Les travailleurs du ski prennent la tangente
Trop peu de travail pendant des semaines. Puis, beaucoup trop. Pour Valentine, 23 ans, la pandémie signifie d’abord l’épuisement. Salariée dans le tourisme à Chamonix, la jeune femme organise des séminaires à destination des entreprises.
« Le travail, c’est par vagues, décrit-elle. Tout est organisé en fonction du Covid. Là par exemple, c’est calme. Je sais qu’en mars, on va travailler beaucoup plus, parce que la cinquième vague se calme et que les groupes vont revenir. Et puis, on passe des heures à reporter des séjours qui s’annulent. J’ai des collègues qui ne font presque plus que ça. C’est usant. »
En Auvergne-Rhône-Alpes, qui représente 80 % du tourisme de la montagne selon les chiffres du conseil régional, les salariés du tourisme avaient l’habitude de vivre au rythme des saisons. Fermeture des pistes début 2021, confinement la saison précédente…
Depuis mars 2019, c’est la pandémie qui dicte l’agenda d’un secteur qui engrange 10 milliards d’euros de retombées économiques chaque année.
« Tout était à l’arrêt lors du premier confinement », se souvient Matteo, le conjoint de Valentine, qui travaille cet hiver dans un magasin de ski. « J’étais au chômage partiel, c’était super. Mais mon contrat d’été a finalement été annulé et j’ai dû trouver un autre travail alimentaire en urgence, à la mi-juillet. Fin 2020, j’ai dû batailler pour avoir un contrat avec l’entreprise qui devait m’employer et je n’ai finalement travaillé que deux mois dont un au chômage partiel. »
58 % de saisonniers en moins entre décembre 2020 et mars 2021
Le cas de Matteo n’est pas isolé. Malgré d’importantes aides publiques – plus de 4 milliards d’euros l’année dernière – et une politique gouvernementale incitant les entreprises à embaucher puis avoir recours au chômage partiel, de nombreux saisonniers ont été laissés sur la touche l’année dernière.
Publiée en juillet 2021, une étude de la Dares, le service statistique du ministère du Travail, détaille l’impact de la pandémie sur les contrats saisonniers (environ la moitié des 120 000 salariés du secteur) pour la saison 2020-2021. Entre décembre 2020 et mars 2021, près de 25 000 personnes avaient occupé un emploi saisonnier dans le secteur de la montagne, en très grande majorité dans les régions alpines, contre 58 000 en moyenne les années précédentes.
« Seuls 25 % des saisonniers ont été indemnisés au titre de l’actualité partielle à cette période », pointe de son côté Antoine Fatiga, responsable CGT des droits de saisonniers. « Dans les départements alpins, la moyenne des aides perçues par les entreprises avoisine 44 000 euros pour une moyenne nationale de 17 000 euros, analyse le syndicaliste. Mais les aides n’étant pas conditionnées aux versements du chômage partiel, cela n’a pas directement profité aux travailleurs des stations. »
Manque de main-d’œuvre
Un an après, la situation a changé. La saison 2021-2022, malgré la cinquième vague, s’annonce rayonnante, avec des prévisions de fréquentation comparables aux années pré-Covid. Le manque d’emploi est devenu cette année un manque de main-d’œuvre. « De nombreux postes sont encore non pourvus en station, constate Antoine Fatiga. Les raisons sont multiples. La plus évidente est la précarité. Avec le Covid, un certain nombre de saisonniers ne sont simplement pas revenus et ne veulent plus travailler dans des métiers aussi difficiles. » Selon Domaines skiables de France, la chambre syndicale des exploitants de remontées mécaniques et de domaines skiables en France, il manquerait entre 5 % et 10 % du personnel total selon les stations.
Cette crise des vocations est aussi une conséquence directe de la réforme du chômage, beaucoup moins favorable aux saisonniers
Pour le syndicaliste, cette crise des vocations est aussi une conséquence directe de la réforme du chômage, beaucoup moins favorable aux saisonniers qui, par définition, multiplient les contrats courts. Le nouveau mode de calcul des allocations qui prend désormais en compte les périodes travaillées mais aussi non travaillées les pénalise et fait baisser leurs indemnités. « Le troisième point, qui n’est pas anecdotique et touche particulièrement l’hôtellerie-restauration, c’est le pass vaccinal. Les gens sont moins bien vaccinés, car nous sommes dans des zones rurales. »
Résultat, résume le syndicaliste, ce ne sont qu’heures sup et stress pour ceux qui sont en poste. « En décembre, on était clairement en sous-effectif, confie Matteo. On devait travailler avec des gens pas formés, pas compétents, c’était la double charge de travail ». Pour d’autres saisonniers, l’offre est au contraire un vecteur d’émancipation. « J’ai démissionné deux fois cette année, explique Jules, qui travaille dans un magasin de ski de Chamonix. J’ai retrouvé directement à chaque fois. »
Des loyers trop chers
La pandémie a accru les inégalités entre les différentes professions. « Depuis plusieurs années, analyse Antoine Fatiga, le chef de rang, le maître d’hôtel, le bon cuisinier, les métiers techniques, arrivent à négocier à la hausse des salaires. Les métiers moins techniques dans l’autre sens se précarisent. Le Covid a renforcé cette tendance. »
Autre problème, récurrent dans la vie des saisonniers : le prix du logement. A l’instar des littoraux très fréquentés, les villages qui accueillent de nombreux touristes l’hiver connaissent une importante pression foncière. A Chamonix, le prix du mètre carré dans l’ancien atteint les 7 000 euros et la majorité des ventes sur le marché concerne les résidences secondaires, une situation dénoncée de longue par le maire de la ville Eric Fournier.
A Chamonix, le prix du mètre carré dans l’ancien atteint les 7 000 euros
Un sujet que la ville et les employeurs tentent de prendre à bras-le-corps. Tandis que certaines grosses entreprises de la vallée décident de loger les saisonniers à prix réduit dans leur propre structure, la commune, elle, leur propose des logements à moindre coût. « Je bénéficie d’un logement mis à disposition par la ville », explique Jules, qui paye 375 euros pour une colocation de 30 m². Valentine et Matteo, eux, partagent leur espace avec un autre couple d’amis et payent, à quatre, 1 400 euros pour un logement de 60 m². « Si demain ça se passe mal, fait remarquer Valentine, c’est sûr qu’on ne pourra pas partir du jour au lendemain. »
Bienvenues, ces initiatives ne parviennent pas à couvrir l’étendue du problème qui dépasse aujourd’hui celui des simples logements saisonniers. « Depuis une dizaine d’années, note Antoine Fatiga, l’accès aux logements pour les locaux est de plus en plus difficile ». Devenir propriétaire est devenu une gageure. Les locaux, qui travaillent dans le tourisme ou non, se résolvent à s’éloigner de leur lieu de travail ce qui se traduit, aussi, par des frais d’essence démultipliés. « On ne se projette pas du tout à Chamonix, regrette Valentine, c’est beaucoup trop cher ». Pas question non plus pour Jules de s’imaginer ici à long terme. « Ici, tout est cher, le logement, les courses. » Vivre et travailler devient, pour les habitants du cru, presque mission impossible.
Laisser un commentaire