Les Australiennes hors la loi des années 1920 en couleur
Certaines ont l’air fatigué. D’autres fixent l’objectif avec de la crainte dans le regard. D’autres encore lâchent un sourire aussi fugace que nonchalant, comme si leur arrestation n’était que la dernière d’une longue série. Tous ces visages ont environ un siècle et appartiennent à des femmes qui ont enfreint la loi dans les environs de Sydney. Ces femmes avaient été conduites au Commissariat central où un photographe de la police leur a tiré le portrait alors qu’elles étaient assises dans leurs cellules. Aujourd’hui, l’artiste Matt Loughrey, installé au Royaume-Uni, a décidé de ressusciter ces visages.
Loughrey est totalement autodidacte en matière de colorisation et s’est récemment lancé dans une opération de résurrection de photographies. Inspiré par ses années passées en Australie, il a décidé de mettre ses talents à profit pour fouiller et révéler le passé trouble de ce pays de l’autre bout du monde. Il a accepté d’évoquer ce projet avec nous depuis sa maison irlandaise du comté de Mayo.
VICE : Salut Matt, qu’est-ce qui te plaît dans les photos d’identité ?
Matt Loughrey : Les visages racontent des histoires. C’est aussi simple que ça. Les paysages et les bâtiments sont des entités inanimées et on ne peut pas vraiment s’identifier. Mais quand on regarde quelqu’un, quand on regarde un visage, des yeux, on ressent l’histoire de la personne. Alors je suis resté sur les visages. Et les photos d’identité, je trouve que c’est la condition humaine la plus ouvertement montrée. Le modèle n’a nulle part où aller, son temps lui est dicté, imposé, il n’a plus la main sur rien. C’est un moment destiné à la réflexion. On a deux choix, n’est-ce pas ? On peut combattre ou se soumettre. Et dans la soumission, on est pleinement ouvert au monde. Quand on voit sa propre photo d’identité, on se voit soi-même. Sans le moindre doute. Et quand on la montre, tout le monde veut la voir. La photo d’identité, c’est l’oracle de la condition humaine.
Pourquoi les détenues australiennes sont-elles un bon sujet pour ton travail ?
Ce n’est vraiment pas commun de voir beaucoup de femmes, toutes bien habillées, dans une série de photos où elles ont toutes cet air introspectif. La photo d’identité est un exercice plutôt dévalorisant, mais ces femmes sont très bien habillées. Je trouve que ça fait un sacré contraste. Ça rajoute vraiment quelque chose qui pousse le spectateur à réfléchir à ce qu’il a devant les yeux. Comment peut-on être si exposée et, en même, temps si élégamment vêtue ?
Ces photos d’identité sont la couverture d’autant d’histoires. Laquelle t’a le plus frappé ?
Alice Cooke s’est démarquée du reste. C’est une jeune femme, et je pense que c’est potentiellement l’une des plus dangereuses de toutes celles que l’on voit sur la série. Mais n’allez pas croire qu’elle passait ses journées à poignarder des gens ou à faire du mal à des enfants. C’est plutôt l’éternelle arnaqueuse. Elle ne m’a pas frappé pour son côté rêveur ou fantasque, mais plutôt pour son côté sociopathe. Elle avait de nombreuses identités présumées, fausses, et elle s’était mariée à plusieurs reprises. C’est de la véritable méchanceté. On ne le fait pas parce qu’on y croit, mais parce qu’on y gagne quelque chose.
Sur la série, est-ce qu’il y a une photo d’identité qui t’a paru particulièrement difficile à regarder
La femme qui a fait une tentative d’avortement. L’image est vraiment dure. On ne peut pas juger une personne juste à sa tête, mais on peut voir ce qu’elle révèle. Et là, on voit qu’elle savait ce qui l’attendait, comme une biche prise dans les phares d’une voiture. Je trouve que ça se voit. Le truc, c’est que personne ne sait ce qui se passe dans la vie des autres. Peut-être que des événements très intimes, très personnels absolument tragiques l’ont conduite à cet instant.
