Joe Biden veut recréer une classe moyenne aux Etats-Unis
« L’Amérique est à un tournant. Dans une période de grands dangers, mais aussi de possibilités extraordinaires », a assuré Joe Biden dans son premier discours en tant que candidat officiellement investi pour la course à la présidentielle américaine de novembre. Il a ainsi clôturé quatre jours d’une convention démocrate pour la première fois en vidéoconférence, crise sanitaire oblige. Le programme de Joe Biden évoluera probablement dans les prochaines semaines. Notamment sous l’influence de sa récemment nommée vice-présidente Kamala Harris, considérée comme moins centriste. Mais la philosophie générale est déjà donnée, ainsi qu’une description des grands leviers pour y parvenir.
La classe moyenne ne représente désormais plus que la moitié de la population américaine, contre un peu plus de 60 % dans les années 1970
Tout le programme économique de l’ancien vice-président de Barack Obama semble tendre vers un objectif : reconstruire une classe moyenne états-unienne. En effet, « après avoir longtemps été au cœur du modèle social américain, la classe moyenne n’a cessé de s’éroder au cours des dernières décennies », souligne Anton Brender, chef économiste chez Candriam. Comme le soulignait le Pew Research Center en 2018, la classe moyenne ne représente désormais plus que la moitié de la population américaine, contre un peu plus de 60 % dans les années 1970. Mais surtout, l’écart s’est creusé avec des riches devenus plus riches et des pauvres plus pauvres.
Fiscalité progressive
Dans cette logique, le point le plus saillant est la volonté du candidat de réintroduire un peu plus de progressivité dans le système fiscal américain, dont les auteurs Gabriel Zucman et Emmanuel Saez ont récemment mis en évidence les lacunes. Joseph Robinette Biden entend ainsi ramener le taux des dernières tranches d’imposition sur le revenu de 37 % à 39,6 %. Il entend également instaurer une taxation des revenus du capital (dividendes, plus-values) à ce même taux de 39,6 % au-dessus d’un million d’euros. « C’est une mesure moins ambitieuse que l’impôt sur la fortune [proposé notamment par Elizabeth Warren pendant la campagne, NDLR] mais qui va dans la bonne direction pour lutter contre la concentration extrême du capital », admet l’économiste Emmanuel Saez.
Cet objectif mesuré s’explique notamment, selon Christophe Blot de l’OFCE, par le fait que « la pandémie a incité Joe Biden à mettre davantage l’accent sur la relance de l’économie par les dépenses publiques que sur une réforme plus structurelle de la fiscalité ». Malgré tout, « avec les propositions de Joe Biden, la plus forte augmentation d’impôt concernera les 1 % les plus riches. (…) Ce groupe fera face à une augmentation de son montant moyen d’impôt de 118 674 dollars », note l’American Enterprise Institute dans une note sur la politique fiscale du candidat.
« Si Biden appliquait son programme fiscal entièrement, la progressivité serait supérieure à celle des années Obama et Clinton », Emmanuel Saez
Côté entreprises, l’ancien sénateur du Delaware, où il réside, a annoncé vouloir augmenter le taux d’imposition sur les sociétés de 21 % à 28 %. Il était de 35 % avant l’élection de Donald Trump. Là encore, la promesse peut paraître timorée, mais Joe Biden inverse au moins la tendance impulsée par l’actuel président républicain. « L’administration Trump a poursuivi des politiques économiques qui récompensaient la richesse davantage que le travail et les entreprises davantage que les travailleurs », fustige ainsi le candidat sur son site de campagne. En conclusion, « les propositions fiscales de Biden étaient les moins ambitieuses des candidats à la primaire démocrate mais elles le sont tout de même plus que celles de Clinton en 2016. Si Biden appliquait son programme fiscal entièrement, la progressivité serait supérieure à celle des années Obama et Clinton », assure Emmanuel Saez… « mais quand même inférieure à la progressivité avant Reagan ».
