Comment le chômage peut-il baisser en pleine crise ?
Grand complot ? Bidouillage des chiffres par le gouvernement ? Aveuglement des statisticiens, complètement coupés de la réalité avec leurs tableurs Excel ? A priori, difficile de comprendre comment le chômage a pu baisser en France alors que le pays connaît la pire crise économique de son histoire récente.
C’est pourtant bien ce qu’a annoncé l’Insee le 16 février. Le taux de chômage a reculé de 1,1 point au dernier trimestre 2020, tombant à 8 % de la population active. Ce niveau n’avait pas été aussi bas en France depuis…2008 ! Cela alors que l’activité économique a plongé de 8,3 % sur l’année, une chute jamais vue depuis la Seconde Guerre mondiale. Ce paradoxe s’explique doublement.
Thermomètres du taux de chômage
La première raison est statistique, et vient de la définition du chômage. Pour calculer le taux de chômage, l’Insee s’appuie sur la définition du Bureau international du travail (BIT). Pour être considéré comme chômeur, il faut cumuler trois conditions. D’abord, être sans emploi lors de la semaine de l’enquête, ensuite être disponible pour travailler dans les deux semaines qui suivent. Enfin, avoir effectué, au cours des quatre dernières semaines, une démarche active de recherche d’emploi.
Cette définition est suivie très scrupuleusement. Si Martine a très exceptionnellement travaillé une matinée en intérim pendant la semaine dite « de référence », elle n’est pas considérée comme chômeuse. Si Nora, qui était au chômage, vient de se casser la jambe, et n’est pas en mesure d’occuper un emploi dans les deux semaines à venir, elle sort de la définition.
Enfin, si David voulait retrouver un travail, mais n’a pas pu se rendre à Pôle emploi ou à un entretien d’embauche, par exemple à cause d’un confinement, il n’est pas considéré comme un chômeur. C’est ce troisième cas de figure qui explique principalement la baisse du chômage, déjà constatée au deuxième trimestre 2020, et de nouveau à l’œuvre pendant le deuxième confinement. L’Insee explique d’ailleurs bien que la baisse du chômage lors de ces deux trimestres est « en trompe-l’œil ».
Comment avoir une photo plus juste de la réalité ? Première option : regarder un autre thermomètre, en l’occurrence, celui fourni par Pôle emploi, qui communique chaque trimestre le nombre de demandeurs d’emploi inscrits dans ses fichiers.
Mais ce chiffre est logiquement soumis aux mêmes limites que celui de l’Insee. Ainsi, Pôle emploi observe aussi une baisse du nombre de demandeurs d’emploi au quatrième trimestre 2020. Cette fois, la chute s’explique en partie par un faible nombre de nouveaux inscrits à Pôle emploi.
D’autres indicateurs
Heureusement, on dispose d’autres options pour améliorer cette photo, en se tournant vers l’Insee. L’institut offre une batterie d’indicateurs complémentaires au taux de chômage. Il calcule ainsi le nombre de personnes qui se retrouvent dans le « halo du chômage », à savoir celles et ceux qui recherchent un emploi, sans pour autant être considérés officiellement comme des chômeurs, parce qu’elle ou ils ne sont pas disponibles immédiatement par exemple.
Fort logiquement, le nombre de personnes présentes dans cette catégorie s’est envolé pendant le premier confinement, a baissé cet été lorsque les demandeurs d’emploi ont pu retourner à Pôle emploi, et a réaugmenté au dernier trimestre lors du second confinement. Depuis le début de la crise économique liée au Covid-19, halo du chômage et nombre de chômeurs se sont comportés comme deux vases communicants. Pour avoir une vision globale correcte, il faut donc ajouter les deux catégories.
Mais ce n’est pas tout. La frontière entre emploi et chômage est de moins en moins nette. C’est vrai depuis longtemps, avec la multiplication des formes d’emplois flexibles et précaires, occupées par les auto-entrepreneurs, les travailleurs en intérim, les salariés à temps très partiel, les contractuels, etc. Et c’est encore plus vrai depuis la crise du Covid-19, et le recours massif au chômage partiel.
Beaucoup de ces situations sont symptomatiques d’un même problème : ceux qui les vivent aimeraient travailler plus. L’Insee calcule donc le sous-emploi, c’est-à-dire tous les cas de figure dans lesquels des personnes en emploi aimeraient travailler davantage. Avec la pandémie, il a fortement progressé, notamment en raison de l’explosion du chômage partiel.
Au total, si l’on additionne le chômage « pur et dur », le halo du chômage et le sous-emploi, « plus d’un participant au marché du travail sur cinq se trouve contraint dans son offre de travail », écrit l’Insee. De quoi relativiser le niveau très bas du taux de chômage pur et dur.
Et ce n’est pas fini ! Toutes ces situations « contraintes » ne disent rien des personnes découragées de rechercher un travail après de longues périodes de chômage, et qui ont abandonné le « jeu » du marché de l’emploi. Pour avoir la vision complète du tableau de l’emploi (et du non-emploi), il faut donc regarder le taux d’activité, qui rapporte le nombre de personnes dites « actives » (c’est-à-dire en emploi ou à la recherche d’un emploi) au nombre de personnes de la population en âge de travailler (15-64 ans).
Ce taux d’activité a baissé de 0,4 point entre la fin 2020 et la fin 2019, et même de 0,5 point pour les 25-49 ans, c’est-à-dire le cœur de la force de travail de la population. Une partie de la non-explosion du chômage s’explique donc par l’abandon et le découragement de certains demandeurs d’emploi, un phénomène à l’œuvre depuis la crise de 2008.
L’emploi privé résiste… pour l’instant
Faut-il donc conclure que la non-explosion du chômage se justifie seulement par quelques écritures statistiques ? Ce serait très exagéré. L’explication vient également d’une belle résistance de l’emploi. Malgré l’ampleur historique de la crise économique, et une récession de 8,3 % du PIB en 2020, l’emploi privé n’a reculé que de 1,8 % entre le quatrième trimestre 2020 et l’année précédente à la même période.
L’Insee explique ainsi que « la baisse du chômage au quatrième trimestre 2020 provient d’abord de la hausse du taux d’emploi, lequel a continué de se redresser en moyenne sur le trimestre ». Certes, « l’effet trompe-l’œil » décrit précédemment dans l’article a joué, mais plus marginalement que le retour à l’emploi.
Dans le détail, l’intérim, la construction et le tertiaire non marchand (qui regroupe les associations par exemple) ont recréé des emplois, quand l’industrie et le tertiaire marchand ont limité la casse malgré le second confinement. Cette dynamique est cohérente avec les chiffres de Pôle emploi, qui observe des niveaux assez élevés de sortie des inscrits en raison d’une reprise d’emploi.
D’où vient cette incroyable résistance de l’emploi malgré le contexte économique ? Probablement des dispositifs d’aide massifs mis en place par le gouvernement que sont le chômage partiel, les prêts garantis par l’Etat et les reports de cotisations.
Une partie de l’économie française est encore largement sous cloche. Lorsque la puissance publique pourra se permettre de supprimer les mesures sanitaires contraignantes (confinements, couvre-feu…) et les dispositifs d’aide, les mécanismes économiques et les indicateurs statistiques reprendront eux aussi leur marche normale. Et à ce moment-là, il est malheureusement peu probable que le taux de chômage puisse rester à 8 %.
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