Grande Sécu : une avancée et deux oublis
La création d’une « grande Sécu », c’est-à-dire un régime obligatoire d’assurance maladie prenant en charge l’intégralité des frais de santé, a un temps été envisagée par le gouvernement, même si Olivier Véran semble y avoir renoncé selon des informations publiées par le Point. Cette idée aura néanmoins fait couler beaucoup d’encre. Mais pas toujours à bon escient. Car on aurait tort de réduire le débat aux frais de gestion, comme on l’a beaucoup entendu.
Bien sûr, cette question est importante. Et le constat fait aujourd’hui n’a rien de surprenant. En 2005, le gouvernement annonçait la création de l’Union nationale des organismes complémentaires d’assurance (Unocam), une structure rassemblant les complémentaires, où elles pourraient se concerter pour promouvoir une meilleure organisation des soins, sans susciter auprès des professionnels les mêmes réticences que ce mastodonte qu’est l’Assurance maladie. La concurrence entre organismes devait, comme ailleurs, conduire à une meilleure efficacité en termes de prix et de qualité.
A l’époque, nous fûmes quelques-uns à rappeler que les frais de gestion d’organismes en concurrence entre eux seraient nécessairement plus élevés que ceux du régime général. Il a fallu seize ans pour que l’information passe et que commence à se dissiper – espérons-le du moins ! – le mirage de la concurrence.
Revenir sur cette idée et s’attaquer aux frais de gestion est une bonne chose. Mais si on laisse de côté le panier de soins et l’organisation des soins, enjeux majeurs aujourd’hui, on n’aura pas beaucoup avancé.
La couverture par les complémentaires n’est en effet pas seulement une couverture qui coûte plus cher, c’est aussi une couverture plus inégalitaire
L’une des grandes questions posées par les complémentaires est celle de la tarification à l’âge. La couverture par les complémentaires n’est en effet pas seulement une couverture qui coûte plus cher (frais de gestion), c’est aussi une couverture plus inégalitaire. Les cotisations de Sécurité sociale ne prennent pas en compte l’âge de la personne couverte. Avant 2005, certaines mutuelles ne prenaient pas non plus en compte l’âge. Mais lorsqu’elles ont été mises en concurrence avec les sociétés d’assurance, elles sont toutes passées à une tarification à l’âge. Une « grande Sécu » permettrait de revenir au principe de base de la Sécurité sociale. Le financement à l’âge serait remplacé par un financement en fonction des revenus, par le biais de la CSG qui augmenterait. De ce point de vue, la grande Sécu apporterait indéniablement une amélioration au système actuel. Reste deux questions essentielles.
« Est-on sûr qu’un système unifié permettrait de mieux relever les défis auxquels est confronté notre système de santé : accès aux soins, prévention, articulation entre la médecine de ville et l’hôpital, cyberattaques, etc. ? », se demande le journaliste François Charpentier. Ce sont de très bonnes questions. Si l’on s’intéresse au système de soins, le sujet n’est pas seulement combien ça coûte (les frais de gestion), mais aussi comment on l’organise. C’est-à-dire la question du panier de soins et celle des revenus des professionnels d’un côté, et celle des expérimentations et des adaptations de l’autre.
Quel panier de soins ?
Derrière la prise en charge à 100 % et le débat sur les frais de gestion, se pose la question de la définition du « panier de soins ». De nouvelles pathologies apparaissent en permanence, et en permanence, de nouvelles méthodes de soins sont proposées. Gérer un panier de soins en perpétuelle transformation soulève la question des modalités de débat et de discussion sur ce sujet. C’est la question de la « démocratie sanitaire ». Du fait de leur passé démocratique (parfois lointain), les mutuelles auraient pu apporter ici un savoir. En acceptant – avec un certain enthousiasme – d’être confondues avec les sociétés d’assurances, elles se sont évidemment disqualifiées.
Cela dit, quelle que soit la couverture, la question demeure. Elle implique de trouver un accord avec les professionnels et donc de s’intéresser aux dépassements d’honoraires. Une discussion sur ce sujet ne semble pas à l’ordre du jour. Or si la grande Sécu ne dit ni comment fixer le panier de soins, ni quels seront les revenus des professionnels, elle consiste en un aménagement du financement de la santé qui comporte certes des aspects positifs, mais passe à côté d’un problème essentiel. Dans un système financé par la collectivité, il faudrait être capable de poser et trancher la question suivante : « quels sont les revenus des professionnels ? pourquoi tel spécialiste gagne x fois plus qu’un généraliste ? est-ce le choix que nous voulons faire collectivement ? » Ignorer cette question, c’est laisser de côté le problème de l’accès aux soins et de leur organisation.
Quelle place pour l’expérimentation ?
Face aux perpétuelles évolutions des maladies et des traitements, nous avons aussi besoin d’imaginer des solutions. Les complémentaires, et en particulier les mutuelles, en raison de leur histoire, ont eu ce rôle dans des établissements qu’elles géraient. Elles ont parfois permis à des professionnels de mettre en place d’autres façons de travailler, en psychiatrie ou en gynécologie (par exemple, la MGEN pour l’accès à la contraception et à l’avortement dans les années 1950 et 1960). Elles ont renoncé à ce rôle. Dans un système de grande Sécu, où sera la place pour l’expérimentation de pratiques nouvelles ? C’est une question essentielle, à laquelle la mise en place des ARS (agences régionales de santé) n’a rien changé.
Nous sommes aujourd’hui dotés d’une très belle assurance maladie, certes un peu engoncée, et qui a du mal à sortir d’un simple rôle de payeur. La capacité de notre système à débattre du panier de soins, des pratiques et des revenus des professionnels est tout à fait limitée. Et ces insuffisances ont à voir avec les inégalités, la faiblesse de la prévention, et la mauvaise répartition des professionnels et des établissements sur le territoire. Avec la mise en place de l’Unocam, on avait tenté de nous vendre que la concurrence génèrerait des comportements plus efficaces. On a eu des frais de gestion. Vouloir s’attaquer à ces frais de gestion est une bonne idée. Mais nous devons aussi nous attaquer aux autres questions.
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