Un grand plan d’investissement
Au total, ce programme fiscal permettrait de lever près de 4 000 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie, calcule la Tax Foundation. De quoi financer le plan d’investissement massif voulu par Joe Biden pour relancer les Etats-Unis. Son inspiration, la voici : « Il y a un siècle, Franklin Roosevelt a lancé son New Deal dans une période de chômage massif, d’incertitude et de peur. Frappé par la maladie, frappé par un virus, il assura qu’il allait se rétablir et triompher, et il croyait que l’Amérique le pourrait aussi. Il réussit, et nous le pouvons aussi », a-t-il expliqué.
Sous l’influence de l’aile gauche de son parti, et notamment de la députée Alexandria Ocasio Cortez, le candidat démocrate s’est en effet rallié (peut être aidé par la pandémie) à la conclusion qu’un New deal vert était indispensable. Il prévoit d’injecter 1 700 milliards de dollars en faveur de la transition énergétique sur dix ans. « L’importance donnée à la question climatique constitue la rupture la plus forte opérée par Joe Biden par rapport aux précédents programmes du parti démocrate, que ce soit sous Clinton ou même Obama », estime Gilles Moëc, chef économiste du groupe AXA IM, pour qui ce plan « rappelle les grands programmes technologiques américains mis en place dans les années 1960, dans le cadre de la conquête spatiale notamment ». Si Joe Biden accorde probablement encore trop d’importance à des solutions techniques dont la pertinence est loin d’être acquise, comme la voiture à hydrogène, sa volonté d’atteindre la neutralité carbone en 2050 et de réintégrer l’accord de Paris permettrait, s’il est élu en novembre, de replacer les Etats-Unis dans la course face à la lutte contre le réchauffement climatique.
« Buy American »
Outre les milliards annoncés en faveur de la transition énergétique, Joe Biden prévoit de dépenser pour redynamiser le tissu industriel américain grâce à la commande publique. Les 400 milliards de son programme « buy American » ont ainsi vocation à renforcer la demande de produits américains, et prévoit entre autre le durcissement des critères permettant de considérer un produit comme « made in America » (il suffit aujourd’hui que 51 % des composants aient été réalisés sur le territoire). 300 milliards supplémentaires seront destinés à l’innovation. « Avant la crise du Covid, le ralentissement de l’innovation et de la productivité américaine était déjà un enjeu. Biden se base sur cette situation de stagnation séculaire théorisée par Larry Summers pour justifier un effort d’investissement public sans précédent », explique Gilles Moëc.
L’objectif ? Remplir le carnet de commande des entreprises américaines (avec un accent mis sur les PME) et créer de nouveaux emplois rémunérateurs dans l’industrie et les secteurs de pointe pour redonner des couleurs à une classe moyenne en perdition. Au moins 5 millions, veut croire le candidat. « Biden n’accepte pas la vision défaitiste consistant à croire que les forces de l’automatisation et de la globalisation nous rendent incapables de retenir les emplois syndiqués et bien payés, et même d’en créer de nouveaux, aux Etats-Unis », peut-on lire sur son site de campagne. « C’est un programme typiquement social-démocrate », résume Anton Brender. D’où l’importance également accordé au renforcement du pouvoir des syndicats, particulièrement faibles outre-atlantique.
Le programme du candidat prévoit un relèvement progressif du Smic fédéral horaire à 15 dollars, soit plus du double de sa valeur actuelle
Le programme du candidat prévoit en outre un relèvement progressif du Smic fédéral horaire à 15 dollars, soit plus du double de sa valeur actuelle (7,25 dollars). Cette hausse aura une incidence différente d’un état à l’autre puisque la Californie, par exemple, a déjà instauré un Smic horaire bien supérieur au niveau fédéral et prévoyait d’atteindre le seuil de 15 dollars dès 2022. « S’il s’accompagne de mesures de formation et d’aides à la reconversion, le programme de Joe Biden arriverait au bon moment : la création d’emplois plus qualifiés pour ceux que la pandémie vient de condamner aux chômage éviterait que la pression sur les emplois du bas de l’échelle ne se renforce encore et, la hausse du salaire minimum aidant, les salaires du bas de l’échelle pourraient enfin monter », explique Anton Brender, avant de relativiser : « c’est la théorie. Il faudra maintenant voir comme cela se traduit dans les faits ».
