La bipolarité de Kanye West vue par ceux qui souffrent de la même maladie
Dimanche 19 juillet, il tient son premier meeting de campagne. Discours désordonné, “2020” rasé sur la tête et vêtu d’un gilet pare-balles, Kanye West s’exprime, en larmes, sur des sujets mêlant religion, violences policières ou encore réseaux sociaux.
De nombreux internautes y voient une crise du rappeur, diagnostiqué bipolaire en 2016. Un constat renforcé par une série de tweets, postée dans la soirée du lundi 20 juillet et supprimée depuis, dans laquelle l’artiste accuse, entre autres, sa femme Kim Kardashian d’avoir voulu l’“enfermer”. Pour cette dernière, son comportement est lié à la bipolarité dont il souffre.
Une image erronée
Bipolaire de type 1, la forme la plus forte de la maladie, elle enchaîne des épisodes maniaques récurrents, pendant lesquels elle se sent invincible à l’excès, en alternance avec des épisodes dépressifs majeurs.
Orane, elle, a 26 ans, et a été diagnostiquée en 2018. Et cette médiatisation de la bipolarité, elle y voit du positif comme du négatif. “D’un côté, les gens se rendent compte que ça peut toucher n’importe qui, de l’ouvrier lambda à une star telle que Kanye West. Mais de l’autre, si les choses commencent à être mal racontées, sorties de leur contexte, ça va bâtir encore plus d’a priori sur cette maladie qui n’est déjà pas très connue.”
Et déjà, de nombreux internautes jugent le rappeur sur les réseaux sociaux. “Plusieurs personnes m’ont dit qu’il est complètement taré, et que c’est parce qu’il est bipolaire, déplore Léna. Ils font l’amalgame entre bipolaire et folie, alors que ça n’est pas ça la maladie.”
Une réelle souffrance
Une aide qui peut être compliquée à trouver pour les personnes qui souffrent de bipolarité. “Il y a beaucoup d’idées reçues sur ce trouble du comportement, explique Orane. Je n’ose pas en parler professionnellement même si je suis reconnue comme travailleuse handicapée.”
Car la maladie est très souvent citée à tort. “Les gens sont mal informés, et disent souvent ‘Je suis bipolaire, un jour je me sens bien, l’autre non’, alors qu’en réalité, ce sont des épisodes de longues durées. Être bipolaire, ça ne s’attrape pas, c’est génétique”, appuie Jade.
Et certains parents se sentent responsables de cette maladie qui saute souvent une génération. “Ma grand-mère était bipolaire, mais non-diagnostiquée. Ma mère a vécu avec une maman paranoïaque et mythomane, et quand elle a su que j’étais aussi bipolaire, elle ne l’a pas accepté.”
Isolés dans la maladie
Car cette maladie est aussi difficile à diagnostiquer. “Mon ex-compagnon en a pas mal fait les frais, reconnaît Orane. Quand je m’emportais, ça se transformait en scènes très violentes verbalement. Il a fallu qu’il menace de me quitter pour que j’aille me faire soigner.”
“Il faut que tout le monde se rende compte que c’est une vraie maladie, et l’une des plus redoutables, renchérit Romain. Il y a beaucoup de suicides, et ça se traite mais ça ne se guérit pas: on reste gavé à vie de cachetons.”
Mais le bon traitement est parfois difficile à trouver. Jade, elle, a mis 5 ans avant d’en avoir un qui lui permette de rester stable. Et c’est ce qui inquiète Orane vis-à-vis de l’état de santé de Kanye West. “S’il est soigné, alors son traitement ne convient pas. S’il fonctionnait, il n’aurait pas de crise aussi forte. Quand j’ai su qu’il était bipolaire, sa candidature aux élections américaines ne m’a pas surprise. La maladie peut donner des idées assez mégalo-maniaques: comment un rappeur en pleine possession de ses moyens pourrait se dire ‘je vais prendre la tête de la première puissance mondiale et la gérer mieux qu’elle ne l’est actuellement’?”, s’interroge l’étudiante.
Et pour Léna, son comportement inquiète. En particulier la séquence où Kanye West raconte, en larmes pendant son premier meeting de campagne, qu’il a failli tuer sa fille. “Je trouve ça extrêmement choquant, sa fille pourra tomber dessus plus tard. Mais je pense qu’il n’a pas conscience de ce qu’il dit.”
L’art comme mode d’expression
Et ce genre d’épisodes, tous les bipolaires l’ont déjà vécu. “On l’a tous fait 50.000 fois, ça n’a rien d’exceptionnel, relativise Romain. Ça va susciter une réponse en face, être un électrochoc pour que les gens se rendent compte que c’est une vraie maladie.” Mais qui a, selon lui, quelques avantages. “On est hypersensible en permanence, on capte des moments intenses. Et cette sensibilité, je veux la garder!”, s’exclame celui qui a longtemps fait de la musique classique.
Un côté artistique bien incarné par le succès du rappeur, et qui se retrouve chez bon nombre de bipolaires. “Tous ceux que j’ai rencontrés avaient ce côté-là, se souvient Jade. Moi, je chante et je dessine. Je pense qu’on a un truc en plus, qu’on a besoin de se libérer d’une autre manière. Pour moi, Kanye West est un génie, comme l’était Van Gogh, qui était sûrement atteint de la même maladie.”
Mais attention à ne pas assimiler tous les bipolaires à sa situation, alerte Léna. “Tout le monde se focalise sur lui et l’image qu’il donne de sa maladie à lui. Or, il y a plusieurs stades, et cela varie selon les gens. Par exemple, moi, je suis en stade 1, mais si je rencontre quelqu’un au même stade que moi, on aura probablement une approche de la maladie totalement différente, même avec des symptômes similaires”, prévient la jeune femme. Avant de conclure: “Chaque bipolaire est unique”.
* Les prénoms ont été modifiés
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