Jean-Philippe, nageuse de natation synchronisée
Il a été militaire, professeur, il a fait un burn-out… Puis il a découvert la natation synchronisée avec « les filles ». Depuis, Jean-Philippe revit.
« La synchro, pendant très longtemps, j’ai trouvé ça ridicule parce que c’était, pour moi, un sport féminin. Maintenant, la synchro, pour moi, c’est ma vie. C’est la première fois de ma vie que je fais quelque chose qui me plaît », s’émeut Jean-Philippe. Cet ancien militaire a mis beaucoup de temps à trouver sa voie et à s’accepter lui-même.
« Ce qui me gênait vraiment dans l’armée, c’était le virilisme »
« J’ai été d’abord dans la marine nationale pendant trois ans. Ensuite dans l’armée de terre pendant cinq ans », se souvient Jean-Philippe. Mais cet univers le dérange. Pourtant, à l’époque, il garde ça pour lui. « Ce qui me gênait vraiment dans l’armée, c’était le virilisme. Les conversations tournent autour de trois sujets : le foot, le cul, la bouffe. Et je m’en foutais, je n’avais rien à leur dire. On a quand même un côté très « performance » dans l’armée. Le but, c’est à chaque fois d’être plus efficace en tant qu’instrument de combat. »
Cette masculinité exacerbée et cette recherche de la force physique, Jean-Philippe les vit comme de vraies souffrances. « Au fond, je sentais vraiment une fracture en moi. Je sentais que ce n’était pas moi depuis le départ. Mais comme on n’a pas de repères et que nos seuls repères, ce sont nos deux parents, finalement, je me suis dit qu’il fallait que j’aille à fond dans cette direction-là. Et puis on va voir ce que ça donne à la fin. »
« Je joue le rôle du père, de l’amant, du fils, du militaire, de l’enseignant, de tout ce que j’imagine »
Jean-Philippe finit par quitter l’armée en 2010 et devient professeur des écoles. Mais après huit années d’enseignement, il fait un burn out. « On n’a absolument plus d’énergie vitale. On ne peut plus rien faire. Je ne pouvais plus sortir de chez moi. Ce qui bloque à ce moment-là, c’est que je ne suis pas moi depuis toujours. Je suis dans un rôle depuis 36 ans. Je joue le rôle du père, je joue le rôle de l’amant, je joue le rôle du fils, je joue le rôle du militaire, je joue le rôle de l’enseignant, de tout ce que j’imagine. »
Le quinquagénaire a toujours aimé les sports aquatiques, mais il ne s’était jamais intéressé à la natation synchronisée. « J’ai fait de la natation sportive, on cherche la performance, la vitesse. La natation longue distance, là, on cherche la caisse, l’endurance. J’ai fait de la plongée, j’ai fait de la voile. J’ai fait à peu près tout ce qu’on peut faire au-dessus et en-dessous de l’eau, mais je n’avais pas essayé la synchro. »
« Depuis, j’accepte mieux mon corps. Il est comme il est, et puis merde ! »
Puis, un jour, alors qu’il regarde une épreuve de natation sportive aux Jeux olympiques à la télé, c’est la révélation. « Il y a une coupure, et ils nous passent de la synchro. J’ai vu l’expression de la beauté. C’est pas masculin, c’est pas féminin, on cherche juste la beauté. Et c’est ça qui m’a plu. » Une philosophie qui parle à Jean-Philippe, lui qui a longtemps été moqué pour son physique. « Mon père se foutait de ma gueule. C’était toujours : ‘’Tu as de l’embonpoint, tu es bouboule.’’ Même si je faisais du sport, c’était jamais assez pour lui. »
Il commence alors la natation synchronisée. « On répète au bord de l’eau, on appelle ça à sec. Soit je le fais avec les filles naturellement, soit je me mets en boule derrière un banc. Ça a été compliqué à ce moment-là. Je me suis dit : ‘’Tu as un choix dans ta vie, est-ce que tu le fais ou est-ce que tu ne le fais pas ?’’ Je l’ai fait avec les filles, et depuis, j’accepte mieux mon corps. Il est comme il est, et puis merde !* »
« Je faisais partie de ce groupe, et ce groupe s’appelle les filles, donc j’étais une fille »
Rebecca, qui nage avec lui, se rappelle bien de l’arrivée de cet homme plus âgé. « Honnêtement, ça n’a pas été facile du premier coup, c’était un peu bizarre. On ne savait pas trop ce qu’il venait faire là. Ça n’a pas été tout de suite l’accueil à bras ouverts, mais après, on a appris à le connaître, et on a vu qu’il était vraiment motivé à faire de la synchro. »
Assez rapidement, Jean-Philippe s’intègre à l’équipe… Jusqu’à se considérer comme les autres : une nageuse. « La locution qu’utilisaient les coachs et les autres filles, c’était ‘’les filles’’. ‘’Les filles, venez ici’’, ‘’les filles, faites ceci, faites cela’’. Au début, je me sentais rejeté par cette locution. Jusqu’au jour où elles ont dit ‘’les filles et le mec’’. Et là, c’était pour moi un non-sens complet. Je faisais partie de ce groupe, et ce groupe s’appelle les filles, donc j’étais une fille. Je suis une fille de la synchro, je suis nageuse de synchro. »
Un sport pas encore unisexe
Depuis, Jean-Philippe a été vice-champion de Suisse 2019 dans la catégorie masters en solo, et médaille d’argent en duo mixte avec Rebecca aux championnats internationaux de Bruxelles. « Mon objectif, c’est les JO. Pour ça, il faudra que le sport soit réellement unisexe », déplore la nageuse. Car si certaines compétitions sont ouvertes aux hommes, les Jeux Olympiques leur sont inaccessibles depuis 1986.
Comment son entourage considère-t-il cette nouvelle passion ? Jean-Philippe considère qu’il y a eu deux types de réactions. « Ça a été un test, la synchro. Voir si la la personne t’apprécie toi en tant que tel, ou si elle apprécie ce que tu peux lui apporter. Je pense que les gens pour qui j’étais là pour apporter quelque chose, ils ont disparu de ma vie parce qu’ils m’ont jugé très rapidement. Et les gens pour qui je comptais, ils sont restés, parce qu’ils ont compris que c’était comme une évidence pour moi. »
Maud Le Rest
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