Ce 15 octobre, je rends hommage à Samuel Paty avec mes élèves, comme tous les jours – BLOG
Un an après, que reste-t-il de notre indignation, des beaux discours républicains? Qu’avons-nous fait des promesses proférées en grande pompe dans la cour de la Sorbonne?
En ce qui me concerne, je ne rendrai pas d’hommage spécial à Samuel Paty ce jour-là.
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Lundi 11 octobre, la Principale du collège dans lequel j’enseigne nous a transmis le mail de Charline Avenel, rectrice de l’Académie de Versailles. Elle nous y informe de “la possibilité offerte à chaque enseignant, au cours de la journée du vendredi 15 octobre 2021, de rendre un hommage à leur collègue et de mener une réflexion autour du thème de l’esprit critique, du métier de professeur, son rôle et sa légitimité”.
Nous sommes donc exhortés à défendre notre rôle, notre mission et jusqu’à notre légitimité devant nos élèves. Le médecin réfléchit-il avec ses patients au rôle qu’il doit jouer dans sa guérison ? Le pilote doit-il convaincre ses passagers qu’il a pour mission de les conduire à bon port ?
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Jusqu’à quel point l’aura du professeur est-elle tombée pour que nous nous retrouvions à devoir clarifier nos intentions, à rendre des comptes aux enfants que nous avons la lourde et noble responsabilité d’élever, au plus beau sens du terme ?
A la différence de la rentrée de novembre dernier, où nous avions été livrés à nous-mêmes pour aborder le sujet avec nos élèves, le Ministère met cette fois à la disposition des enseignants quelques pistes de réflexion ainsi que quelques supports pédagogiques sur le site d’Eduscol : une petite anthologie de très beaux textes du patrimoine abordant la figure du professeur et sa place dans la Cité ainsi qu’un discours de Robert Badinter sur la laïcité, particulièrement émouvant pour les citoyens convaincus que nous sommes.
Comment convaincre les plus rétifs à la laïcité?
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La laïcité ne peut de toute façon pas faire l’objet d’une leçon sans devenir morale et c’est la raison pour laquelle elle mérite bien plus qu’une heure dans l’année. Elle doit devenir concrète, être mise en action, par la discussion, le dialogue, le débat d’idées, la découverte de l’autre et du respect qu’on lui doit.
Le malentendu fondamental, pour certains élèves, concerne la définition même de la laïcité : pour eux, c’est le principe qui interdit d’afficher sa religion à l’école et qui donc éloigne de Dieu. L’emblème de cette censure, pour eux, est l’interdiction du port du voile pour les élèves. Autrement dit, pour nombre d’entre eux, la laïcité est une islamophobie qui ne dit pas son nom. Ce qu’il faut, ce n’est donc pas réfléchir à la place et à la légitimité du professeur (comme cela est indigne…) mais bel et bien revenir à ce qu’est la laïcité, à la possibilité qu’elle offre à chacun de croire en ce qu’il veut, de ne pas croire, de ne pas être discriminé en fonction de son positionnement sur le spectre de la croyance.
Revenir donc à la laïcité comme principe positif, garant de la liberté de chacun, de l’épanouissement intellectuel dans les meilleures conditions pour tous et condition nécessaire du vivre-ensemble. C’est dans cette optique que nous organisons dans notre établissement un affichage sur les livres sacrés des trois monothéismes au mois de décembre, autour de la journée de la laïcité, en lien avec une exposition de la Bibliothèque Nationale de France ; c’est dans cette optique également que nous demandons à l’association Coexister d’intervenir auprès de tous les élèves de 6ème. Mais, on le voit, nous sommes acculés à externaliser l’approche de ces problématiques.
Les professeurs ont peur
Oui, certains professeurs ont peur. A la rentrée de novembre dernier, ils avaient été nombreux à arriver en cours le ventre noué et la gorge serrée, nombreux également à renoncer à revenir sur ce qu’il s’était passé avec leurs élèves. Qui osera prendre la parole sans trembler, vendredi 15 octobre ? Qui osera prononcer un nom auquel nombre d’élèves associent une version de l’histoire déformée par les réseaux sociaux ? La seule fois où j’ai entendu parler de notre regretté collègue, depuis le début de l’année, c’était en ces termes : “C’est celui qui a déshonoré le prophète.” Pour cet élève, même s’il convenait que Samuel Paty n’aurait pas dû mourir pour cela, le professeur l’avait un peu cherché. Par chance, dans ces cas-là, la vérité finit toujours par être rétablie par d’autres élèves de la classe, mieux informés, plus sensibilisés, indignés par cette prise de position. Mais pour le professeur, alors, s’engager dans une discussion sur ce qu’a fait Samuel Paty, sur les raisons de ce qu’il a fait et sur sa légitimité à le faire, c’est nécessairement marcher sur des œufs. Personne, dans cette position, ne peut s’empêcher de penser aux conséquences que pourrait avoir pour sa vie une dénonciation fantaisiste par un élève sur un réseau social.
De plus, si les nouveaux stagiaires se voient désormais proposer un module sur la laïcité, la grande majorité du corps professoral est démunie, par manque de formation, lorsqu’il s’agit d’évoquer les sujets qui y sont relatifs. Comment en parler sans froisser les sensibilités ? Comment respecter les croyances de tous, comment ne pas imposer la laïcité comme on assène un dogme, comment ne pas faire d’elle une religion de la République avec ses martyrs ? L’an dernier, j’ai entendu des collègues refuser de servir ce qu’ils estiment être un catéchisme républicain. Bien sûr, les professeurs de l’Education Nationale sont des fonctionnaires d’Etat et doivent, dans cette mesure, loyauté à l’institution.
Les professeurs, ayant vocation à former des esprits libres, doivent l’être tout autant
Si l’école n’est plus le lieu où ces idéaux s’incarnent, où la devise prend vie ; si les professeurs, découragés, ne se sentent plus investis d’une mission au nom de la République, par défiance ou par idéologie, alors tout espoir est perdu.
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A l’occasion de ce triste anniversaire, le mémoire d’études de Samuel Paty a été publié. Il s’intitule Le Noir, société et symbolique (1815 – 1955). Souvenons-nous que les instituteurs de la IIIème République, formés après la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905, avaient été surnommés par Charles Péguy les “hussards noirs de la République”.
Cet uniforme invisible, celui des idéaux d’universalisme et de fraternité, transcendant les partis politiques, les idéologies, les communautés religieuses et les obscurantismes en tout genre, le professeur le porte tous les jours de l’année.
Vendredi 15 octobre, comme tous les jours, je rendrai donc hommage à Samuel Paty. Du mieux que je pourrai.
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