Des télétravailleurs vivent mal leur télétravail, voici pourquoi
Depuis début novembre, la plateforme Pros-Consulte, spécialiste du bien-être au travail, reçoit les appels des télétravailleurs en souffrance des petites et moyennes entreprises via le numéro vert mis en place par le gouvernement pour les écouter, les conseiller et les soutenir. “Ils ont le droit à trois appels gratuits”, précise Clara*, psychologue du travail du réseau Pros-Consulte, interrogée par Le HuffPost. Elle tient à rappeler que, bien que les personnes qu’elle reçoit au bout du fil n’aillent pas bien, tous les télétravailleurs ne vont pas mal.
“Lorsque le télétravail a été réfléchi par l’entreprise, où lorsqu’il était déjà pratiqué avant la crise sanitaire, ça se passe bien. Mais lorsque les entreprises ont été obligées de télétravailler et de transposer le même fonctionnement que sur leur site, mais à distance, beaucoup de tensions sont apparues”, analyse Clara. “Au bureau, être disponible est normal. Quand le télétravailleur est chez lui, il n’est pas libre de la même manière”, poursuit-elle. Avant de conclure: “le télétravail ne fait qu’accentuer les situations déjà compliquées, quand les liens sociaux ne sont plus là pour réguler les conflits”.
Les renvois des appels vers des psychiatres ont tout de même augmenté de 50% par rapport au mois de septembre, rapporte une responsable stratégie de marque de la plateforme d’écoute, et, selon une étude réalisée avant le deuxième confinement par le cabinet de qualité de vie au travail et de prévention des risques psychosociaux, Empreinte Humaine, cité par France Culture, un salarié sur deux est désormais en détresse psychologique.
Visios à outrance et multiplication des appels
“Cela ne veut pas dire qu’il ne travaille pas, mais juste qu’il avait organisé son travail autrement”, prévient Clara. Utiliser le téléphone pour des choses urgentes, réserver les réunions pour les points d’équipe et la messagerie instantanée pour les infos courtes et pour garder le contact avec ses collaborateurs sont des pistes évoquées par la psychologue. “On ne peut pas changer le fait de télétravailler, mais on peut changer sa perception du télétravail, s’interroger : qu’est-ce qui est important et qu’est-ce qui ne l’est moins? Il faut arriver à gérer cette priorisation”, livre Clara.
Parmi les témoignages de télétravailleurs recueillis par Clara, un manager a aussi fait part de ses difficultés: “Il en avait marre parce que ses salariés disaient toujours non à tout, râlaient en visio et exprimaient un mal-être. Il ne s’était pas rendu compte de cette dégradation d’ambiance et, grâce à mes questions, orientées, on s’est rendu compte à quel point le travail rentrait trop dans la maison de ses salariés. Il s’est remis en question tout seul et a pu changer les choses”, rapporte-t-elle.
Temps de connexion et droit à la déconnexion
“C’est terrible ce temps de connexion alors que je travaille avant, ou après, mais l’heure à laquelle je dois me connecter, c’est aussi l’heure à laquelle je dois emmener mes enfants à l’école”, confiait aussi une mère de famille à la psychologue. La psychologue a remarqué que chez les femmes, la barrière entre vie privée et professionnelle est plus compliquée, quand il faut en plus de la charge de travail, gérer le quotidien d’une maison.
“Il est difficile de bien séparer les moments professionnels et personnels, le droit à la déconnexion est beaucoup moins transparent. Nous sommes constamment connectés sur notre ordinateur et donc en ligne pour répondre à de multiples sollicitations…”. Alexandre*, consultant au sein d’un grand cabinet de conseil parisien en télétravail depuis neuf mois, vit seul dans un petit appartement dans le 15ème arrondissement, et regrette que son coin “nuit” soit par exemple accolé à son coin “travail”. Pas de vraie chaise de bureau, de table, de double-écran non plus.
Délimiter du temps et de l’espace
Réussir à se délimiter du temps est la clé, rappelle la psychologue, qui a accompagné une mère de famille en grande difficulté : “Elle n’arrêtait pas. Entre les machines à mettre en route, les enfants à préparer, les mails à regarder, tout était mélangé. Elle adorait prendre sa voiture pour aller au travail car c’était le temps pendant lequel elle se préparait mentalement à aller travailler. Je lui ai proposé de remplacer son trajet avec une balade de 10 à 15 minutes pour couper avec la maison, et ‘changer de casquette’. Elle n’y avait jamais pensé, elle a trouvé ça génial”.
“Plus de moment hors travail pour rigoler ensemble”
La psychologue du réseau Pros-Consulte rappelle que cet isolement empêche parfois de désamorcer des mails mal compris, qui vont forcément être interprétés de manière négative sous le coup de l’anxiété. Alexandre, consultant, confirme cette difficulté à gérer cette sociabilité : “Nous ne pouvons pas nous voir en dehors entre collègues pour partager des moments hors travail et rire ensemble. Le lien est numérique et la rupture avec le réel est compliqué à appréhender pour certaines personnes. Heureusement, nous sommes une équipe soudée et résiliente qui faisons face à cette crise avec la volonté d’en sortir plus fort et plus efficace”.
“Je ne sais plus pourquoi je travaille”
Tous les télétravailleurs entendus par cette psychologue s’entendent au moins sur une chose : ils ont hâte de pouvoir retourner à leurs bureaux, même juste quelques jours par semaine, car dans le télétravail, tout n’est pas bon à jeter.
*Les prénoms ont été changés
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