Brésil : le géant du bœuf JBS écoule de la viande d’origine illégale en Europe
PUBLIÉ LE 27 JUIL. 2020
PAR DISCLOSE
L’entreprise JBS s’approvisionne directement auprès d’une ferme condamnée pour déforestation de l’Amazonie. L’origine de cette viande destinée au marché européen est volontairement dissimulée. La preuve en vidéo.
En juillet 2019, des milliers d’incendies ravagent l’Amazonie. Alessandro A. traverse l’extrémité sud de la forêt à bord d’un semi-remorque. Trois autres camions font la route avec lui. Le convoi transporte 250 bovins de la ferme Estrela do Aripuanã vers une seconde exploitation située à plus de 300 kilomètres, la ferme Estrela do Sangue. En route, le chauffeur publie des photos sur Facebook. « Nous revoilà avec du bétail déplacé de la ferme estrela do aripuana à la ferme estrela do sangue », commente-t-il.
Ce déplacement est destiné à dissimuler l’origine illégale de la viande : la première ferme a été condamnée par le passé pour avoir détruit une parcelle de forêt, elle fait d’ailleurs l’objet d’un embargo du ministère de l’Environnement brésilien depuis 2012. Sur le camion, mais aussi sur le polo du chauffeur, on aperçoit le logo de l’entreprise brésilienne JBS, le plus important producteur de viande au monde – 35 000 bœufs abattus par jour rien qu’au Brésil.
LA PREUVE EN VIDÉO
En recoupant les photos d’Alessandro A. avec des images satellites, des informations publiques et des données confidentielles sur le marché du bétail au Brésil, Disclose, Repórter Brasil, The Bureau of investigative journalism et The Guardian ont mis au jour un système de « blanchiment de bovins » organisé par le géant du bœuf brésilien. En clair, JBS a soigneusement dissimulé l’origine de la viande avant d’expédier la marchandise vers l’Union européenne. La preuve en images.
Selon des registres de l’Etat brésilien que nous nous sommes procurés, au moins 7 000 bêtes ont été déplacées entre juin 2018 et août 2019 de la ferme illicite à la ferme légale. La ferme Estrela do Sangue, autorisée à exporter vers l’Union européenne, a justement expédié 7 000 têtes de bétail aux abattoirs de JBS entre novembre 2018 et novembre 2019, selon d’autres documents obtenus dans le cadre de cette enquête.
En l’espace de quelques années, les exportations de bœuf JBS vers l’Europe ont augmenté de 20%. Entre mai 2019 et avril 2020, la firme agroalimentaire a ainsi exporté 46 500 tonnes de viande vers le vieux continent.
CATASTROPHE ÉCOLOGIQUE
« L’élevage bovin détruit chaque année davantage la forêt amazonienne et l’enquête de Disclose démontre que de la viande issue de la déforestation peut se retrouver dans les assiettes des consommateurs européens », réagit Cécile Leuba, chargée de campagne Forêts à Greenpeace France. « Il est temps que la France interdise les importations de viande liées à la déforestation et mette enfin en œuvre les grands principes de sa tratégie nationale de lutte contre la déforestation importée », ajoute-elle.
Contactée, l’entreprise JBS affirme qu’elle « n’achète pas de bétail dans des fermes coupables d’irrégularités » et « adopte une approche univoque de déforestation zéro ». Elle précise néanmoins qu’une « enquête est en cours pour déterminer les circonstances particulières [de ces transports de bétail] ».
Les services du ministère de l’Agriculture et le ministère délégué au Commerce extérieur assurent à Disclose que le gouvernement français prend « très au sérieux les enjeux de déforestation ». Concernant une éventuelle suspension des autorisations d’exportation de JBS vers l’Europe, ils affirment que l’UE est seule à même de « suspendre l’agrément exportation d’un établissement étranger qui ne respecterait pas les normes européennes ».
JBS n’est pas de la seule entreprise brésilienne à être accusée de blanchiment de bétail. C’est également le cas de ses deux principaux concurrents, Marfrig et Minerva – un important fournisseur du groupe Carrefour dont nous révélions début juillet les méthodes et l’implication dans la déforestation de l’Amazonie.
Selon un article publié dans la revue Science le 17 juillet, 62% de la déforestation potentiellement illégale de l’Amazonie serait causée pas seulement 2% des exploitations de la région. Les auteurs de cette publication assurent qu’au moins 17% du bœuf envoyé vers l’UE pourrait être lié à cette catastrophe écologique.
Un accord de libre-échange entre l’UE et les pays membres du Mercosur, le marché commun sud-américain, est en cours de finalisation. Sa ratification offrirait au Brésil un accès inégalé au marché européen. En lui assurant notamment une baisse importante des droits de douanes liés aux exportations de viande bovine.
Par Alexandra Heal, Andrew Wasley (TBIJ)
Andre Campos, Piero Locatelli (Repórter Brasil)
et Disclose.
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