« Là où Donald Trump essayait de faire revenir des emplois via une politique protectionniste, Biden opte pour un mécanisme plus positif visant à créer des emplois par une politique ambitieuse d’investissements publics visant à stimuler le développement d’activités d’avenir », compare également l’économiste. Il a indiqué vouloir mener une « une politique étrangère pour la classe moyenne », sans davantage de précisions pour l’instant sur ce qu’en seront les modalités concrètes. La volonté de réduire la dépendance à la Chine est néanmoins clairement affirmée.
Une assurance santé pas encore universelle
Coté santé, Joe Biden explique vouloir « donner à chaque Américain l’accès à une couverture santé abordable ». Là où Bernie Sanders défendait l’instauration d’une assurance santé universelle sur le modèle européen (c’est-à-dire « Medicare for all »), Biden préfère conserver le système actuel en y ajoutant un nouveau programme public. Il devrait notamment bénéficier aux familles résidant dans des Etats qui n’ont toujours pas appliqué l’extension voulue par Barack Obama des critères d’accès au programme Medicaid, qui permet aux plus précaires d’avoir accès à une assurance à un tarif préférentiel.
Joe Biden souhaite par ailleurs abaisser le seuil d’accès à Medicare (le programme d’assurance santé public pour les personnes âgées) de 65 à 60 ans. Il compte aussi élargir les modalités d’accès au crédit d’impôt pour financer son assurance santé, aujourd’hui réservé aux ménages dont le revenu est inférieur à 400 % du seuil fédéral de pauvreté. Et ce afin qu’ « aucune famille ne dépense plus de 8,5 % de son revenu dans son assurance santé privée ». Le candidat démocrate va donc en résumé au-delà de l’Obamacare, mais n’est pas aussi volontariste qu’aurait pu l’espérer l’aile gauche du parti démocrate. « Joe et moi ne sommes pas d’accord sur la manière d’atteindre une couverture universelle, mais il a un plan qui va étendre grandement la couverture médicale et réduire les coûts des ordonnances », a concédé Bernie Sanders dans son discours à la Convention démocrate. Difficile d’en attendre moins au sortir d’une pandémie.
Joe biden entend prolonger l’application des modalités plus favorables d’indemnisation chômage décidée au début de la crise jusqu’au moins début 2021
A plus court terme, pour limiter l’impact du coronavirus sur l’économie américaine, Joe Biden a promis de rendre les tests gratuits, ainsi que d’éventuels traitements ou vaccins à venir, et de prolonger l’application des modalités plus favorables d’indemnisation chômage décidée au début de la crise jusqu’au moins début 2021. « La poursuite de ces mesures d’aide fait consensus chez les démocrates, mais il n’y a pas encore de proposition pour réformer l’assurance chômage au-delà de l’horizon du Covid, nuance Ioana Marinescu, économiste, professeur à l’Université de Pennsylvanie. Ce qui supposerait d’allouer de manière pérenne de nouveaux financements aux Etats qui gèrent l’assurance chômage et qui, tenus par un impératif d’équilibre budgétaire, sont aujourd’hui en grande difficulté financière ».
Les républicains, quant à eux, ont souhaité interrompre ces mesures de soutien dès la fin juillet, et s’opposent pour l’instant à leur reprise dans le cadre des discussions au Congrès sur le prochain volet du plan de relance. Enfin, Joe Biden souhaite faire en sorte que toute personne malade du Covid-19 puisse bénéficier d’un congé maladie. Il veut encourager le recours au chômage partiel. « Le dispositif existe déjà dans le pays, mais est inconnu des entreprises et donc sous-utilisé. Il y a des efforts à faire pour le rendre plus opérationnel », explique Ioana Marinescu.
Ambitieux sans être radical, « Sleepy Joe » comme l’a surnommé Donald Trump a montré sa détermination lors de la convention. Il porte un programme économique imprégné de quelques mesures de la gauche du parti démocrate mais qui vise aussi à séduire les républicains réticents à glisser une nouvelle fois dans l’urne un bulletin en faveur du locataire actuel du bureau ovale.
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