« Comment faire pour que les hommes cessent de violer? », la question qui dérange
Derrière cette interrogation se trouve la militante féministe et antiraciste Mélusine. Le 22 janvier, elle écrit ces mots, depuis supprimés: “Il y a savoir et il y a entendre, lire et compter. Violences sexuelles massives contre les femmes, les enfants, les hommes gays. Et une question de civilisation: comment fait-on pour que les hommes cessent de violer?”
Son compte a d’abord été suspendu samedi 23 janvier, pour une durée de douze heures. Avant de l’être à nouveau ce lundi 25 janvier, jusqu’à ce qu’elle supprime ses tweets ou qu’elle choisisse de faire appel de la décision avec restriction de l’utilisation de son compte. Comme elle, d’autres féministes ont fait face au même problème, Elisa Rojas, par exemple.
En soutien à ces suspensions consécutives, de nombreuses militantes féministes ont elles aussi relayé la question.
Pour Twitter, cette question enfreint ses règles. Et plus précisément, il s’agirait d’une “infraction à nos règles relatives aux conduites haineuses”, comme on peut le lire dans le message reçu par les militantes aux comptes suspendus.
Décrire la réalité des violences sexuelles
Comme l’écrit Mélusine sur Twitter, cette question vient tout d’abord mettre “la lumière sur la réalité du viol”. Cette réalité, c’est celle selon laquelle 96% des victimes de viols et des tentatives de viols sont des femmes. Au total, chaque année, 62.000 femmes, contre 2700 hommes, en sont victimes, rappelait fin 2020 Le Monde, citant des chiffres de l’enquête Virage de l’Ined, publiée en 2016. Lorsque l’on se penche sur cette étude, on y lit que “les agressions sexuelles déclarées par les femmes au cours de la vie sont presque exclusivement le fait d’un ou plusieurs hommes, quel que soit l’espace de vie considéré”. Au sein de la famille, au travail, en couple, dans l’espace public, quel que soit l’espace considéré, les chiffres sont éloquents: entre 92 et 97% des auteurs de violences sexuelles sont des hommes.
C’est pourquoi, pour la journaliste Lauren Bastide, créatrice du podcast “La Poudre” et sollicitée par Le HuffPost, cette question est “une façon de désigner quelque chose de réel. On parle de violence masculine, et rien ne me choque dans cette question incroyablement légitime, qui correspond aussi à une prise de conscience globale selon laquelle les responsables de violences sexuelles, ce sont très majoritairement des hommes”. “On dit souvent que les femmes sont violées, et de manière massive, mais ce qu’on dit moins, c’est que ces viols sont commis par des hommes. Et si ces crimes sont aussi genrés, c’est bien qu’il se passe quelque chose de genré dans ce crime”, abonde Mélusine.
Éduquer, former
Après l’affaire Olivier Duhamel, avec la vague de témoignages #metooinceste, après toutes les prises de parole auxquelles on assiste depuis 2017, “le réflexe serait de criminaliser davantage les violences sexuelles, de traiter les violences qui ont déjà eu lieu. Mon but était de modifier la focale et de réfléchir à des réponses à apporter, qui sont très complexes”, souligne Mélusine.
“L’effet dissuasif ne fonctionne pas, il faut former, éduquer les garçons et les filles. Il ne faut pas avoir peur des mots, parler du mot viol, le marteler, et pas seulement en instaurant des durcissements législatifs ou des mesures pénales. On envisage encore le violeur comme un monstre déviant surgissant dans une ruelle sombre alors que dans plus de 90% des cas, une victime connaît son violeur”, regrette Lauren Bastide. Dans 94% des situations, en effet les auteurs de violences sexuelles sont des proches, selon une enquête de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie.
Tous concernés
Or, comme le pointent les chiffres évoqués plus haut, si tous les hommes ne sont pas des violeurs, la majorité écrasante des violeurs sont des hommes. “On le sait, que tous les hommes ne violent pas. Mais le fait d’être un homme, la manière dont on élève un garçon, les marges de manœuvre qu’on leur permet, l’impunité dont ils peuvent jouir; tout cela participe à faire du viol un acte possible, encouragé, excusé. C’est toute une structure qui rend possible le fait de violer”, explique Mélusine. “Je suis persuadée que tous les hommes peuvent faire quelque chose contre ces violences. D’une part, car ils peuvent être les connaissances de ces violeurs. D’autre part, car le problème majeur auquel sont confrontées les victimes aujourd’hui est le manque d’écoute: leur parole n’est pas entendue par ceux qui pourraient leur apporter la protection, la légitimité que donne le fait d’être crue. Tous les hommes devraient se poser la question de leur rapport à ces violences sexuelles”, poursuit-elle.
Reste qu’avec la suspension de tous ces comptes, le débat est passé à côté de ces importantes interrogations. Et pour Lauren Bastide, c’est tout sauf une surprise. C’est même plutôt révélateur d’une “censure qui montre le refus et les tabous autour de ce sujet”.
Levée de boucliers
De fait, les réseaux sociaux sont selon elle le moyen d’expression privilégié des féministes, les autres espaces étant majoritairement occupés par des hommes (maisons d’édition, médias, etc.) – une explication qu’elle formule dans son livre. Mais ces réseaux sociaux sont “un espace où l’on est confrontées à la violence et à la silenciation de notre travail”.
Ce qui est tout sauf une raison, pour ces féministes, de s’arrêter. “On n’en est même pas au quart de la moitié de la prise de conscience, on ne vit que les prémisses de #MeToo, et je pense qu’il est très important que ce genre de questions soit posé.”
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