Quelle photo t’a paru se démarquer le plus du crime ?
Barbara Turner. C’était une arnaqueuse de haut vol. Je crois que son visage en dit long, mais peut-être qu’il en dit beaucoup sur les crimes qu’elle commettait en prétendant être la victime. Ou peut-être qu’elle a simplement la tête de celle qui s’est fait attraper.
Est-ce qu’il y a une photo que tu as hésité à intégrer à la série ?
Pas dans cette série, non. En fin de compte, je n’ai hésité avec aucune, parce que j’avais ce truc de crime et châtiment en tête. Mais en général, oui. Il y a eu quelques occasions où des personnes ont vraiment compris mon boulot de travers. La dernière fois c’était il y a quelques jours. Un pervers voulait une photo animée, tu vois le truc ?
Et que s’est-il passé ?
Eh bien, le type aurait pu être un peu problématique. C’est un photographe réglo et reconnu. Il bosse pour des entreprises, il a pas mal de bonnes critiques sur son site Internet et il est respecté. Il est venu me voir pour me demander de faire quelque chose. C’était clairement une ancienne relation, et le truc était assez dégueulasse. Il était très minutieux et méthodique à propos de ce qu’il voulait que l’animation fasse. Je lui ai très poliment répondu « non ».
Est-ce le client le plus marquant que tu aies eu ?
Non. Jeff Bridges a acquis une de mes œuvres. J’ai cru que c’était une blague, mais non. C’était sérieux. Le truc a été arrangé via son agent. C’était plutôt cool.
Il y a eu d’autres événements marquants dans ta carrière ?
Je travaille aussi sur du matériel vraiment confidentiel. Des personnes disparues, des histoires de justice. Ça peut donner lieu à des boulots officiels très intéressants et pour des bonnes raisons. Par le passé, j’ai filé des coups de main sur des documentaires autour de crimes non résolus. Des trucs comme ça. Je me suis retrouvé à bosser avec le neveu de Clarence et John Anglin, deux frères qui se sont évadés de la prison d’Alcatraz. Pendant deux ans, de temps à autre, je recevais un petit truc à faire sur les frères Anglin, et j’ai eu la chance de voir des choses que personne n’a jamais vues.
Lorsqu’on arrive sur des histoires d’intérêt public, on apprend vite des choses que le grand public ignore. Ainsi, lorsqu’il y a des débats autour d’affaires historiques dans les médias mainstream, il m’arrive d’en savoir bien plus que ceux qui s’expriment et donnent leur avis. Je vais savoir si telle ou telle affirmation est vraie ou fausse. Par exemple, après s’être évadés d’Alcatraz, Clarence et John Anglin ont vécu une vie très heureuse, vous pouvez me croire.
Si l’on prend la colorisation au sens large, qu’est-ce que tu espères réaliser avec ton travail ?
On est à un croisement, et c’est sans doute le cas depuis pas loin d’une décennie. Les nouveaux médias commencent à s’épuiser dans leur utilisation créative des images existantes. Et je pense que tout cela est dû à ce que j’appelle « l’obsolescence de l’image ». Les sociétés de production ont plusieurs options devant elles. Certaines pourraient amener de grands changements au lieu de ce délire à la Ken Burns fait de panoramiques et de zooms sur des images historiques. On peut ramener les gens à la vie, on peut introduire ce matériel dans le système éducatif et intéresser les jeunes à l’Histoire au lieu de les faire mourir d’ennui en les plongeant dans des manuels remplis de textes. La colorisation est un bon canal pour transmettre l’Histoire, et de plus en plus de gens le pensent.
Rendez-vous sur le site web ou le compte Instagram de Matt Loughrey en savoir plus sur ses services de colorisation et de restauration.
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