Les vraies raisons des difficultés de recrutement
Les Français ne veulent plus bosser ! Voilà le petit refrain que chantent certains patrons, et que reprennent les médias libéraux. Surfant sur la vague, le gouvernement répète que le précédent système d’assurance chômage n’incitait pas à reprendre le travail, afin de justifier sa brutale réforme. Le sujet des difficultés de recrutement et des emplois vacants a, une fois de plus, la cote.
Hasard du calendrier, la Dares, le service statistique du ministère du Travail, a publié ces derniers jours une courte étude fort éclairante sur le sujet. Et sa conclusion risque de décevoir les personnes convaincues que les Français sont des fainéants. Les difficultés de recrutement s’expliquent en effet essentiellement par des facteurs qui n’ont rien à voir avec les chômeurs. A vrai dire, la littérature l’avait déjà montré depuis longtemps. Mais cette étude offre de nouveaux éléments intéressants.
Le premier d’entre eux est une simple comparaison internationale. La plupart des pays comparables à la France (Allemagne, Espagne et Italie) connaissent tous une progression de ces pénuries de main-d’œuvre. C’est un phénomène classique en sortie de crise, parce que l’activité redémarre rapidement, et qu’elle modifie les structures de l’économie, par exemple lorsque les anciens serveurs dans la restauration se reconvertissent dans d’autres secteurs.
Si le système français de protection sociale était aussi généreux que le prétendent ses contempteurs, on constaterait une singularité française en matière de tensions sur les embauches. Or, la France suit la tendance générale, et dans de moindres proportions que l’Allemagne, qui ne dispose pas d’un système d’assurance chômage particulièrement magnanime, mais qui à l’inverse a développé un système flexible de mini-jobs.
Pour aller plus loin, l’étude de la Dares – probablement réalisée avant la polémique actuelle sur le manque de personnel – se penche sur les raisons structurelles de la progression des difficultés de recrutement, déjà présentes bien avant la crise. En 2019, six métiers sur dix étaient en forte tension de recrutement, contre seulement un sur quatre en 2015.
Les passionnés d’économie consulteront l’étude pour observer les évolutions de la « courbe de Beveridge », qui étudie le lien entre les difficultés de recrutement et le chômage. Les autres se contenteront du résultat avancé par la Dares :
« De 2015 à 2019, la France se caractérise par une dégradation de la qualité de l’appariement sur le marché du travail. Cette dégradation est spécifique à la France et dans une moindre mesure à l’Espagne et à l’Italie. Elle est nettement plus limitée au Royaume-Uni et en Allemagne. »
En d’autres termes, si l’on écarte les évolutions conjoncturelles liées aux phases de croissance de l’économie, la France fait structurellement face à une situation dans laquelle les offres d’emploi correspondent de moins en moins aux demandeurs d’emploi.
Salaires trop bas
D’où vient cette spécificité ? La Dares rappelle que cinq grands facteurs peuvent justifier les difficultés de recrutement : un nombre d’emplois proposé plus important que le nombre de travailleurs potentiels (en particulier quand le système d’assurance chômage est trop généreux), les contraintes géographiques (surtout quand les travailleurs sont peu mobiles), les compétences des travailleurs par rapport aux postes disponibles (enjeu de la formation), le défaut d’attractivité (métiers mal payés et aux mauvaises conditions de travail) et l’intensité des embauches (périodes de croissance durant lesquelles de nombreuses entreprises cherchent à embaucher au même moment).
Structurellement, le facteur le plus décisif est celui de la formation. Dans un tiers des cas, pointe la Dares, les demandeurs d’emploi n’ont pas les compétences requises pour exercer des métiers qui sont pourtant attractifs du point de vue des conditions de travail.
« Cela concerne beaucoup de métiers pointus de l’industrie (techniciens de la mécanique ou de l’électricité par exemple), du bâtiment (plombiers, charpentiers) et la quasi-totalité des métiers d’ingénieurs dans l’industrie, le bâtiment ou l’informatique », écrit l’organisme.
L’aggravation récente des difficultés de recrutement s’explique par le niveau des salaires et les mauvaises conditions de travail, qui n’ont pas suffisamment progressé ces cinq dernières années
Deuxième facteur le plus important : les salaires et les conditions d’emploi concernent un quart des difficultés de recrutement. Se situent dans cette catégorie les aides à domicile, les conducteurs routiers, les ouvriers non qualifiés de l’industrie (agroalimentaire, bois, métal, etc.), ou certains ouvriers qualifiés de l’industrie et du bâtiment, ainsi que les serveurs.
Dans un cas sur cinq, poursuit la Dares, les deux facteurs précédemment cités se cumulent. C’est le cas notamment des métiers de bouche (cuisiniers, bouchers, boulangers), mais également des aides-soignantes. Enfin, pour les autres métiers, l’origine des tensions est plus diverse. Par exemple, l’inadéquation géographique est particulièrement forte pour les assistantes maternelles.
En conclusion de l’étude, la Dares mesure l’évolution de l’importance de chaque facteur dans les difficultés de recrutement. Entre 2015 et 2019, « la forte poussée des tensions et l’apparition d’un désalignement inhabituel entre difficultés de recrutement et chômage […] résultent moins d’un problème de formation, déjà existant, que d’un problème d’attractivité dans une trentaine de métiers ».
En clair, les efforts pour développer la formation sont utiles, mais les métiers actuellement en tension pour cette raison l’étaient déjà en 2015. L’aggravation récente des difficultés s’explique par le niveau des salaires et les mauvaises conditions de travail, qui n’ont pas suffisamment progressé ces cinq dernières années. Une étude précieuse à mettre sur toutes les tables de négociation qui s’ouvrent en ce moment sur la question des rémunérations.
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