La sœur du Général de Gaulle occupait une place de choix dans son cœur et ses décisions politiques
D’ordinaire peu enclin à montrer ses émotions, on découvre dans ce livre un homme en proie au doute et au dépit. Les auteurs, la psychologue Judith Cohen Solal et le réalisateur Jonathan Hayoun, le dépeignent plus sensible aux marques d’attention, plus affectueux envers sa famille, alors qu’il apparaît très meurtri par les retournements de veste de ses amis politiques qui ont voté non à son référendum pour la création des régions. Il est chagriné face à un pouvoir qu’il n’a plus, désemparé comme du temps de son escapade à Baden-Baden.
Liens très solides
Engagés ensemble dans la Résistance, Marie-Agnès a toujours soutenu les choix politiques de son frère cadet, même si elle a subi à cause de lui une arrestation par la Gestapo en 1943 puis un emprisonnement et une déportation jusqu’en 1945.
De l’ombre à la lumière
Le HuffPost s’est entretenu avec les deux auteurs du livre afin d’en savoir plus sur le rôle politique et affectif de la sœur du Général.
Dès la première page du livre, vous citez les mots de Marie-Agnès Cailliau de Gaulle, au sujet de son frère, “Il avait souffert et était écœuré de la trahison de certains, c’est-à-dire de ceux qui auraient voté ‘non’ au référendum.” Pourquoi l’avoir choisie elle pour illustrer le désarroi de l’ancien président à son départ du pouvoir?
Judith Cohen Solal: Marie-Agnès, c’est le refuge affectif du Général. Elle est sa confidente depuis toujours. Plus âgée d’une année, elle s’occupe de lui pendant leur enfance, elle le protège de son originalité, parce que petit déjà, Charles n’est pas du genre à se laisser faire, il a ses idées à lui, et elle sera toujours à ses côtés pour les défendre.
Elle lui permet de s’épancher quand il vit quelque chose de dur. Il se confie à elle, elle reçoit ses confidences, ils ont noué une intimité fraternelle, une proximité qui fera de Marie-Agnès un maillon fort de la construction du personnage.
«Marie-Agnès, c’est le refuge affectif du Général.»
Jonathan Hayoun: La soeur du Général a toujours été là dans les moments les plus douloureux de sa vie. Ainsi, lorsqu’il est à Dublin quelques semaines après son retrait en avril 1969, pour éviter les commémorations de l’appel du 18 juin en France, il lui écrit: “Je désire te voir dès mon retour.”
On ne sait pas combien de temps exactement il passera auprès d’elle, une journée ? Une journée plus une nuit ? Quoi qu’il en soit, elle est son attache, celle qui le remet debout. Elle est le socle familial, après la mort de leurs parents. De Gaulle profitera de cette expédition chez sa soeur pour se rendre sur la tombe de ses parents, à Sainte-Adresse.
L’un de ses fils s’appelait “Charles”
Judith Cohen Solal : Il faut savoir que ce fils s’engage auprès de son oncle dès le début de la guerre et meurt sur le front en 1940. C’est à Charles de Gaulle qu’il revient d’annoncer la terrible nouvelle. Il le fait dans une lettre émouvante: “J’en suis d’autant plus triste que Charles est, je ne veux pas dire “était”, un magnifique officier, un merveilleux sujet. Je t’embrasse ma chère petite sœur et je t’embrasse encore. Ton frère qui t’aime. Charles.”
«Ton frère qui t’aime.»
Jonathan Hayoun : Ce moment les lie à jamais. D’autant qu’il aura d’autres conséquences, comme l’arrestation de Marie-Agnès. Elle se rend à l’endroit où son fils est tombé pour se recueillir. A cette époque, la Gestapo recherche les frères et soeurs de de Gaulle. Elle trouve Marie-Agnès sur son chemin de retour et l’arrête.
Elle ne peut pas cacher son identité, puisqu’elle a conservé le nom de Gaulle à la demande de son père. Ce dernier tenait à ce que son nom soit transmis à ses petits-enfants. A l’époque, seule Marie-Agnès avait des enfants. Porter le nom de Gaulle lui a valu un emprisonnement à Fresnes, puis une déportation en Allemagne dans le camp de Godesberg, jusqu’en 1945.
Un message sur Radio Londres pour sa famille
Jonathan Hayoun : En effet, avant de subir la déportation, Marie-Agnès a suivi son frère à Londres. C’est dans un message très personnel à la radio, qui fait allusion à leur tante Elise, que toute la famille comprend où il est et qu’elle est invitée à l’y retrouver.
Judith Cohen Solal : Leurs destins sont intimement liés. Tous les deux, c’est à la vie, à la mort, dans leurs jeux d’enfants, autant que dans la vie d’adulte.
Pourtant Yvonne lui refuse de voir la dépouille de son frère et fait fermer le cercueil avant qu’elle n’arrive à la Boisserie…
Judith Cohen Solal : Ce n’est pas aussi clair que cela. D’abord, Marie-Agnès est en maison de retraite à plusieurs kilomètres de la demeure de Charles et Yvonne. Son fils est parmi les premiers prévenus du décès. Il attend que le jour se lève pour aller à la rencontre de sa mère, qui loge dans une maison de retraite de la banlieue parisienne. Une journée s’écoule avant qu’elle ne rejoigne Colombey.
C’est à la fois ce retard et l’empressement d’Yvonne à éviter qu’on ne fasse du grand homme une relique qui ont empêché Marie-Agnès de voir la dépouille de son frère.
Comment se manifeste l’affection que porte le Général à sa soeur ?
Jonathan Hayoun : À tous les moments clés de sa vie, il lui écrit. Ainsi, le soir même de son arrivée au pouvoir en 1958, il rédige une lettre dans laquelle il lui demande de le soutenir dans ce nouveau défi. Pareillement à l’annonce de la maladie de sa fille Anne, le Général pleure et sa soeur est là.
Judith Cohen Solal : De Gaulle est un homme pudique. Il a grandi dans une famille catholique très pratiquante, qui érige l’austérité en principe de vie. On ne fait pas étalage de ses sentiments.
Jonathan Hayoun: Son père, ancien militaire et dreyfusard, a donné à ses enfants le sens de l’honneur, la nécessité de se battre pour sa patrie et la croyance en la méritocratie. Il leur offre le goût de la culture plutôt que celui de l’argent. Toutes ces valeurs ont forgé un homme qui n’abandonnera jamais sa famille, comme il n’a jamais abandonné la France dans les moments les plus douloureux, et lui témoignera, sa vie durant, une affection sans faille.
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