Gilbert Cette au Conseil d’orientation des retraites : la vengeance de Macron
Pierre-Louis Bras est tombé au champ d’honneur des serviteurs de l’Etat la semaine dernière, lorsque le communiqué du conseil des ministres a annoncé son débarquement de la présidence du Conseil d’orientation des retraites (COR). Car même si Matignon prétend le contraire, c’est bien une véritable vengeance politique dont est victime le haut fonctionnaire. Son crime ? Avoir dit la vérité, même si elle n’est pas poétique, le 19 janvier devant les députés, lors des auditions préparatoires à la loi sur la réforme des retraites.
Le président du COR résume pour les députés les 380 pages du rapport annuel et affirme, graphiques à l’appui, que les dépenses de retraites « ne dérapent pas », qu’elles sont même « globalement stabilisées [autour de 14 % du PIB, NDLR] et même, à très long terme, diminuent dans trois hypothèses sur quatre ». Le message était limpide, et au final assez neutre : s’il existe bien un problème de financement des retraites, la solution n’est pas à chercher dans les économies, mais du côté des recettes…
Pierre-Louis Bras, inspecteur général des affaires sociales, est un des meilleurs connaisseurs du dossier, puisqu’il commença sa carrière en 1991 en participant à l’élaboration du Livre blanc sur les retraites pour Claude Evin puis dirigea la sécurité sociale. Il aura donc préféré défendre le consensus établi par les partenaires sociaux au sein de son institution, plutôt que servir la soupe au prince qui nous gouverne… C’est suffisamment rare pour qu’ici soient exprimés quelques remerciements.
Avec son successeur, l’exécutif ne court pas ce risque, tant Gilbert Cette, économiste professeur à la Neoma Business School (après avoir longtemps œuvré à la Banque de France), est réputé pour sa proximité idéologique avec la macronie. Il avait bien conseillé Martine Aubry entre 1998 et 2000 pour les 35 heures, mais avait vite viré sa cutie sociale-libérale. En 2017, il avait appelé à voter pour le candidat Macron, tout en participant à la conception du programme présidentiel aux côtés de Philippe Aghion, Marc Ferracci et Jean Pisani-Ferry.
Nommé à la présidence du Groupe d’experts sur le Smic après l’élection d’Emmanuel Macron, il n’a de cesse depuis 2018, d’être « Monsieur surtout-pas-de-coup-de-pouce » au salaire minimum, prônant même la disparition du salaire minimum interprofessionnel de croissance au profit d’un salaire minimum indexé sur la seule inflation. Rien d’étonnant, puisque dès 2014, l’homme préconisait d’établir un Smic jeune, voire de différencier le Smic selon les régions… Une sorte de retour au Smig, tel qu’il existait avant 1968.
La « pensée Cette » : moins de droits pour mieux s’adapter
Ce penchant pour le retour en arrière sous prétexte d’adaptation à la modernité semble caractériser la « pensée Cette ». En 2009, celui-ci préconisait de limiter le Code du travail « à l’ordre public » et de renvoyer le reste au « droit conventionnel ». Une décennie plus tard, son génie réactionnaire (au sens premier du terme) lui suggère toujours des idées rétrogrades.
« C’est au droit du travail et au droit social d’évoluer pour s’étendre aux nouvelles activités de l’économie numérique », écrit-il en 2022 dans le but de barrer la route à toute requalification des travailleurs ubérisés en salariés de plein droit. Cette (et le lobby des plates-formes) est entendu, puisque la France soutient toujours cette position jusque dans les instances européennes.
Moins de droit et moins de droits pour toujours mieux assurer la rentabilité du capital semble être une obsession chez Cette : non seulement il faudrait travailler plus, mais il conviendrait même de faire sauter cette vieillerie de calcul des salaires en fonction de l’horaire de travail par « une prise en compte de la charge de travail. » En l’occurrence, l’expression « travail à la tâche » conviendrait mieux, mais cela doit trop sentir le XIXe siècle…
C’est donc cet économiste engagé pour la révolution macronienne qui présidera le COR, dont la fonction est de parvenir à un diagnostic partagé entre les partenaires sociaux dans le but d’éclairer les choix sur l’avenir des systèmes de retraites. Comme notre homme estime que la réforme des retraites est « modeste » et « sociale », cela risque de vite ruer dans les brancards avec les syndicats.
Emmanuel Macron, qui signe le décret de nomination de Gilbert Cette n’en a sans doute cure : on se souvient qu’en 2019, un article du projet de loi qui devait instituer un régime unique de retraite par points prévoyait de supprimer le COR pour le remplacer par un comité d’experts chargé de conseiller le gouvernement. Il est possible que la mission réelle du nouveau président du COR soit tout simplement de mettre en œuvre ce projet avorté.
Emmanuel Macron éliminerait ainsi une instance de la société civile qui avait osé lui tenir tant soit peu tête. Dans ce cas, la victime de la manœuvre ne serait pas que le COR, mais bien la démocratie telle que nous la concevons, lorsque des contre-pouvoirs tentent d’équilibrer le pouvoir politique.
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