mise en place d’un nouveau fonds, mais ont été fermement opposés par les pays développés (UE, Suisse, Norvège, Canada, Japon). Ces derniers estiment qu’un nouveau fonds serait une perte de temps et d’énergie qui ne traiterait pas le problème structurel du volume global des financements Nord-Sud.
« Ce signal négatif aura des répercussions sur d’autres négociations environnementales d’ici la fin de l’année (climat, plastiques, désertification), car il met en évidence un profond désaccord sur la faisabilité politique et technique des transferts Nord-Sud d’une manière complètement différente de ce qui a été fait jusqu’à présent », analyse Sébastien Treyer, directeur général de l’Iddri. Une fois de plus, les discussions sont remises à plus tard.
Quelques réussites
Un seul motif d’espoir concernant le financement : même sans mécanisme multilatéral, d’autres circuits existent et se développent. Selon un rapport de l’OCDE de septembre, les fonds alloués aux pays du Sud pour la biodiversité ont augmenté, passant de 11,1 milliards de dollars en 2021 à 15,4 milliards en 2022, se rapprochant de l’objectif 2025 de 25 milliards par an.
En outre, la COP16 a enregistré plusieurs succès. Tout d’abord, les peuples autochtones, représentant 6,2 % de la population mondiale mais occupant 22 % des terres mondiales abritant plus de 80 % de la biodiversité, seront désormais membres d’un groupe permanent de la CDB.
Une autre victoire : les discussions sur le partage des bénéfices issus de l’utilisation commerciale des séquences génétiques d’animaux ou de plantes. Les grandes entreprises profitant de ces connaissances (dans les domaines pharmaceutique, cosmétique, agro-industriel) devront verser 0,1 % de leurs revenus ou 1 % de leurs bénéfices dans un nouveau « fonds Cali », destiné aux peuples autochtones et aux États d’origine des ressources.
En l’absence d’un cadre global pour gérer les engagements et les financements, ces succès demeurent limités. La représentation permanente des peuples autochtones et les maigres ressources provenant des entreprises exploitant le patrimoine génétique – quelques milliards de dollars par an espérés – ne garantissent en rien d’inverser la tendance à la perte de biodiversité mondiale.
Pour Sébastien Treyer, bien qu’il soit nécessaire d’« arrêter de penser que chaque COP doit aboutir à un accord global, à un deal sur tous les sujets », cette COP16 laisse « une forte impression d’inachevé ».
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