Guerre en Ukraine: ce que l’utilisation des armes chimiques par la Russie changerait dans le conflit
“Des informations indiquent que les forces russes pourraient avoir utilisé des agents chimiques lors d’une attaque contre la population de Marioupol. Nous travaillons de toute urgence avec nos partenaires pour vérifier les renseignements”, a déclaré Liz Truss sur son compte Twitter.
L’utilisation de cette arme par la Russie est la hantise de la communauté internationale, encore sous le choc des atrocités commises par le régime de Bachar el-Assad en Syrie sur sa propre population. En mars, les Américains et les Britanniques avaient averti que Moscou pourrait avoir recours à l’arme chimique en Ukraine en raison des ratés de son offensive militaire qui rendent sa stratégie encore plus imprévisible.
Le précédent traumatisant de la Syrie
Ce n’est évidemment pas la première fois que la Russie utiliserait ce type de munitions. Il faut dire que le Kremlin a une longue histoire avec les armes chimiques. Il s’est montré très complaisant avec le régime de Damas en niant toujours l’utilisation répétée de cette tactique par la Syrie contre les populations civiles.
“Vous le savez tous, cela fait partie de la stratégie de la Russie. Elle a utilisé ces armes contre ses propres citoyens, elle l’a au moins encouragé en Syrie et ailleurs. C’est quelque chose que nous devons prendre très au sérieux”, a alerté le directeur de la CIA William Burns, rapporte le Guardian.
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À cela s’ajoutent les deux affaires d’empoisonnement à l’aide d’un agent neurotoxique, le Novitchok, visant l’opposant aujourd’hui emprisonné Alexeï Navalny (2020) et l’ancien espion russe Sergueï Skripal, en Angleterre (2018). Les Occidentaux assurent que Moscou, qui nie farouchement, en est le responsable.
L’utilisation d’armes chimiques toujours pas confirmée
Pour le moment, il n’est pas encore possible de confirmer ou infirmer que la Russie en est arrivée à de tels actes en Ukraine. Petro Andriouchtchenko, un conseiller du maire de Marioupol, a souligné sur Telegram que “les informations sur l’attaque chimique ne sont pas actuellement confirmées”, indiquant que “des détails et des clarifications” seront donnés ultérieurement et que “nous attendons des informations officielles de la part des militaires”.
Le porte-parole du Pentagone, John Kirby, a déclaré lundi soir que Washington avait connaissance d’informations faisant état d’une attaque chimique dans la ville stratégique, mais ne pouvait les confirmer. “Ces informations, si elles sont vraies, sont très préoccupantes et reflètent les inquiétudes que nous avons eues quant à la possibilité pour la Russie d’utiliser divers agents antiémeutes, notamment des gaz lacrymogènes mélangés à des agents chimiques, en Ukraine”, a-t-il déclaré. La Russie nie toujours quant à elle avoir commis des crimes de guerre lors de son offensive en Ukraine, lancée le 24 février dernier.
Une “escalade brutale” qui donnerait une nouvelle dimension au conflit
“Si tel était le cas, on franchirait une marche supplémentaire dans la terreur et donc la désapprobation des opinions publiques internationales, ce qui risquerait également de renforcer le régime de sanctions qui est déjà extrêmement sévère”, pointe Olivier Lepick, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), spécialiste des armes chimiques.
Le recours aux armes chimiques “constituerait une escalade brutale dans ce conflit et nous demanderons des comptes au (président russe Vladimir) Poutine et à son régime”, a d’ailleurs prévenu Liz Truss. Dès le début du conflit, le président américain Joe Biden prévenait que la Russie “paiera le prix fort si elle utilise des armes chimiques” dans sa guerre contre l’Ukraine. Mais qu’est-ce que “le prix fort”, alors qu’une attaque directe des États-Unis contre la Russie est impossible au regard des conséquences qu’elle pourrait avoir.
Pour Nicolas Tenzer, enseignant à Science Po et directeur du journal en ligne Desk Russie, interrogé par Le HuffPost, la menace brandie par la Russie sur une éventuelle troisième guerre mondiale en cas de riposte de l’Otan tient surtout “du narratif russe”. Ainsi, elle ne devrait pas empêcher les États-Unis d’agir.
Selon lui, du côté de Washington, “on peut espérer, en cas d’escalade, qu’il y ait un engagement plus marqué, avec notamment des actions de riposte contre des sites ou des personnes qui auraient pu lancer de telles attaques”. “Les États-Unis pourraient aussi fournir des armes décisives à l’Ukraine par exemple”, évoque-t-il.
Et pour les Européens? “On peut faire beaucoup plus!”, assure Nicolas Tenzer. “Ils peuvent déjà mettre sous embargo total le pétrole et le gaz russe. Selon moi c’est une nécessité absolue, même si l’Allemagne freine cette sanction-là parce qu’elle est fortement dépendante”, nous explique-t-il, rappelant que l’Union Européenne donne 30 fois plus d’argent à la Russie via les hydrocarbures que ce qu’elle donne actuellement à l’Ukraine en termes de fourniture d’armes.
Autre sanction possible, l’éviction des banques russes qui restent à ce jour connectées au système Swift. “Elles sont encore nombreuses et il faut mettre un terme à tout cela”, appelle l’expert. Enfin, il propose également que soient sanctionnées les 6000 personnes responsables de crimes dans cette guerre, et dont les noms ont été donnés par les Ukrainiens.
Des menaces de représailles… et après?
Mais peut-on vraiment s’attendre à une riposte en cas de franchissement de cette “ligne rouge”? L’histoire permet d’en douter. En 2017, dans le cadre de la guerre en Syrie, Emmanuel Macron, dès son arrivée à l’Élysée, a évoqué à deux reprises, à propos des armes chimiques, une “ligne rouge” qui appellerait des sanctions en cas de franchissement.
“Quand vous fixez des lignes rouges, si vous ne savez pas les faire respecter, vous décidez d’être faible. Ce n’est pas mon choix”, affirmait-il en juin 2017 avant d’ajouter que “la France procédera à des frappes pour détruire les stocks d’armes chimiques identifiés”. “Je serai intraitable à ce sujet”, renchérissait-il.
Il n’avait pas non plus manqué de préciser qu’en 2013, lorsque le cas s’était déjà posé en Syrie, Barack Obama et François Hollande, alors en poste, n’avaient finalement pas réagi. Ce, alors qu’ils avaient promis une riposte quelques mois auparavant.
Mais au final, en 2018, lorsque la fameuse ligne a de nouveau été franchie, tout comme eux, Emmanuel Macron n’a pas agi. Et cette année en Ukraine, malgré la menace de Joe Biden de faire “payer le prix fort”, pas sûr que le scénario soit très différent.
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