Présidentielle américaine: Donald Trump peut-il céder et comment?
Le 7 novembre dernier, l’agence Associated Press annonçait la victoire de Joe Biden, assuré selon elle de remporter au moins 270 grands électeurs, le minimum nécessaire pour être porté à la Maison Blanche. Mais si Donald Trump refuse de reconnaître sa défaite tant que les résultats officiels ne sont pas proclamés (ce qui se défend), que fera-t-il après une telle annonce (et ce alors que près de 80% des Américains croient, malgré les accusations infondées de fraude, que Joe Biden a effectivement remporté le scrutin)?
Et comment, dès lors, son successeur pourra-t-il entrer en fonction le 20 janvier prochain, date prévue par la Constitution de la prestation de serment? Le HuffPost passe en revue les différentes options pour un départ de Donald Trump.
-
La bonne tenue du processus légal
Pour l’heure -et c’est l’argument avancé par plusieurs chefs d’État qui attendent avant de féliciter Joe Biden-, la victoire de l’ancien vice-président de Barack Obama n’est qu’une projection médiatique. Pour qu’elle devienne officielle, il faut encore que les résultats soient certifiés (après un éventuel recomptage dans certains États), puis que les grands électeurs désignés au suffrage universel direct votent effectivement pour Joe Biden le 14 décembre prochain.
Ensuite seulement, le Congrès installé le 3 janvier devra les confirmer le 6, et Joe Biden pourra se préparer à prêter serment le 20.
En ce sens, la théorie la plus optimiste serait de dire que Donald Trump, une fois mis en face des résultats officiels du scrutin, n’aura d’autre choix que de laisser la place, même sans formellement déclarer qu’il a perdu. “Ce n’est pas sa décision de quitter ou pas la Maison Blanche. C’est la fonction qui le quittera”, explique à cet égard le professeur de sciences politiques à l’Université de Colombie-Britannique Richard Johnston.
Un élément qui pousse à croire à cette issue apaisée, rappelle l’agence Reuters, est que l’administration de Donald Trump (qui continue par ailleurs de préparer l’après 20 janvier comme si elle allait demeurer en place) s’est pour le moment pliée à ses obligations légales en dépit de l’animosité entre le président sortant et son rival, avec par exemple la mise en branle des dispositions prévues par la loi sur la transition (le “Presidential Transition Act” de 1963). La US General Services Administration, dirigée par Emily Murphy, a ainsi mis à la disposition de l’équipe de Joe Biden un bâtiment et des fonds pour préparer le changement de pouvoir.
-
Une pression dans son propre camp
De la même manière que Vladimir Poutine patiente avant de saluer l’élection de Joe Biden, de nombreux responsables du parti républicain font pour le moment front derrière Donald Trump. Dans une sortie au mieux taquine et au pire carrément provocatrice, le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo a par exemple expliqué qu’une transition se préparait paisiblement entre la présidence de Donald Trump… et son second mandat.
Mais qu’en sera-t-il dans quelques semaines, quand le collège électoral aura rendu son verdict, que les tribunaux se seront prononcés et que des parlementaires ayant juré de suivre la Constitution devront approuver les résultats du scrutin suprême outre-Atlantique? Pourront-ils (et auront-ils intérêt) à continuer à suivre aveuglément les accusations sans preuve du président?
Car s’il est parvenu à discipliner sa majorité à grands coups de renvois publics et de pressions, Donald Trump voit nécessairement son poids politique s’amoindrir avec la défaite électorale. Et des barons républicains qui pensent à lui succéder pourraient devenir des alliés de circonstance des démocrates et du vote populaire pour raccompagner le septuagénaire à la porte de la Maison Blanche.
Plusieurs déclarations esquissent déjà un futur abandon de Trump de leur part, à l’image des élus qui rappellent que le sortant a le droit de demander à ce que la légalité des votes soit établie. Cela ne les empêchera pas de dire qu’ils respectent les institutions en annonçant l’élection de Joe Biden une fois le processus juridique parvenu à son terme. D’autres, à l’image des représentants Fred Upton, Paul Mitchell et Justin Amash, ou du sénateur Lamar Alexander, n’ont pas attendu et ont félicité Joe Biden, posant les bases du nouvel échiquier politique.
Comme l’écrivait le New York Times, pas sûr en effet que les responsables républicains qui voudront apparaître comme respectueux de l’état de droit puissent longtemps soutenir un homme qui nie le résultat d’élections comme le ferait un dictateur.
