Il a voulu venger la mort de son frère : Adama Camara témoigne
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“Quand une personne reste au sol, c’est toute une famille qui est détruite”
“Les rixes, les embrouilles, ça mène à deux choses, voire trois, c’est-à-dire la mort, la prison, le handicap. Tant qu’il n’y a pas mort d’homme, on croit souvent que c’est un jeu ou la Ligue des champions. Match aller, match retour. Mais quand il y a une personne qui reste au sol, qui ne se relève plus, là, malheureusement, c’est toute une famille qui est détruite” raconte Adama Camara.
Cette histoire qu’il évoque, Adama Camara la vécut personnellement. Un samedi soir de 2011, son petit frère, Sada, âgé de 18 ans, est blessé mortellement lors d’une rixe, qui a eu lieu devant une gare à Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise).
“La nuit qui a tout changé, c’est le jour où j’ai perdu mon frère. On a sonné chez moi à 2h du matin pour nous dire que Sada est mort et à ce moment-là, tout a basculé, parce qu’au début, on n’y croit pas, on pense qu’on est dans un cauchemar et plus les heures avancent, plus les jours avancent, plus on se rend compte.”
“J’étais triste, j’étais en colère”
“Je me suis dit, déjà, c’est injuste, il a à peine 18 ans, de partir comme ça pour rien. À l’époque, j’avais 23 ans quand ça s’est passé. 23 ans, chauffeur-livreur, je venais de m’installer avec une petite amie. Une petite vie tranquille, je commençais ma petite vie tranquille, quoi, mais ce jour-là, malheureusement, tout a basculé. Trois ans après, je me lève dans la nuit, à 3h du matin, je donne le biberon à ma fille et je suis pris par plein de questions qui me reviennent à l’esprit.”
La vie du grand frère suit son cours, pendant que la justice traîne. “J’avais deux visages, j’avais le visage que je montrais aux gens ou à ma famille, que ça allait bien, et le visage quand j’étais seul, j’étais triste, j’étais en colère. Donc cette nuit-là, à partir de ce moment-là, les jours qui ont suivi, je me suis procuré une arme et je les ai cherchés, jusqu’au jour où je suis tombé sur eux par hasard, eh bah j’ai pas hésité et je leur ai tiré dessus.”
Trois ans plus tard, en août 2014, Adama Camara craque et décide de venger son jeune frère. Il tire sur six responsables. Ses cibles ont survécu.
“Heureusement, je n’ai tué personne”
“Quand je suis arrivé en garde à vue, j’ai l’impression, quand on me demande, quand je me suis posé, j’ai commencé à réfléchir, c’est à ce moment-là que je me suis dit : là, t’as fait n’importe quoi, t’as fait une grosse connerie. Mais malheureusement, c’est trop tard et heureusement, je n’ai tué personne, parce que dans tous les cas, je l’aurais regretté dès que j’aurais retrouvé mes esprits.”
Adama Camara écope d’une peine de prison de huit ans pour “tentative d’homicide”. “Je suis placé pour mandat de dépôt criminel, donc voilà, on arrive dans un monde carcéral qu’on ne connaît pas, qu’on connaît que de ce qu’on entend. Je me rends compte que là, je vais vivre dans 9m2. Quand je suis sorti au bout de 4 ans, j’ai fait 5 mois dehors et ensuite, j’ai pris 8 ans, je suis retourné 7 mois en détention ferme, après, j’ai fait 8 mois de semi-liberté.”
Depuis sa cellule, il lutte contre les rixes et la violence dans les quartiers
“J’étais sur les réseaux sociaux et je tombe sur une vidéo où il y a un jeune qui se cache en dessous d’une voiture, des jeunes qui l’extraient, qui étaient en train… Bah ils l’ont massacré au sol, et moi, à ce moment-là, j’ai posté un message simple sur les réseaux sociaux. Je leur ai dit : je sais de quoi je parle. Moi, j’ai perdu mon frère, j’ai voulu venger mon frère en pensant que c’était la meilleure solution à faire, pour me sentir mieux, alors que non.”
“Après, de là, ça a été relayé par plusieurs personnes. Après, je me suis dit : c’est bien de parler mais comment je peux faire pour agir aussi. Donc de là nous est venue l’idée de faire un projet qui s’appelle Descente de mots, parce qu’on fait des descentes dans les quartiers pour se battre, nous on s’est dit, descente de mots, M-O-T-S, à l’écrit.”
En juillet 2019, le jeune trentenaire sort de prison en semi-liberté. Il a effectué 70% de sa peine. Depuis sa sortie, il souhaite sensibiliser les jeunes contre les guerres dans les cités.
“Je leur pose des questions simples. Je leur dis : “Est-ce que vous avez un suivi psychologique ?” “Non.” “Est-ce qu’on vous l’a proposé ?” “Non.” Au début, il y a du monde qui vient à la maison, parce que, voilà, ça choque tout un quartier, mais au bout d’un mois, 5 mois, tout le monde refait sa vie et on se retrouve seul, en fait, à la maison avec des questions dont on n’a pas les réponses parce qu’on n’est pas préparé à perdre un proche.”
Les rixes « ça part de rien mais les conséquences sont dramatiques”
“Franchement, les rixes, ça part de rien. Parfois, ça part des provocations, aujourd’hui, beaucoup des réseaux sociaux, pour une histoire de fille, pour une histoire de testostérone, “mon quartier, il est plus fort que le vôtre”, pour un match de foot, parfois, ça peut partir. Ça part vraiment de rien, les rixes, mais les conséquences sont dramatiques.”
“Souvent, les rixes, c’est un mauvais héritage, parce que moi, je voyais mes grands se battre avec les jeunes d’une autre ville, des plus jeunes, je n’aimais pas ce quartier-là et malheureusement, on laisse cet héritage aux plus jeunes…”
Un membre de la famille qui lutte contre la mort d’un proche, c’est le cas de la sœur d’Adama Traoré, jeune homme de 24 ans, décédé en 2016. Retour sur l’affaire Traoré et 4 ans de bataille judiciaire. Vingt-cinq ans plus tard, Mathieu Kassovitz revient sur le film la Haine, qu’il avait réalisé, et sur l’évolution de la situation dans les banlieues françaises face aux violences policières.
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