Grand Corps Malade, slameur du social
« Pas essentiel ». Cette manière de désigner les activités devant rester à l’arrêt face à la pandémie en a agacé plus d’un. C’est le cas de Fabien Marsaud, alias Grand Corps Malade, qui comme à son habitude a traduit à la fin de l’année dernière son indignation dans un clip. Il y fait l’apologie de toutes ces activités qui forment le carburant de la vie bien que ou sans doute justement parce qu’elles échappent aux lois du marché.
Marcher, c’est justement ce que l’artiste a pensé ne plus pouvoir faire lorsqu’à l’âge de 20 ans, sa colonne vertébrale est sérieusement amochée par un plongeon dans une piscine insuffisamment profonde lors d’une colonie de vacances qu’il encadre pour « sa » ville de Saint-Denis. Ce joueur de basket talentueux doit alors faire une croix sur son projet d’enseigner l’EPS, même s’il finit par retrouver l’usage de ses jambes après une longue rééducation. Il s’appuie alors sur son autre passion, les mots, et se lance dans le slam, joute oratoire en public où il s’agit de faire claquer des vers plus vite et plus habilement que son adversaire.
Démocratiser la poésie
Baigné dans son enfance par une mère bibliothécaire et un père fonctionnaire communiste dans l’amour de la langue française, le jeune homme se distingue dans cette nouvelle forme de compétition qui vise à démocratiser la poésie. Avec son association, il écume écoles, hôpitaux et centres sociaux pour populariser son art, tout en travaillant au service marketing du Stade de France, toujours à Saint-Denis. Son premier album en 2006 les fait connaître du grand public, mais Grand Corps Malade ne prend pas la grosse tête et continue de faire la tournée des MJC et maisons de retraite pour initier leurs pensionnaires au slam.
« Ma ville », « Saint-Denis » ou « je viens de là », mettent en évidence les ressorts des inégalités sociales comme leurs conséquences, tout en montrant que la pauvreté monétaire cohabite avec la richesse culturelle
Irréductible optimiste, il s’emploie texte après texte à éclairer la poésie du quotidien dans des déclarations d’amour à son prochain et à la vie qu’il a failli perdre. Cet enfant du 9-3 n’oublie pas non plus de parler de la réalité sociale qui l’entoure. Dans des titres comme « Ma ville », « Saint-Denis » ou « je viens de là », le slameur met en évidence les ressorts des inégalités sociales comme leurs conséquences, tout en montrant que la pauvreté monétaire cohabite avec la richesse culturelle.
Il pourfend le racisme, notamment dans « Roméo kiffe Juliette », où les héros shakespeariens sont devenus juive et musulman, ou dans « Au feu rouge » qui redonne leur épaisseur aux réfugiées syriennes forcées de faire la manche. Enfin, il n’est jamais à court de mots pour dénoncer le sexisme ambiant, comme en témoigne son septième album, Mesdames, sorti durant le confinement et entièrement composé de duos avec des chanteuses aux profils très variés. Enorme succès public, le disque s’est vendu à plus de 300 000 exemplaires. Le chanteur, courtisé par tous les festivals, compte bien reprendre au plus vite une série de tournées.
Mais à rebours de certains artistes qui entendent garder toute la lumière pour eux, Grand Corps Malade n’oublie pas de rendre régulièrement hommage à toutes celles et ceux qui travaillent avec lui, ainsi qu’au service public, en particulier aux deux institutions qui l’ont littéralement remis debout : l’école et l’hôpital. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’il passe derrière la caméra pour leur consacrer à chacune un film avec son complice Mehdi Idir. Patients, en 2017, adapté de son propre livre autobiographique, raconte sa longue rééducation, et sa gratitude pour les soignants. La Vie scolaire en 2019, suit le quotidien d’une CPE mutée dans un collège de banlieue parisienne pour se rapprocher de son compagnon incarcéré. Grand Corps Malade n’a jamais cessé d’être rattrapé par sa vocation première d’éducateur. Elle a simplement pris des sentiers de traverse. Manière de rappeler que tous les chemins mènent à l’Homme.
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