Le covid, l’élève à problème dont je me serais bien passé dans mon école classée REP – BLOG
Une école, c’est comme un grand navire qu’il faut piloter avec un certain doigté. Par temps clair, on y arrive tant bien que mal en conservant son calme.
Il faut jongler entre le bien-être des élèves, la nécessité de garder de bonnes relations avec la mairie et avec les familles, l’application des directives de sa hiérarchie et le moral des collègues parfois découragés par les difficultés de leurs élèves, mais aussi et surtout par des conditions de travail dont peu de gens peuvent imaginer la complexité.
Vous avez envie de raconter votre histoire? Un événement de votre vie vous a fait voir les choses différemment? Vous voulez briser un tabou? Vous pouvez envoyer votre témoignage à temoignage@huffpost.fr et consulter tous les témoignages que nous avons publiés. Pour savoir comment proposer votre témoignage, suivez ce guide!
Le matériel
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Il y a le chauffage qui tombe en panne, les fuites d’eau dans les toilettes, les néons qui clignotent. Téléphoner, encore et encore, en surveillant sa classe du coin de l’œil.
Les enseignants
Il y a les “dossiers à renvoyer avant le… délai de rigueur…” Il y a les “enquêtes flash” qui se multiplient du type “combien de capteurs de CO2 installés dans votre établissement? Réponse attendue avant 12 h.” Répondre prend 3 secondes (aucun, ça va vite), mais le caractère urgent de la question peut déconcerter.
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Les familles
Mais, comme l’immense majorité de mes collègues, j’aime ce métier. Notamment parce que, quoiqu’en pensent certains, on se sent utiles et que les progrès de nos élèves (de tous nos élèves, car tous progressent!) nous font oublier tout le reste. Par temps calme, je l’ai dit, on s’en sort!
«Que c’est long! C’est long deux ans sans fête d’école, sans voyage de fin d’année, sans goûter de Noël, sans spectacle de la chorale. Deux ans sans: ‘Regarde Monsieur, j’ai perdu ma dent!’»
L’élève Covid et son protocole
Covid est très envahissant, hyperactif, imprévisible et d’humeur variante.
Cela explique d’ailleurs les hésitations ministérielles et les cafouillages qui s’en suivent.
Covid est un élève turbulent mais son entourage est très à cheval sur le protocole.
Le protocole est quelque chose que l’on imagine très sérieux, un peu compassé voire désuet. C’est faux. Avec l’élève Covid, on découvre chaque jour que le protocole est une sorte de danse mystérieuse, chaotique et désordonnée.
Une bonne cinquantaine de protocoles ont été mis en place depuis l’arrivée de l’élève Covid parmi nous. Cinquante, en deux ans, c’est beaucoup et pour les mettre en place les délais sont, on le sait, souvent intenables.
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A chaque fois il faut faire le tri entre ce qui est obligatoire et « ce qui doit être mis en place dans la mesure du possible en tenant compte de la réalité du terrain» (la réalité du terrain, c’est par exemple, organiser 8 lavages de mains par jour pour 120 élèves avec seulement 4 points d’eau dans le bâtiment.) Puis, vite, vite, vite prévenir les familles des changements, c’est-à-dire envoyer des mails puis téléphoner à ceux qui malgré nos multiples demandes, n’ont toujours pas communiqué leur adresse, sans oublier les quelques familles, heureusement peu nombreuses (4 ou 5 tout de même,) qui n’ont tous simplement pas l’équipement pour recevoir des mails.
«Avec l’élève Covid, on découvre chaque jour que le protocole est une sorte de danse mystérieuse, chaotique et désordonnée.»
Ensuite, il faut appeler la mairie en urgence parce qu’il faut mettre des barrières dans la cour de récréation pour séparer les bulles : désormais les élèves de Madame A. ne doivent absolument pas entrer en contact avec les élèves de Monsieur B. Bon… un des élèves de Monsieur B a sa petite sœur dans le classes de Madame A. et toutes les classes sont mélangées pour la garderie du matin et du soir, mais ça ne fait rien, à l’école, on fait des « bulles de sécurité ».
Au début (je parle bien sûr de l’après confinement), quand un élève était positif à la Covid19, on fermait seulement la classe, parfois en pleine journée, dans la panique. Désormais les élèves peuvent être gardé jusqu’à l’heure de la fin des cours et revenir dès que les parents ont rempli une attestation sur l’honneur où ils affirment que l’enfant a fait un autotest. Pendant un mois à tour de bras j’ai distribué des documents pour aller retirer les autotests gratuits dans les pharmacies de la ville qui, bien entendu se sont vite retrouvées en rupture de stock.
Désormais on ferme plus les classes. Cela ne veut pas dire que l’école tourne normalement, loin s’en faut. Beaucoup d’élèves sont malades : l’épidémie flambe depuis l’arrivée d’Omicron. Un jour la classe est complète, le lendemain, il manque 7 ou 8 élèves. Sont-ils positifs ? Est-ce que la gastro a encore frappé ? Comme il faut bien savoir de quoi il retourne on téléphone, encore et encore.
Beaucoup de collègues sont malades aussi, même si tous sont triplement vaccinés. Et comme il n’y a pas de remplaçant et qu’on ne peut pas répartir leurs élèves (à cause des bulles), on ne ferme pas la classe mais on ne peut plus accepter les élèves…
Certaines familles refusent de faire les tests : trop douloureux, trop invasifs, trop effrayants pour des enfants de 6 ans. Il y a aussi le poids, qu’il ne faut pas oublier, de la contestation antivax.
«Le jour où le protocole a permis d’enlever le masque dans la cour, nous sommes sortis faire la fête.»
Ma tâche est de veiller à ce qu’il ait bien une attestation signée pour le retour en classe. Mais je suis parfaitement conscient, comme tous mes collègues, que cette attestation n’est qu’un chiffon de papier qui ne prouve absolument rien.
En ce sens, le prochain protocole à venir a le mérite de la clarté. Si un élève est positif dans la classe, l’école préviendra les familles et celles-ci feront ce qu’elles jugent le plus adapté.
Les enfants admirables
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Que c’est long ! C’est long deux ans sans fête d’école, sans voyage de fin d’année, sans goûter de Noël, sans spectacle de la chorale. Deux ans sans : « Regarde Monsieur, j’ai perdu ma dent ! »
Mais nous tenons bon. Il le faut bien. Une éclaircie est annoncée… Pourvu que…
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