Dans « Kiffe ta race », Rokhaya Diallo et Grace Ly montrent comment le racisme affecte les relations intimes
Sur les plateaux télé, à la radio, ou encore sur les réseaux sociaux, les deux militantes font de la lutte antiraciste leur cheval de bataille. C’est leur podcast de référence qui vient de se décliner en un livre du même nom. À travers les nombreuses informations et analyses sociologiques proposées dans cet ouvrage, on retrouve la thématique très intime de la “fétichisation sexuelle”.
“Quand on parle de racisme, on a souvent l’impression qu’il s’agit de quelque chose de forcément violent, que c’est une agression physique”, déclare l’écrivaine Grace Ly, co-animatrice du podcast, contactée par Le HuffPost. “Mais on oublie la dimension symbolique du racisme et les formes qu’il peut prendre dans les relations de couple”, poursuit-elle.
De fait, ces relations intimes peuvent être altérées par le racisme, qu’il s’agisse de la simple drague ou de l’acte sexuel. À commencer par les stéréotypes sexuels associés à certaines femmes, qui ont encore la vie dure.
Stéréotypes sexuels
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Dans le témoignage qu’elle livre dans l’ouvrage, Grace Ly explique ce que signifie le racisme pour elle, à travers les remarques qu’ont pu lui faire des hommes blancs. “J’ai beaucoup entendu dans ma vie personnelle: ‘je n’ai jamais été avec une Asiatique avant’. On le dit souvent comme si ce n’était rien. Pourtant, lorsque j’entends une phrase comme ça, j’ai l’impression d’appartenir à un groupe qui serait: ’les femmes Asiatiques. Et qui fait qu’on vous met dans une case et qu’on vous dit: ‘moi je n’ai jamais testé’, comme si on parlait d’une expérience. Et c’est ça, le racisme.”
Pour autant, les hommes non blancs ne sont pas non plus épargnés par ces stéréotypes et clichés. “Les hommes noirs seraient dotés d’un attribut sexuel surdimensionné. À l’inverse, l’homme est-asiatique serait peu viril”, analyse l’écrivaine. On a, encore aujourd’hui, un héritage de cette biologie raciste qui reste ancré dans nos mentalités”.
Dans le livre, Rokhaya Diallo et Grace Ly définissent cette “fétichisation sexuelle” comme étant le fait d’être attiré, non pas par une personne, mais par tous les clichés et stéréotypes “que convoque son appartenance raciale réelle ou supposée”.
“Un racisme ordinaire”
Cette fétichisation sexuelle se construit autour de “particularités fantasmées” comme “un trait de caractère, une forme du corps ou un savoir-faire culturaliste ou relevant de pseudo-prédispositions génétiques”, détaillent les deux podcasteuses. Elles estiment que cette fétichisation est aujourd’hui présente dans les “représentations collectives”, les publicités, les films, la musique et les livres. Elle serait banalisée dans le quotidien de chacun, à travers une forme de racisme “ordinaire”, “celui de tous les jours”, précise Grace Ly.
Dans leur livre, les deux écrivaines développent également l’idée d’un imaginaire collectif construit sur des idées reçues qui nous viennent de la colonisation. Parmi celles-ci, certaines sont sexuelles et mettent au rang d’objet la personne concernée. “J’ai grandi avec ces images de Grace Jones, dont le corps très musclé, beau et sculptural était mis en scène par celui qui était son compagnon, Jean-Paul Goude. Il y avait une photo où elle était dans une cage où il était écrit ‘Ne nourrissez pas l’animal’, témoigne Rokhaya Diallo dans un épisode du podcast. Il y a cette idée de la femme noire puissante, l’idée aussi d’une sexualité débridée, puissante et affirmative”. Une imagerie -un ensemble d’images sur un même thème- qui, pour Grace Ly, enferme les femmes dans ces stéréotypes raciaux et nie leur condition d’être humain et de femme.
“C’est extrêmement humiliant”
Pourtant, certains disent que l’entreprise de la drague ne peut pas être raciste car l’interlocuteur se veut bienveillant. À ce constat, Grace Ly répond que “l’intention n’est pas constitutive du racisme”. En effet, elle explique que “c’est extrêmement humiliant de se voir être mise dans une case ‘femme à tester’. Nous ne sommes pas des objets et encore moins des objets exotiques”, met-elle en exergue. Elle invite donc chacun à se défaire des images qui inspirent les stéréotypes fétichistes pour que “les relations soient basées sur la liberté personnelle plutôt que d’être contrôlées par des idées reçues qui viennent d’un passé qui s’impose à nous”.
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