Accoucher avec le masque: des témoignages accablants, des recommandations pour limiter la pratique
Anaïs, elle, a eu plus de chance. Au moment de pousser, elle n’arrive plus à reprendre sa respiration à cause de son masque, la sage-femme qui l’assiste lui permet de le retirer. Dans une maternité à Talence en Gironde, une autre femme qui accouche demande à deux reprises de l’enlever. “On m’a répondu non! Je respirais très mal et la prise d’air était très compliquée. J’ai donc eu les ‘cuillères’ pour aider à sortir mon bébé”.
Des témoignages comme ceux-ci, Sonia Bisch, présidente et porte-parole du collectif “Stop aux violences obstétricales et gynécologiques” dit en avoir reçu “plus de 1000”. Le 8 septembre dernier, ce collectif a lancé un appel à témoignages sur le port du masque pendant l’accouchement avec le hashtag #StopAccouchementMasqué.
Ce collectif était déjà monté au créneau pendant l’été en rédigeant un rapport sur les violences subies par les femmes et les familles pendant l’accouchement depuis le début de l’épidémie. Il était déjà question du port du masque. Il n’existe pas de chiffre officiel sur le nombre de parturientes qui ont été forcées de porter un masque pendant le travail et l’accouchement. Mais désormais, les professionnels s’emparent aussi de ce sujet.
Pas de masque recommandé pendant la poussée
“Il ne faut pas recommander le port du masque pour les patientes qui ne sont pas Covid positives ou qui ne présentent pas de symptômes évocateurs. Les professionnels qui le souhaitent peuvent porter un masque FFP2 mais le masque chirurgical suffit à protéger à 85%.”
Ces recommandations concernent principalement l’obligation du “port du masque pendant les efforts expulsifs”. “Pendant le travail et après l’accouchement, quand la patiente est dans sa chambre, lorsqu’un professionnel de santé entre et que la consultation dure, on peut lui demander de porter un masque”, recommande encore le professeur Deruelle.
Ces recommandations, comme leur nom l’indique, ne sont pas des obligations pour les maternités. “Il appartient à l’équipe médicale de prendre la décision du port du masque pour la patiente en s’appuyant sur la littérature scientifique et les recommandations”, rappelle Bertrand de Rochambeau, président du Syndicat national des Gynécologues et Obstétriciens français (Syngof) interrogé par Le HuffPost.
Un masque jugé “malcommode”
Impossible en revanche de reconnaître dans le port du masque pendant notamment les poussées et la naissance de l’enfant comme une violence obstétricale. “L’accouchement, c’est très violent, assure Bertrand de Rochambeau. L’équipe médicale est là pour accompagner dans ce moment. Les décisions violentes que l’on peut prendre pendant le travail et l’accouchement ne sont pas là pour dominer la femme. Utiliser un forceps, c’est violent mais il faut le faire quand on ne peut pas faire autrement. Certains gestes sont indispensables à la santé de la mère et de l’enfant. Les épisiotomies systématiques sont des violences obstétricales, ça oui, je le dis cent fois.”
Le professeur Deruelle rechigne lui aussi à parler de “violences obstétricales” pour les accouchements masqués qui ont eu lieu au début de l’épidémie. “Sur le fait d’obliger à porter le masque il y a six mois, je suis peu enclin à parler de violences obstétricales au vu de la situation et du peu de recul que l’on avait.” Mais la pratique doit évoluer, selon lui. “Aujourd’hui, en revanche, continuer à l’imposer aux patientes sans explication, c’est une forme de violence. C’est une dominance du monde médical.”
“Vivre un accouchement respecté”
Quoiqu’il en soit, Adrien Gantois, président du CNSF, en revanche, parle sans détour de violences. “C’est choquant d’obliger des gens à porter un masque pendant l’expulsion. Il faut donner toute la liberté à chaque femme de vivre son accouchement. Ne pas donner la possibilité aux patients de vivre un accouchement respecté, c’est une violence obstétricale.”
Plus largement, Adrien Gantois met en avant “le recul sur ce qu’il s’est passé” et les changements qu’il faut apporter aux conditions dans lesquelles les femmes accouchent. “Pourquoi les accompagnants ne peuvent toujours pas dormir à la maternité? Pourquoi ne prépare-t-on pas mieux les sorties anticipées précoces? Et qu’en est-il des visites “prado” (NDLR l’Assurance Maladie propose de bénéficier d’un suivi à domicile par une sage-femme libérale, pour la mère et le bébé)?”
Protéger la mère et l’enfant, protéger les soignants, limiter la circulation du virus. Le Covid force à repenser les priorités qui entourent l’accouchement et plus généralement la grossesse. Pendant le confinement, il a fallu se battre pour que les accompagnants aient simplement une place pendant l’accouchement et puissent assister à ce moment. Le port du masque a parfois aussi privé certaines femmes de la rencontre tant attendue avec leur enfant.
Plusieurs travaux scientifiques se sont penchés sur l’énergie qu’il fallait déployer pour faire grandir et mettre au monde un enfant. “La grossesse est la plus longue et la plus difficile chose qu’un humain puisse faire”, assure ainsi Herman Pontzer de l’Université de Duke en Caroline du Nord, un anthropologue spécialiste de l’évolution humaine. Il a entre autres étudié des données sur des athlètes d’ultramarathons, des explorateurs et des femmes enceintes pour déterminer si notre espèce avait ou non une dose d’énergie maximale à utiliser pour se dépasser. “Il est possible qu’une sélection naturelle pour mieux vivre les grossesses nous ait conduits à une évolution vers une meilleure endurance. Elle nous a permis de devenir des coureurs et non l’inverse”. Une endurance mise à mal par le masque.
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