Catastrophe de Brétigny: ouverture du procès après des années d’expertises
Le cadre qui a réalisé la dernière tournée de surveillance, SNCF Réseau (qui a succédé à Réseau ferré de France, gestionnaire des voies) et la Société nationale SNCF (héritière pénalement de SNCF Infra, chargée de la maintenance) seront jugés pour “homicides involontaires” et “blessures involontaires”.
Le salarié de la SNCF, qui était à la tête d’une brigade chargée de l’inspection des voies, devra répondre d’“une appréciation fautive”, celle d’avoir effectué “seul la dernière inspection des voies”, avec une attention “manifestement insuffisante”. Ce jeune directeur de proximité, 24 ans au moment des faits, a assuré, tout au long de l’enquête, n’avoir détecté aucune anomalie lors de cette tournée réalisée huit jours avant le drame.
Près de 200 parties civiles attendues au procès
Le tribunal correctionnel d’Évry accueillera également les 184 parties civiles, un défi d’organisation qui a nécessité la construction d’“une salle d’audience hors normes […] pour un procès hors normes”, selon Libération.
Malgré le nombre des intervenants et la durée du procès, les magistrats ont tenu à ce qu’il soit maintenu à l’intérieur du palais de justice “pour en garder la solennité et prendre en compte la dignité des victimes”, a expliqué Caroline Nisand, procureure de la République. Le box des accusés sera démonté pour rappeler “qu’on ne juge pas une affaire criminelle”, a-t-elle ajouté.
Les avocats ainsi que les ayants droit des personnes décédées et les victimes gravement blessées pourront prendre place dans la salle des assises. Les autres devront assister au procès dans une seconde salle équipée de vidéodiffusion. Les deux salles pourront accueillir au total 500 personnes.
Une bataille d’expertises
L’accusation reproche à SNCF Réseau “des fautes” ayant “conduit à l’absence de renouvellement anticipé” de la voie ou à “l’insuffisance des effectifs”, ainsi que des défaillances “dans l’organisation, le contrôle et la réalisation des opérations de maintenance” à la Société nationale SNCF.
Car c’est une éclisse en acier, sorte de grosse agrafe joignant deux rails, qui s’est retournée provoquant l’accident, alors que le train circulait à 137 km/h pour une vitesse maximale autorisée de 150 km/h.
Sabrina BLANCHARD, Paz PIZARRO, Sylvie HUSSON / AFP
Les sept ans d’enquête ont donné lieu à une bataille d’expertises. Toutes celles ordonnées par la justice étayent un processus lent de dégradation combiné à une surveillance défaillante des agents. Pour les experts mandatés par la justice, le train a déraillé à cause d’un désassemblage de l’éclisse, lié à une rupture “par fatigue” de boulons et à la propagation d’une fissure détectée en 2008 dans un cœur de traversée.
Mais pour ceux engagés par la SNCF, l’assemblage incriminé peut avoir cédé brutalement à cause d’un défaut de l’acier. Cette hypothèse qui dédouanerait l’entreprise a été écartée par les magistrats instructeurs.
“Consignes” et disque dur vidé
Dans leur ordonnance de renvoi, ces derniers ont souligné “les difficultés rencontrées” pour recueillir auprès de la SNCF des “documents essentiels permettant de retracer les opérations de maintenance”.
Ils ont aussi regretté que la majorité des agents ait été entendue, avant leurs auditions, par le service juridique de l’entreprise “pour y recevoir des consignes”, selon les mots des juges. L’enquête avait été, par ailleurs, complexifiée par le vol de l’ordinateur du cheminot, ensuite retrouvé avec un disque dur vide.
De son côté, la SNCF avait assuré se sentir profondément “responsable de la vie de ses clients” par la voix de son patron Guillaume Pepy, et avait lancé, deux jours après le drame, une campagne nationale de contrôle qui n’a pas détecté de problèmes majeurs. Elle a aussi versé des indemnisations aux victimes, un total qu’elle évalue à 12 millions d’euros.
Les parties civiles entre espoir et résignation
Adrien, interrogé par l’AFP, est l’une des parties civiles de ce procès. L’homme de 34 ans espère que “lumière soit faite sur l’état de la déliquescence des lignes” ferroviaires. Usager quotidien du RER C a indiqué “ressasser tous les jours l’accident” dans lequel il a perdu sa grand-mère. Cette dernière a été fauchée sur le quai avec son conjoint alors qu’elle “partait en vacances”.
“J’ai conduit ma mère dans ce train qui l’a tuée”, explique à l’AFP Florence, 41 ans, qui regrette que sa mère n’ait jamais pu rencontrer sa fille, née après le drame.Très déçue par l’enquête, elle n’attend “rien du procès”. Elle n’y “croit pas”. Il manque trop de personnes sur le banc des prévenus”, dont des responsables de la maintenance et des cadres de la SNCF, avance Florence.
Thierry Gomes, président de l’association “Entraide et défense des victimes de la catastrophe de Brétigny” (EDVCB), a expliqué que les parties civiles sont partagées entre l’appréhension de “replonger dans un drame” et leur soif vitale de comprendre.
“Ce procès sera une expérience pénible, très traumatisante”, mais “j’ai besoin de savoir pourquoi mes parents sont morts, pourquoi ils ont été écrasés par ce train, pourquoi ce train a déraillé”, détaille ce soixantenaire.
“On attend que la SNCF dise la vérité, que les acteurs aient une démarche à la hauteur des enjeux”, dit aussi son avocat, Gérard Chemla, qui dénonce une “opération de mystification et de déresponsabilisation de la SNCF”. “Le procès va remettre les choses à plat”, espère-t-il.
La catastrophe de Brétigny a accéléré la mise en œuvre de politiques de modernisation de la maintenance, lancées après un audit de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) qui avait dressé en 2005 un bilan alarmant de l’état du réseau.
À voir également sur Le HuffPost: Dans l’Oise, un camion percute un péage après une course-poursuite et prend feu
Laisser un commentaire