Des vœux à la presse de Macron… à la réalité
POLITIQUE – Le décalage se creuse chaque jour davantage entre les bonnes intentions affichées par le chef de l’État à l’égard de la presse lors ses vœux formulées en 2018 et 2020, et la réalité des conditions de travail des journalistes sur le terrain régulièrement confrontés à des forces de sécurité qui entravent l’exercice de leur métier, notamment lors de manifestations.
La liberté d’expression, dont Emmanuel Macron se dit l’ardent défenseur à travers le monde, risque d’être encore mise à mal en France si une disposition prévue dans la proposition de loi sur la “Sécurité globale” était prochainement adoptée par l’Assemblée nationale. Elle vise à restreindre la diffusion d’images non anonymisées des policiers et gendarmes en intervention, ce qui compliquerait le travail des journalistes et réduirait à peau de chagrin le droit à la transparence que peut exercer jusqu’à présent chaque citoyen en filmant et diffusant des images qui montrent des fonctionnaires assurant le maintien de l’ordre public.
Et dans ce contexte, les récents propos de Gérald Darmanin enjoignant les reporters à s’identifier en amont auprès d’une quelconque autorité afin d’être accrédité à la couverture de manifestations font craindre, malgré le rétropédalage du ministre de l’Intérieur, la volonté de moins en moins dissimulée de l’exécutif, et de sa majorité, de restreindre toujours plus la liberté d’informer.
Lors de ses prochains vœux à la presse, si Emmanuel Macron persiste à souhaiter “de pouvoir exercer votre beau métier de journaliste dans l’indépendance et la liberté, de pouvoir chercher la vérité, de pouvoir la dire sans être inquiété”, il devra alors garder en tête non seulement la vive inquiétude exprimée par une trentaine de sociétés des journalistes (SDJ) à la lecture de l’article 24 de la proposition de loi LREM “relative à la sécurité globale” (concrétisation d’une promesse d’Emmanuel Macron et de Gérald Darmanin aux syndicats de policiers, quoi qu’il en coûte au droit d’informer), mais se souvenir aussi de l’interpellation et la mise en garde à vue de journalistes couvrant la dispersion d’une manifestation réunissant à Paris des opposants à cette proposition de loi.
Le président de la République devra aussi ne pas oublier la condamnation formulée avec “la plus grande fermeté” par la direction régionale de France Télévisions après “l’arrestation abusive et arbitraire” d’un journaliste de la rédaction de France 3 Paris Île-de-France à l’issue de cette manifestation. “Il est totalement inadmissible, dans une démocratie comme la France, qu’un journaliste soit privé de son droit d’informer”, a protesté Laurent Guimier, le directeur de l’information de France Télévisions, comme vous pouvez le voir dans notre vidéo en tête de cet article.
La prochaine fois qu’Emmanuel Macron évoquera publiquement sa demande de voir la liberté d’informer “protégée et placée sous la protection des Nations Unies”, se souviendra t-il que le conseil des droits de l’homme de l’ONU s’est ému du contenu de la proposition de loi “pour une sécurité globale” issue de sa majorité, craignant qu’elle porte des atteintes importantes “aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, notamment le droit à la vie privée, le droit à la liberté d’expression et d’opinion”?
“La liberté de la presse aujourd’hui n’est plus seulement attaquée par les dictatures notoires, elle est aussi malmenée dans des pays qui font partie des plus grandes démocraties du monde. Elle est malmenée jusqu’en Europe”, observait Emmanuel Macron en janvier 2018. Presque trois ans après, c’est au tour de la Défenseure des droits qu’il a récemment nommée de faire la leçon aux députés LREM à l’origine la proposition de loi controversée. Claire Hédon estime en effet que “la libre captation et diffusion d’images de fonctionnaires de police et militaires de gendarmerie en fonction, est une condition essentielle à l’information, à la confiance et au contrôle efficient de leur action”.
Ces menaces pesant sur la liberté d’informer trouvent un écho jusque sur l’antenne de Radio Canada où la présentatrice vedette Anne-Marie Dussault souligne un autre paradoxe. “C’est quand même étonnant de penser que, vu d’ici en tout cas, votre gouvernement veut défendre la liberté d’expression, en plein procès dans l’affaire Charlie Hebdo (…) et en même temps, certains craignent que ce projet de loi la restreigne beaucoup”, s’étonne-t-elle.
A voir également sur Le HuffPost: Comment la loi Sécurité globale peut compliquer mon travail de journaliste
Laisser un commentaire