Après le discours de Macron aux armées, la France doit déjouer le piège libyen
La crise en Libye, incessant sujet de préoccupation depuis la chute de Mouammar Kadhafi en octobre 2011, est venue nous rappeler l’importance stratégique de la Méditerranée Orientale. Emmanuel Macron, lors de son discours aux armées du 13 juillet, a insisté sur les “nouveaux jeux de puissances” qui s’y déploient à 250 km des côtes italiennes et donc de l’Union Européenne.
Le président français et son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, se montrent volontiers diserts pour fustiger -à juste titre- l’activisme politico-militaire de la Turquie.
Néanmoins, le président français en évoquant la responsabilité “historique” et “criminelle” d’Ankara, en aurait-il oublié la participation tout aussi active des Emirats Arabes Unis?
Les EAU prêtent main forte militairement au maréchal Khalifa Haftar qui refuse de reconnaître le gouvernement faible, quoique internationalement reconnu (GNA) de Tripoli, et lui livre une guerre sans merci depuis son fief de Benghazi.
Les EAU et son prince hériter, Mohamed Ben Zayed (MBZ) déploient en Libye drones, véhicules blindés anti-mines et avions de combat qui ont effectué des centaines de frappes selon les Nations Unies.
Nous devrions ainsi ne pas oublier qu’une bonne partie des armes qui transitent à travers les frontières libyennes viennent autant par les airs et via la frontière commune avec l’Egypte, que par voie maritime. C’est là une réalité opérationnelle qui en rendrait presque caduques les résolutions onusiennes qui ont pourtant mis en place depuis février 2011 un bien fragile embargo sur les armes. Les bâtiments de notre marine nationale, pourtant garants de cet embargo, au même titre que ses partenaires engagés dans l’opération “Sea Guardian” de l’OTAN et EUNAVFOR Med “Irini” de l’UE, en ont fait, il y a quelques jours, l’amère expérience!
La Libye est ainsi désormais l’otage de rivalités extérieures. Ghassan Salamé, l’ancien Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU pour la Libye, démissionnaire de son poste en mars dernier, ne dit pas autre chose quand il évoque un “coup de poignard dans le dos” de plusieurs pays membres du Conseil de Sécurité.
La France porte ainsi la lourde responsabilité d’avoir vu en Khalifa Haftar un négociateur sincère et honnête, alors que ce dernier restera un militaire au sens tactique discutable et au palmarès militaire quasi-inexistant. Le maréchal n’a eu de cesse, dès lors, de faire miroiter à ses interlocuteurs le projet d’unifier la Libye sous sa botte en éliminant les islamistes.
Cet engagement reste pourtant incompris par une grande partie des Libyens eux-mêmes et la majeure partie de nos alliés européens, notamment les Italiens. Ces derniers, en maintenant près de 300 soldats pour assurer la protection de l’hôpital de Misrata et en gardant la dernière ambassade européenne ouverte à Tripoli semblent plus enclins à soutenir pleinement le GNA.
Aujourd’hui, les armes affluent pourtant de toutes parts, en violation flagrante et constante de l’embargo décrété par l’ONU en février 2011 et sans cesse renouvelé, toujours en vain.
C’était là un des hiatus, qui, en se creusant, rendait inopérante la médiation européenne, dans ce qui semble apparaître désormais comme un affrontement “sous-jacent” opposant les Emirats Arabes Unis (EAU), l’Egypte et l’Arabie saoudite -soutenus diplomatiquement par la Russie- à un axe Tripoli-Ankara-Doha, qui se joue désormais par le biais de supplétifs, sociétés militaires privées et sous-traitants militaires engagés, à grands renforts de livraisons illicites d’armes, notamment de drones, véhicules blindés anti-IED et systèmes anti-aériens.
Ainsi, tout en évitant que les efforts diplomatiques engagés par Paris, en juillet 2017 et mai 2018, ne soient dilapidés par une fuite en avant belliqueuse. La France aurait tout intérêt à user concomitamment de ses relations privilégiées tant avec les Émirats Arabes Unis afin qu’ils cessent d’armer les forces de Khalifa Haftar, qu’avec le Qatar, qui constitue -bien avant le soutien militaire renforcé militaire turc– le principal allié diplomatique de Tripoli.
Pour sortir de cette impasse, la France aurait dû se saisir de l’élan généré par la conférence de Berlin de janvier dernier. En modérant ainsi sa position, notre pays retrouverait sa posture équilibrée et son rôle de médiateur facilitant une sortie de crise, attendu par les Libyens depuis trop longtemps.
Plusieurs mesures concrètes de confiance retrouvée devraient être mises en place.
La première d’entre elles devrait être la nomination immédiate d’un Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies, de nationalité africaine, relançant de jure la mission des Nations Unies en Libye (MANUL) et de facto l’appropriation régionale du processus de stabilisation.
Il conviendrait aussi de renforcer l’embargo des Nations Unies sur les armes, imposé à la Libye, en renforçant l’opération maritime de l’UE en Méditerranée Irini, en l’équipant pleinement et en lui donnant les moyens de sa mission, tout en exigeant une extension de l’embargo par voie aérienne, compte tenu de l’accélération des vols ayant amené hommes et matériels des deux côtés.
Il faudrait également, au-delà des mots savamment prononcés par Emmanuel Macron à l’Hôtel de Brienne le 13 juillet, non seulement exiger un cessez-le-feu immédiat, mais surtout exhorter le maréchal Khalifa Haftar et le gouvernement de Fayez-el Serraj à participer aux pourparlers de cessez-le-feu de Genève et à toute négociation internationale, régionale ou intra-libyenne, soutenue par l’ONU, tout en visant à élargir ces négociations “intralibyennes” au Président du Parlement de Tobrouk, Aguila Salah Issa ainsi qu’au ministre de l’Intérieur, vice-président du Conseiller présidentiel de Tripoli, Fathi Bechaga.
Enfin, il conviendrait d’engager l’Union européenne, par le truchement de la présidence allemande de l’UE -depuis le 1er juillet 2020- à participer aux négociations turco-russes, pour l’instant repoussées, sur l’éventuel modèle du processus d’Astana qui avait démontré son efficacité et capacité à fonctionner en parallèle du processus onusien pour la Syrie.
Le constat d’un indéniable blocage libyen issu tant de l’aventurisme militaire, soutenu par certains de nos alliés, du Golfe Persique et de la péninsule arabique, que des relations diplomatiques contradictoires -en apparence- de nos autres alliés européens, nous offre, paradoxalement, une formidable opportunité de mettre en exergue une position d’équilibre.
Seule la France peut parler au Qatar comme aux EAU avec la même détermination et des leviers de pression semblables.
Penser une sécurité collective sur tout le pourtour méditerranéen, alors que nous allons célébrer en novembre prochain 25 années de coopération euro-méditerranéenne et 70 ans de francophonie, en terre tunisienne, limitrophe de la Libye, exige de la France une cohérence qui prenne enfin en compte les intérêts du peuple libyen et des autres pays de la région.
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