La sous-représentation des femmes parmi ces experts a été particulièrement soulignée dès la fin de la première vague, dans un article du Monde du 24 juin 2020. À ce moment-là, les médecins interrogés par les médias étaient très majoritairement des hommes (73%). Un rapport gouvernemental du 9 septembre 2020 intitulé “Place des femmes dans les médias en temps de crise” est venu renforcer ces constatations. Peu d’entre nous, femmes médecins réanimatrices, ont été sollicitées en 2020 (deux) et cela a persisté tout le long des différentes vagues puisqu’en 2021 seulement 3 à 4 femmes réanimatrices ont été sollicitées en tant qu’expertes parmi les dizaines d’hommes, ainsi nous souhaitons souligner notre engagement vis-à-vis de notre spécialité, pendant cette période et au quotidien.
Les femmes sont bien représentées parmi les médecins en France. En 2021, selon le Conseil de l’ordre national des médecins, 49,8% des médecins en activité sont des femmes, et 65% des moins de 39 ans. La représentativité des femmes diffère selon les spécialités: elles sont 51,5% parmi les généralistes en activité, 33% parmi les médecins réanimateurs médicaux, taux le plus bas parmi les spécialités médicales.
“Le problème est systémique, transculturel”
Les médecins experts sollicités sont habituellement les professeurs d’université. Rappelons que seulement 19% de ces professeurs d’université, toutes spécialités confondues, sont des femmes et que ce taux chute à moins de 8% en médecine intensive réanimation (rapport des inspections générales des affaires sociales et de l’enseignement supérieur). Cette sous-représentation des femmes pourrait être l’une des raisons de leur absence au sein des médias depuis le début de la pandémie.
La question la plus pertinente à ce stade est d’identifier les mécanismes qui sous-tendent cette sous-représentation des femmes parmi les experts, ainsi qu’aux postes académiques les plus prestigieux. Et au-delà des simples chiffres, les mécanismes sont complexes, intriqués et parfois “invisibles” voire “invisibilisés”. Le problème est systémique, transculturel, non spécifique d’un groupe, d’un pays ou d’un contexte donné.
Les données accumulées sur la dernière décennie apportent certaines réponses à notre problématique. En sciences et en médecine, les femmes ont moins de projets de recherche scientifique financés et reçoivent des fonds moins importants que les hommes, et ce même après ajustement sur l’âge, l’expérience et le niveau d’expertise. Ces activités de recherche donnent lieu à des publications dans des revues médicales de haut niveau. Les femmes publient deux fois moins d’articles scientifiques que leurs homologues masculins, notamment en position de premier et dernier auteur, qui sont des positions clés, source de visibilité. C’est l’une des raisons pour lesquelles les femmes sont moins souvent invitées comme oratrices dans les congrès – 5 à 26% des orateurs aux congrès internationaux de réanimation entre 2010 et 2016 étaient des femmes.
″Être moins visibles implique d’être perçues comme moins efficaces”
Elles sont de ce fait moins visibles, ce qui a toute son importance si l’on se réfère, par extension, à la théorie du rôle social. Être moins visibles implique aussi d’être perçues comme moins efficaces, moins performantes et moins influentes. Dans cette position, elles ne jouent pas non plus le rôle de modèle pour les plus jeunes, qui peuvent se sentir non encouragées voire découragées. Les femmes ont d’ailleurs moins d’accès au mentorat, qui reste nécessaire pour accéder à la position de professeure.
Tout cela concourt à ce que les femmes aient moins d’opportunités de prouver leur légitimité dans leur domaine d’expertise, d’accéder au statut d’expertes et d’être reconnues comme telles. Une multitude de facteurs externes viennent complexifier la progression des femmes comme les biais de genre qui subsistent en médecine, le sexisme ordinaire, la charge domestique qui incombe plus aux femmes, le harcèlement.
Fortes de ce constat de déséquilibre au sein de notre discipline, nous avons fondé en juin 2019, le groupe FEmmes Médecins en Médecine Intensive Réanimation (Femmir), à l’initiative du conseil d’administration de la Société de Réanimation de Langue Française (SRLF). Les objectifs de notre groupe sont d’améliorer le rôle et la place des femmes médecins en MIR, de promouvoir la parité dans notre spécialité, notamment en sensibilisant ses membres à cette problématique, de représenter et amplifier la voix des femmes et enfin d’améliorer l’attractivité de notre spécialité pour les plus jeunes. Des hommes sont intégrés à cette réflexion.
Le Femmir a publié une enquête menée auprès de plus 300 femmes réanimatrices, interrogeant leur perception de leur qualité de vie, de la parité et de la discrimination au sein de leur spécialité. Depuis, nous travaillons à donner aux femmes réanimatrices une plus grande place au sein de leur spécialité et dans toutes ses instances et les rendons plus visibles; nous prenons position sur le plan international pour que notre spécialité s’engage à respecter la parité; nous faisons prendre conscience des biais de genre qui persistent; nous donnons aux plus jeunes un visage de la réanimation qui leur ressemble (46% des internes du diplôme d’études spécialisées en MIR sont des femmes); nous mettons en avant les femmes qui ont réussi à accéder aux plus hautes responsabilités afin qu’elles servent de modèles et nous encourageons le mentorat des jeunes femmes internes en MIR; nous menons des études scientifiques sur les thèmes de la parité et de l’égalité.
Toutes nos actions ont pour objectif de faire en sorte que demain, il y ait au lit des malades, aux postes décisionnaires, parmi les professeurs d’université, parmi les auteurs d’articles scientifiques, parmi les orateurs des congrès, autant de femmes que d’hommes et autant d’expertes que d’experts.
Les signataires sont les membres du groupe FEmmes Médecins en Médecine Intensive Réanimation (FEMMIR) de la Société de Réanimation de Langue Française (SRLF) : Pr. Nadia Aissaoui, MD, PhD, MIR, Hôpital Européen Georges Pompidou, AP-HP ; Pr. Cécile Aubron, MD, PhD, MIR, CHU de Brest ; Dr.Laetitia Bodet-Contentin, MD, PhD, MIR, CHU de Tours ; Dr.Florence Boissier, MD, PhD, MIR, CHU de Poitiers ; Pr.Muriel Fartoukh, MD, PhD, chef du service Médecine Intensive Réanimation, Hôpital Tenon, AP-HP ; Mélanie Faure, interne des hôpitaux de Tours, MIR ; Dr.Olfa Hamzaoui, MD, MIR, Hôpital Antoine Béclère, AP-HP ; Dr.Caroline Hauw-Berlemont, MD, MS, MIR, Hôpital Européen Georges Pompidou, AP-HP, secrétaire du groupe FEMMIR ; Pr.Mercedes Jourdain, MD, PhD, MIR, CHU Lille ; Dr.Julien Le Marec, MD, MIR, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP ; Dr.Charlotte Salmon Gandonnière, MD, PhD, MIR, CHU Tours, secrétaire adjointe du groupe FEMMIR ; Chantal Sevens, ancienne directrice de la SRLF ; Pr.Fabienne Tamion, MD, PhD, Chef du service Médecine Intensive Réanimation, CHU Rouen ; Pr. Nicolas Terzi, MD, PhD, MIR, CHU Grenoble ; Agathe Terrou, co-fondatrice de la société Her’oes and Associates ; Margaux Terrou, co-fondatrice de la société Her’oes and Associates.
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