« Adieu les cons »: Albert Dupontel nous parle de sa phobie judiciaire
Son histoire, c’est celle d’une certaine Suze Trapet, incarnée ici par Virginie Efira, une coiffeuse qui apprend à 43 ans qu’elle est gravement malade. Décidée à retrouver l’enfant qu’elle a été forcée d’abandonner quand elle n’était qu’une ado, elle entraîne dans sa quête un spécialiste des données numériques en plein burn-out et un archiviste aveugle à l’enthousiasme débordant.
Si le film dresse le récit de deux personnages qui n’auraient jamais dû se rencontrer, la nouvelle comédie d’Albert Dupontel fait aussi état d’une société dans laquelle les phobies des uns et des autres, qu’elles soient sociales, administratives ou institutionnelles, prennent le pas sur le reste.
“J’ai peur de l’erreur judiciaire”
Le réalisateur de “9 mois ferme” sait de quoi il parle. Il dit lui-même avoir une phobie judiciaire. “J’ai peur de l’erreur judiciaire, de l’injustice”, souffle-t-il au HuffPost. Le cinéaste n’est pas tout seul. Comme lui, 65% des Français affirmaient en 2006, au moment de l’affaire d’Outreau, qu’ils auraient peur de la justice s’ils avaient affaire à elle, d’après un sondage du CSA.
L’idée qu’il puisse être accusé d’un fait dont il n’est pas coupable terrifie Albert Dupontel. “Il y a des pays, comme les États-Unis, où je ne mets plus un pied, nous assure-t-il. Je me dis qu’à tous les coups, ils vont m’arrêter sans raison. C’est un pays qui, par sa violence, me fait très peur.” C’est un sentiment partagé par de nombreux Afro-Américains. D’après une enquête publiée en 2019, 9 personnes noires sur 10 ont le sentiment d’être moins bien traitées par la justice américaine que les Blancs.
En France, Albert Dupontel, lui, a appris à vivre avec. ”Ça se domestique”, explique ce dernier. “Des phobies, on en a tous. Ça veut dire qu’on est vivant. La peur, c’est un garde-fou. On reste éveillé, on est conscients. Les mecs qui n’en ont pas, ce sont des crétins”, tranche le cinéaste de 56 ans.
“Ce n’est pas une démocratie”
Cependant, sa peur de l’injustice ne vient pas de nulle part. Notre système politique actuel la nourrit. “Quand on se retrouve avec des gens qui descendent dans la rue pour protester et s’exprimer, il y a un truc qui ne va pas”, observe-t-il.
Nous vivons dans un monde “hyper connecté, mais sourd”, d’après lui. Il poursuit: “En tant que consommateur, on est sollicité six fois par jour. En tant que citoyen, tous les cinq ans. Et encore, cette concertation, vous ne l’avez pas choisie. Pendant cinq ans, vous allez subir, sans possibilité de représailles. Ce n’est pas une démocratie. J’ai peur de ce système. Il est injuste, il fait du mal à plein de gens.”
Ce qu’il décrit, ici, n’est pas si éloignée que ça de la phobie des institutions d’un de ses personnages dans “Adieu les cons”, Monsieur Blin. Lors d’un incident au cours duquel les forces de l’ordre ont tiré vers lui pensant que c’était un criminel, il perd la vue. Depuis, l’odeur, le bruit ou le contact avec un policier le paralysent.
“Une catastrophe est en train de se passer”
Écrit il y a deux ans, le scénario fait écho au contexte actuel de dénonciation des violences policières en France. D’après un sondage YouGov réalisé en juin pour Le HuffPost, un Français sur trois dit ne pas se sentir en sécurité face à la police. “Les gens qui nous gouvernent depuis plusieurs décennies sont dans la répression. Une catastrophe est en train de se passer”, déplore Albert Dupontel.
Dans ce contexte répressif et anxiogène, comment ne pas avoir peur? Comment s’aimer soi et les autres? Telle est la question posée par le film. “La peur de l’autre entraîne un repli sur soi”, revendique son auteur.
Il prend l’exemple de la mondialisation dans les années 1990. “Au lieu de mettre en place une économie de marché intelligente et réglée, on est tombé dans l’ultra capitalisme délirant. Vouloir transformer son prochain en consommateur, c’est ce qu’on peut faire de pire à l’heure actuelle. Sans compter sur la planète qui, elle, nous demande ‘d’arrêter’ parce qu’elle en train de fondre. Face à tout ça, la phobie est légitime”, conclut Albert Dupontel. Non, les plus fous ne sont pas ceux qu’on croit.
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