Accompagnement des allocataires du RSA : l’État va devoir sortir le chéquier
Apporter un « accompagnement adapté » à « 100 % des personnes ayant besoin d’un emploi », voici l’une des missions du futur « France Travail », l’institution qui remplacera Pôle emploi à partir de 2024. L’objectif s’avère très ambitieux, tant les bénéficiaires du Revenu de solidarité active (RSA) – principale catégorie ciblée par la réforme – disposaient jusqu’ici de peu de soutien pour revenir vers l’emploi.
Dans un rapport publié l’an dernier, la Cour des comptes avait documenté les faiblesses de l’accompagnement : petit nombre d’entretiens, absence de suivi, faible accès aux ateliers de remobilisation ou de formation…Des défaillances liées à un sous-investissement chronique.
Avec la hausse du nombre de foyers allocataires du RSA, les dépenses des départements ont explosé pour pouvoir verser l’allocation (607,75 euros pour une personne seule). Faute d’être intégralement compensées par l’État, elles ont entraîné la diminution des sommes dédiées à l’accompagnement social et professionnel.
Déterminé à parvenir au plein-emploi d’ici à 2027, le gouvernement sait donc qu’il va devoir mettre la main au portefeuille. Lors d’une rencontre organisée par l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis) le 27 avril dernier, la Première ministre a reconnu la nécessité d’un « investissement important pour proposer des parcours de qualité aux personnes éloignées de l’emploi ».
Pour expérimenter la mesure phare de la réforme – mettre en place 15 à 20 heures d’activités hebdomadaires par semaine pour les allocataires du RSA (sous forme d’ateliers, de formations, d’immersions…) – une enveloppe totale de 21,7 millions d’euros pour l’année 2023 est déjà prévue par l’exécutif. Elle va être allouée aux 18 départements qui testent cet accompagnement intensif pour la seule année 2023. Cette phase pilote, parce qu’elle est concentrée sur des bassins d’emploi spécifiques, concerne quelque 40 000 personnes.
Ce montant suffira-t-il ? Il est déjà jugé limité par l’Assemblée des départements de France. « Avant, on allait d’abord chercher les allocataires les plus employables », explique François Sauvadet, président de cette association d’élus et du département de Côte d’Or. La réforme, qui vise à élargir l’accompagnement vers l’emploi à l’ensemble des allocataires, tout en l’intensifiant à 20 heures d’activités par semaine, induit « un coût beaucoup plus élevé », assure-t-il.
Le Contrat d’engagement jeune comme modèle
Illustration avec le bassin d’emploi de Saint-Nazaire (44). L’enveloppe de 750 000 euros dédiée à ce territoire pilote doit lui permettre de recruter une dizaine d’équivalents temps-plein supplémentaires dans les différents services recevant et accompagnant les 1 500 bénéficiaires du RSA que compte le bassin. Un « bon mieux » hélas insuffisant dans l’absolu, remarque Jérôme Alemany, vice-président délégué à l’action sociale de proximité, l’insertion et la lutte contre l’exclusion du département de Loire-Atlantique :
« Pour réduire à 50 le nombre de personnes suivies par professionnel, il faudrait recruter une trentaine de travailleurs sociaux sur ce territoire d’expérimentation. Imaginez ce que cela représenterait à l’échelle du pays. »
Cette enveloppe représente 500 euros supplémentaires par allocataire. Ce qui élèverait à 1 350 euros la dépense moyenne d’insertion dans le département (qui investissait déjà 850 euros par personne et par an). Le progrès est net, mais reste insuffisant sur le papier.
Car en réformant le RSA, le gouvernement a assuré prendre pour modèle le Contrat d’engagement jeune (CEJ), un dispositif d’accompagnement mis en place il y a un peu plus d’un an. Or, selon nos informations, un CEJ coûte en moyenne 2 000 euros par personne et par an. Dans le cas de la Loire-Atlantique, donc, « on serait encore loin des 2 000 euros », analyse Jérôme Alemany.
Le gouvernement fera-t-il un geste supplémentaire à l’occasion de la généralisation ? Un rapport de préfiguration de France Travail, présenté le 19 avril, estime qu’il faudrait investir entre 2,4 et 2,7 milliards d’euros sur trois ans (entre 2024 et 2026) pour financer le nouveau RSA. Une enveloppe qui doit non seulement financer l’accompagnement des bénéficiaires, mais aussi l’appui aux campagnes de recrutement des entreprises, le repérage de nouveaux publics, la refonte des systèmes d’information, etc.
Du flou sur le périmètre et l’enveloppe
Peu de détails ont filtré sur la méthode de calcul du Haut-commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises, Thibaut Guilluy. « C’est un chiffrage et le gouvernement aura à l’évaluer », a-t-il précisé devant la presse, comptant sur « le processus du projet de loi de finances pour affiner les choses ». Dans son rapport, il est indiqué que l’estimation tient compte « de la montée en puissance progressive des différentes mesures sur les trois prochaines années », des « moyens existants » et des « gains d’efficience ».
Pour ce qui est du gros morceau de la dépense d’accompagnement des chercheurs d’emploi, « nous sommes partis de la photographie actuelle des parcours existants et avons fait des hypothèses sur la répartition cible, avec des parcours présentant différents niveaux d’intensités d’accompagnement, et différentes durées. C’est cette photographie cible qui devra être précisée au cours des expérimentations [avec les départements] afin d’affiner cette estimation », nous précise son entourage par mail.
C’est bien du temps humain qu’il faudra afin d’aider les personnes en difficulté à retrouver du travail
Le 2 mai, à l’Assemblée nationale, le ministre du Travail Olivier Dussopt ne s’est pas montré plus précis, soulignant que la croissance de la part d’accompagnements intensifs dépendrait des prochains arbitrages budgétaires.
Le renforcement de l’accompagnement des bénéficiaires du RSA constitue « une bonne stratégie », a fortiori dans une période de reflux du chômage, pour le professeur d’économie à l’Université Gustave-Eiffel, Yannick L’Horty. « On sait que cela augmente les chances de retour à l’emploi », commente-t-il. La possibilité d’avoir des rendez-vous fréquents avec son conseiller ou référent, de recevoir des conseils sur la recherche d’emploi, d’être encouragé ou encore d’être orienté vers les bonnes aides ou dispositifs jouent un rôle décisif.
Pas de secret : c’est bien du temps humain qu’il faudra afin d’aider les personnes en difficulté à retrouver du travail. Et du temps humain bienveillant. En écho aux critiques adressées à ce nouveau dispositif, accusé de « fliquer » les allocataires du RSA, Yannick L’Horty rappelle que « les contrôles des bénéficiaires du RSA ne sont pas très efficaces. »
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