Beyrouth est pour le Syrien que je suis la dernière ville arabe où résonne le cri de la liberté
En Syrie, à l’école, tout ce que je savais sur le Liban c’est que c’était un pays occupé par l’armée syrienne. Hafez Assad prétendait que c’était pour le protéger d’Israël mais, la vérité, c’était qu’il avait mis la main sur ce pays, le contrôlait à sa façon policière. Plusieurs camarades à l’école avaient un père qui faisait son service militaire au Liban. Ceux-ci étaient considérés comme des rois, faisaient tout ce qui leur passait par la tête, protégés par leurs armes. Tout cela a continué jusqu’au retrait des forces armées de Damas en 2005.
Beyrouth était la ville de la liberté, surtout pour les intellectuels arabes rescapés des dictatures. Des centaines de poètes, d’écrivains, de journalistes, se sont établis dans cette ville, surtout pendant les années 60, suscitant un mouvement culturel remarquable. Cette image a changé à cause des guerres et des occupations. Mais nous, la génération des années 90, avons préféré conserver un peu d’espoir: Beyrouth est la dernière ville arabe où l’on peut s’exprimer, écrire, sans être importuné par la police.
Au début des manifestations au Liban, le 17 octobre, je suis les nouvelles à travers les réseaux sociaux. Tout ce que je peux faire, c’est écrire de loin. Je ne cesse de contacter les amis à Beyrouth. À chaque nouvelle, j’appelle quelqu’un, comme si j’étais de cette ville. Je suis fasciné par ce mouvement, comme si je tentais de ressusciter une âme perdue depuis des années, celle de la révolution. J’écris, et je supprime, j’annule des rendez-vous, je n’arrive pas à quitter l’écran, je passe des heures à suivre ce qui se passe: un miracle. C’est la première fois depuis la guerre civile que le peuple libanais est uni, au-delà des ethnies, des religions, des confessions, il est uni au sein de manifestations incroyables où des gens de tous âges se tiennent la main, se protègent, partagent la nourriture, l’eau, dansent, chantent, malgré les menaces du Hezbollah. C’est exactement ce qu’on a vécu en Syrie en 2011, la même image fascinante. La différence: en Syrie, nous n’avions aucun média et la barbarie des services de renseignement a mené au massacre des révoltés, ce qui n’est pas encore le cas au Liban. Les soutiens du pouvoir entonnent la même chanson; c’est un complot contre le pays…
Avec le temps, ce mouvement a perdu sa flamme; de nombreux manifestants ont perdu l’espoir, persuadés qu’ils sont face à une situation compliquée, un état de fait lié à des intérêts internationaux, les changements sont loin d’être réalisés. Mais ce qui s’est passé le 4 août, cette grande explosion qui a détruit la moitié de la ville, a déclenché une nouvelle colère. Pourtant, cette ville a déjà été bombardée, pendant la guerre civile, est s’est relevée à nouveau. La différence, c’est que cette fois le “bombardement” n’a pris que quelques minutes, alors que la guerre a duré 15 ans. Est-ce que ça veut dire que le changement, cette fois, sera plus rapide?
Beyrouth réveille le printemps arabe commencé en Tunisie en 2010. Aujourd’hui, une nouvelle génération reprend le cri de la liberté dans cette ville. Depuis 8 ans que j’ai quitté la Syrie je ne suis jamais retourné dans le monde arabe. Malgré cela, chaque matin, en me réveillant, je me demande, quand vais-je partir à Beyrouth? Pas seulement pour réaliser ce rêve ancien, mais aussi pour voir ma mère: comme je ne peux pas rentrer en Syrie à cause du régime d’Assad, Beyrouth est la seule ville où je peux la rencontrer.
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