Grosse flemme…
Les fêtes de fin d’année approchent (J-2) et avec elles le lot de discussions anxiogènes à prévoir entre la dinde et la bûche. Front ukrainien, inondations, facture de la chaudière, trains trop chers et (vraiment) plus à l’heure, effondrement des services publics, ultime occasion manquée de Kolo Muani… Et s’il fallait une septième plaie d’Egypte, ajoutons l’épidémie de flemme des salariés (on ne parle pas ici des fonctionnaires, pour eux, l’affaire est entendue depuis belle lurette).
– C’est quand même pas si dur de savoir conduire un bus, non ?
– Tu m’expliques pourquoi on ne trouve plus de plongeurs dans les restos alors que les étrangers acceptent ?
– Les jeunes, avant même de bosser, ils demandent combien de RTT ils vont avoir…
Si vous échappez à l’un ou l’autre de ces débats, merci de nous écrire à la rédaction. Pour les autres, il va falloir se résigner, le bon vieux gros marronnier des familles est de retour. La Française et le Français sont d’irréductibles allergiques au boulot.
« Quiet quitting »
Mais là, attention, la situation serait critique. Avant même la pandémie, un sondage Gallup pointait que seuls 6 % des salariés hexagonaux étaient réellement engagés dans leur vie professionnelle. Il y a trente ans, 60 % des personnes interrogées jugeaient que le travail occupait une place « très importante » dans leur existence. Elles ne sont plus que 24 % aujourd’hui, nous dit une étude Ifop pour la Fondation Jean Jaurès. En 2008, deux salariés sur trois souhaitaient « gagner plus d’argent mais avoir moins de temps libre ». Désormais, la même proportion accepterait de « gagner moins d’argent pour avoir plus de temps libre ».
Les formes de management évoluent peu. Malgré les constats sur la dégradation des conditions de travail, l’hyperproductivisme continue d’user nombre de salariés
D’autres signes ne trompent pas. A la faveur d’un tiktokeur inspiré qui a utilisé la formule au cours de l’été 2022, le concept de « quiet quitting » a envahi les réseaux. Cette « démission silencieuse » désigne celles et ceux qui se mettent en retrait de leur emploi, adeptes du minimum syndical aurait-on dit jadis, des refuznikde la performance. Loin d’être un phénomène nouveau, ce sont des tendances qui, dès les années 1960, ont été documentées par les sociologues, Alain Touraine en tête. Les années de mondialisation aidant, ou plutôt aggravant, beaucoup ont choisi ce mode de protection face à un travail dénué d’intérêt.
En réalité, ces enquêtes nous disent que les formes de management évoluent peu. Malgré les constats sur la dégradation des conditions de travail, l’hyperproductivisme continue d’user nombre de salariés. Vouloir travailler moins, ou mieux, pouvoir choisir son travail sont des aspirations légitimes. Mais c’est devenu une position quasi intenable à l’heure des difficultés de recrutement. « Nous, on acceptait ce qu’on donnait », vous expliquera l’oncle Marcel. Ce qui est historiquement faux. Par le passé, comme aujourd’hui, les périodes de dynamisme de l’activité renforcent le pouvoir de négociation des candidats à un emploi.
Le comble est qu’il n’y a jamais eu autant de personnes au travail. Taux d’activité et d’emploi ne cessent de croître. Et contrairement à ce qu’affirment régulièrement certains experts libéraux, les Français ne triment pas moins que leurs voisins européens. Bien au contraire, chiffres de l’OCDE à l’appui. Quant aux chômeurs, ils traversent tous les jours la rue. C’est bien pour cela que le chômage baisse.
Mais malheur aux plus difficiles à recaser. Voués au « quiet suffering » (la souffrance silencieuse), ils sont punis par la dernière réforme de l’assurance chômage. On en souhaiterait presque que le taux de chômage repasse la barre des 9 %, seuil fixé par le gouvernement pour que les règles d’indemnisation leur soient plus favorables. Ça échaufferait moins les esprits pour Noël prochain.
Laisser un commentaire