Et si demain il n’y avait plus personne pour soigner? – BLOG
«Mes journées de douze heures ne suffisent plus mais je ne peux raisonnablement pas les allonger encore sans me mettre en danger, sans mettre en danger mes patients.»
Plus que jamais nous manquons de lits, de matériels, de moyens, mais plus encore: nous manquons de personnels.
Nous manquons de personnel à l’hôpital.
Nous manquons de personnel en ville.
Il n’y a plus assez de soignants.
Trop d’hommes, trop de femmes ont été broyés par le fait de soigner et sont partis.
Publicité
Aujourd’hui, en France, en 2021, des lits sont fermés parce qu’il n’y a plus de médecins, plus d’infirmiers, plus d’aides-soignants, plus de sages-femmes pour gérer les malades qui viendraient les remplir.
Soigner n’attire plus. Pire: la vocation ne suffit plus
Non, Monsieur Véran, ne vous en déplaise: soigner n’est pas qu’une question d’argent, mais soigner en coûte, et il va falloir vous y résigner.
Publicité
Non, Monsieur Moscovici, on ne peut pas demander à des soignants d’attendre en vain une “optimisation” qui vous permettrait encore et toujours de faire des économies sur des personnels déjà à genoux.
Que veulent les soignants?
Faire leur travail, sans se préoccuper de taches qui ne sont pas les leurs.
Oui les soignants veulent soigner au sens littéral et noble du terme.
Soigner, à la quête de ce qu’est le soin, l’attention à l’autre.
Soigner, à la reconquête de tout ce qu’il recèle d’humanité.
Soigner, avec la volonté de prendre le temps de prendre en charge nos patients.
Soigner, en retrouvant ce petit quelque chose qui nous manque tant, simplement connaître nos patients, leur nom de famille, leur problème de santé, leur projet de soin… bien loin de la situation actuelle qui leur donne pour patronyme un numéro de chambre…
Que veulent les soignants? Que veulent les patients?
Publicité
Retrouver le dialogue avec des patients.
Retrouver l’humanité, surtout.
Pouvoir soigner dignement, correctement, sans être interrompu.
Oublier les exigences de rentabilité qu’on leur impose.
Que veulent les patients?
Être écoutés. Être rassurés.
Pouvoir être reçus rapidement en cas d’urgence.
Ne pas avoir besoin de passe-droit pour pouvoir accéder à un médecin.
Est-ce aujourd’hui possible? Hélas non… et probablement encore moins demain. À cause de qui? À cause de quoi? Ces questions sont-elles encore seulement utiles? Par contre, qui essaiera seulement de leur trouver une réponse?
Mes journées de douze heures ne suffisent plus: j’ai beau enchaîner consultations, coups de téléphone, urgences, avis, visites à domicile, cela ne suffit pas. Parfois 40 patients par jour… et pourtant cela ne suffit pas. Pourtant, je dois me résigner: je ne peux raisonnablement pas faire plus sans me mettre en danger, sans mettre en danger mes patients. À force de tirer sur la corde, elle casse. Alors nous craquons. Alors nous abdiquons. La crise de foi des soignants a déjà débuté.
Publicité
L’hôpital n’attire plus: trop de pression. Trop de tension. Pas assez de moyens.
La médecine de ville n’attire pas: il faut dire qu’à force de la dénigrer elle est devenue invisible. À force d’être les paillassons de tout le monde, les soignants de ville ont de plus en plus de mal à trouver une raison de se lever le matin.
Impossible de continuer à exercer lorsque l’on perd le sens de ce que soigner veut dire.
Impossible de continuer de soigner lorsque les conditions de travail nous rendent maltraitants.
Alors oui, nous baissons les bras. Nous abdiquons
Messieurs les politiciens, il fut un temps où vous vouliez sauver la Sécurité sociale. Aujourd’hui vous continuez à crucifier le soin sur l’autel de vos économies. Mauvaise nouvelle tant pour les soignants que pour les patients: vous n’avez manifestement pas l’intention d’en rester là. Vous finirez par mettre “la” santé au pilori parce que vous estimez qu’elle “vous” coûte trop cher. Voilà ce que vous n’osez pas dire: avez-vous seulement l’intention de soigner les gens quoi qu’il en coûte? Ou bien faut-il sauver l’économie quoi qu’il en coûte? Voilà ce que nous sommes tous coupables de ne pas voir, de ne pas dire, de laisser faire.
Messieurs les politiciens, combien de soignants étaient dans la rue début décembre, dénonçant l’agonie de l’hôpital, l’aggravation des conditions de travail, le manque de moyens, les fermetures des hôpitaux de proximité et des lits d’aval?
Messieurs les politiciens, combien de soignants libéraux “déplaquent”, cessent prématurément leur activité, usés autant que désabusés de voir que, quoiqu’ils puissent faire, cela ne suffira pas?
“Il faut sauver la santé”, dites-vous maintenant que vous rentrez en campagne, mais vous avez tous prouvé votre maîtrise certaine dans l’illusion de vouloir le faire… Sans jamais le faire vraiment.
Nous, soignants, voulons soigner tout le monde.
Publicité
Nous ne voulons pas faire de tri.
Nous ne voulons pas abandonner les plus précaires.
Nous voulons “juste” faire notre boulot.
Nous espérons “juste” le faire bien.
Nous demandons “juste” de le faire avec les moyens et les ambitions de la cinquième puissance économique mondiale.
Nous le disions avec force avant même la pandémie, nous le réaffirmons aujourd’hui.
Mais nous ne voulons, ni ne pouvons continuer à le faire au prix de nos santés ou de nos vies de famille.
Sauver la santé, une promesse de campagne?
Je ne suis pourtant pas naïve. Tous vos serments des prochains mois ne seront que promesses de campagne, paroles en l’air, formules rhétoriques. A vous, mes confrères, collègues de galère, je redis de prendre soin de vous. En l’état actuel des choses, personne ne le fera pour vous. Battons-nous ensemble pour défendre le soin, mais pas à n’importe quel prix.
Publicité
A vous, candidats, je poserai simplement cette question : que vous restera-t-il quand il ne restera plus personne à contraindre ? Plus personne à montrer du doigt ? Que vous restera-t-il lorsqu’il n’y aura plus personne pour soigner ? Des larmes ? Des regrets ? Ou l’amertume de n’avoir pas su vous battre pour empêcher la bérézina et la mise en danger de notre bien le plus précieux ? La santé n’a pas de prix et pourtant, vous voulez la brader…
A vous, candidats, qu’attendez-vous pour seulement réfléchir à une solution ? Comment réconcilier les soignants avec leurs vocations ? Comment réconcilier les patients avec la chance qu’ils ont de pouvoir simplement se soigner ?
Nous sommes déjà dans le mur. Sans acte concret de votre part, bientôt il ne restera que des ruines. Plus d’hôpital, plus de recherche, plus de médecine de ville. Sans acte concret de votre part, j’ai bien peur que dans nos déserts médicaux devenus nationaux, il ne nous reste que des regrets.
À voir également sur Le HuffPost: Au CHU de Rennes, un service d’urgences ”à bout” se met en grève
Laisser un commentaire