-
Les institutions vont suivre Biden
Dans le système américain, les textes qui organisent la démocratie sont clairs: le président sortant reste pleinement aux manettes jusqu’au 20 janvier. Mais après, il n’a plus aucun pouvoir. Or à en croire de nombreux experts, c’est à ce moment-là que Donald Trump réalisera à quel point sa vaine tentative de rester au pouvoir ne lui offre qu’une coquille vide.
“Cela me paraît extrêmement peu envisageable que l’armée, le Secret service (l’agence gouvernementale en charge de la protection du président), le FBI ou n’importe quelle autre composante de notre bureaucratie suive Donald Trump si le collège ou un tribunal lui donne tort”, résume auprès de Reuters Robert Chesney, professeur de droit réputé de l’Université du Texas.
Une idée accréditée par la sortie du chef de l’état-major américain (et donc plus haut responsable militaire, hors président des États-Unis), à l’occasion des commémorations du 11 novembre. “Nous ne prêtons pas serment à un roi ou une reine, à un tyran ou à un dictateur, ni même à un homme, un pays, une tribu ou une religion”, déclarait Mark A. Milley. ”Non, nous prêtons serment à la Constitution. Et chaque soldat, de l’armée de terre ou de l’air, des gardes-côtes ou de la marine protégera ce document à n’importe quel prix.”
En clair, quand bien même Donald Trump tenterait de garder une once de contrôle sur le pays, il serait très probablement lâché par les responsables politiques de tous bords, mais aussi par les services publics et administrations qui ont prêté serment et qui passeraient automatiquement sous la présidence de Joe Biden.
“N’attendez pas de lui qu’il admette sa défaite”, prévenait récemment un cadre de la Maison Blanche, envisageant cette issue. “Il finira sans doute par dire qu’on ne peut se fier aux résultats et qu’ils demeurent faux, mais qu’il les accepte quand même.” Une manière de sauver la face en somme, tout en pliant de facto face à l’état de droit.
-
Mis à la porte par ses protecteurs?
Or même si Donald Trump refusait de quitter physiquement de quitter la Maison Blanche dans le cas de figure évoqué ci-dessus, des dispositions sont prévues par les textes de loi. “Si à la fin de son mandat tel qu’il est prévu par la constitution américaine, Donald Trump refuse de quitter le bâtiment, il sera considéré comme un intrus et devra donc être escorté hors des lieux par le secret service”, explique encore Robert Chesney.
Cela signifie qu’au-delà du 20 janvier (si Joe Biden a auparavant été officiellement déclaré vainqueur, bien entendu), les agents en charge de sa protection auront toute latitude pour l’expulser purement et simplement hors de la résidence présidentielle américaine.
Durant l’été, plusieurs militaires avaient également publié une lettre ouverte au général Mark Milley, le chef d’état-major de l’armée américaine pour lui demander, dans un éventuel cas de figure où Donald Trump refuserait de quitter la Maison Blanche, de donner l’ordre à l’armée de l’expulser. Un cas de figure extrême qui n’est pas prévu par la loi ni la coutume, lesquelles préfèrent donc l’intervention du secret service. Mais la situation serait tellement ubuesque qu’aucune réponse ne peut être écartée.
-
Un businessman incapable de perdre?
“En bon promoteur immobilier new-yorkais dont le projet se casse la figure face à la pression financière, son idée pourrait être, bien avant de penser à reconnaître sa défaite, d’essayer d’obtenir quelques concessions de la part de ses créanciers.” Fin connaisseur du personnage Trump pour lui avoir fait face dans des négociations immobilières, l’ancien représentant démocrate de New York Steve Israel a récemment émis une idée: et si Donald Trump refusait à ce point la défaite qu’il cherchait une victoire, aussi symbolique soit-elle, avant de renoncer?
Devenu analyste politique pour CNN puis lobbyiste toujours proche du milieu des affaires après pratiquement vingt ans à la chambre des représentants, Steve Israel imagine ainsi que même vaincu, Donald Trump doit penser qu’il “mérite” une victoire.
Que ce soit dans une sorte de négociation avec Joe Biden, ses vainqueurs ou le peuple américain, il penserait ainsi pouvoir obtenir quelque chose. “Peut-être qu’il se dit qu’il peut négocier son départ contre une issue favorable dans l’affaire des 70 millions de dollars de taxes impayées, ou contre une grâce dans l’enquête menée à son égard par l’État de New York? Qui sait?”, poursuit Steve Israel. Au point de se demander si, comme au Monopoly, le spécialiste de l’immobilier ne rêve pas même d’une carte “Sortie de prison”.
À voir également sur Le HuffPost: Pompeo promet une “transition pacifique” entre Donald Trump et… Donald Trump
Laisser un commentaire