L’art du combat : la philosophie à travers l’aïkido
Les arts martiaux sont une philosophie à part entière
Coralie Camilli, ceinture noire deuxième DAN d’Aïkido et docteure en philosophie, explique à Brut en quoi ce sport est bien plus qu’une activité physique.
Coralie Camilli s’en souvient comme si c’était hier. « C’était concrètement, absolument, terrible. Les premières heures, non seulement j’étais la seule Occidentale, mais j’étais la seule femmes. C’étaient des cours qui duraient 4 heures le matin et 5 heures l’après-midi, avec un sabre, un katana en main. Autant vous dire le poids de l’objet qu’on tenait entre les bras, des heures durant, sans pause… »
La docteure en philosophie, aujourd’hui ceinture noire deuxième DAN d’Aïkido, explique toute la philosophie derrière cet art martial. Elle est l’autrice de L’Art du combat, aux éditions PUF.
« C’est un exercice pur et simple qui durait des heures et des heures »
Physiquement, c’était très dur et les premiers mois d’enseignement. On prenait le pratiquant, on le mettait contre un mur, seul, le sabre était attaché avec la saya, le fourreau, et le simple exercice qu’on devait faire, seul face au mur, c’était de le dégainer. Sans force, mais de manière à ce que ça frôle le mur sans le toucher. On était à ça du mur, c’est un exercice pur et simple qui durait des heures et des heures.
Évidemment, au début, le sabre butait contre le mur, puisqu’on avait quelques centimètres d’écart. Ça faisait « toc toc toc ». Durant les 4 heures de pratique, le maître ne nous regardait pas du tout, il nous ignorait complètement. Les 5 heures de l’après-midi suivante, il passait une fois devant pour regarder très vaguement ce qu’on faisait. La seule parole qu’on entendait pendant les trois premiers mois d’enseignement, c’était « ceci est incorrect » en japonais.
« C’est un geste pur, il est exceptionnel »
Alors on essayait de répondre « sensei… » Au bout de trois mois à répéter le même geste, seul face au mur, le vide se crée. Ne serait-ce que par la fatigue musculaire accumulée, ne serait-ce que par le trop plein de concentration, au bout d’un moment, tout lâche. Et un jour, le geste sort, sans le moindre bruit, sans la moindre éraflure, sans rien. Ce moment-là est fulgurant. Soi-même, on ne l’a pas vu venir. C’est un geste pur, il est exceptionnel. À vivre, c’est une réussite.
Une des premières distinctions qui me semblent importantes à faire, en philosophie, pour penser les arts martiaux, c’est la différence entre la force et la puissance. C’est quelque chose que les gens confondent très facilement – à juste titre – mais en réalité, quand on se penche un peu là-dessus, on se rend compte que ce sont deux concepts très différents.
Différencier force et puissance
La force, c’est lié au temps. Philosophiquement parlant, c’est très simple. Bergson, pour citer un philosophe très connu, prend un exemple très simple : je prends ma main et je décide de relier le point A au point B. Ma main a fait une trajectoire, et cette trajectoire, ça s’appelle un mouvement. Le mouvement s’inscrit dans le temps et dans l’espace parce qu’il est fait de vitesse et de force, c’est-à-dire d’accélération et de décélération. Il relie des points dans l’espace à travers le temps, à une certaine vitesse.
Le geste pur, il advient comme un éclair advient dans le ciel. Il est là d’un coup et on ne l’a pas prévu. On ne peut pas forcément le reproduire, mais ce n’est pas quelque chose qui s’apprend, c’est quelque chose qui advient. La pureté ne s’enseigne pas, elle advient, le mouvement le plus parfait s’enseigne, c’est la différence que je faisais entre le mouvement et le geste.
Ce qui est au commun aux deux, c’est la répétition, la répétition… Jusqu’à ce que le corps incorpore, s’approprie, ncarne des gestes codifiés qui ont pour but d’être improvisés. Tout le paradoxe des arts martiaux est là, et c’est là où c’est philosophiquement très intéressant : pour en arriver à l’improvisation, il faut passer par le travail et la répétition.
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